Jouez 12 euros, gagnez en 1000. C’est le nouveau jeu de loterie inventé par des avocats aux scrupules sans doute un peu déplacés. « Pour le respect à votre droit sur la copie privée, nous réclamons 1000 †pour chacun d’entre vous », annonce ainsi le site classaction.fr qui invite six éditeurs de DVD à comparaître devant les tribunaux le 13 juin 2005. L’UFC-Que Choisir, qui a établi une jurisprudence favorable en matière de copie privée de DVD, dénonce la manoeuvre, et nous informe d’une probable action de sa part à l’encontre de la société d’avocats.

La France est l’un des seuls pays au monde à ne pas proposer de réels systèmes d’actions collectives anonymes, sur le modèle anglosaxon de la « class action ». Réclamé depuis des années par les différentes associations de consommateurs, le système pose de grandes difficultés politiques et économiques. Il n’en est pas moins indispensable, et c’est pour en fixer le cadre qu’un groupe de travail a finalement été établi à la demande du Président de la République.

C’est au moment de ses voeux aux forces vives de la Nation, le 4 janvier dernier, que Jacques Chirac a en effet promis un changement dans la loi qui permettra aux associations de consommateurs de déposer des recours collectifs. Ce groupe de travail a jusqu’au 1er octobre pour rendre ses conclusions, et un projet de loi devrait être déposé dès la fin de l’année.

Pour les associations de consommateurs, qui participent activement au groupe, c’est un soulagement après des années de lutte. Même s’il reste encore quelques mois d’âpres négociations avec un patronnat très opposé à l’idée d’une telle procédure, le projet est acquis.

Ou plutôt l’était. Car l’initiative de ClassActions.fr fait grincer beaucoup de dents et vient parasyter les débats.

Le site a porté plainte contre six éditeurs de DVD (Warner Bros, Gaumont, Fox, TF1 Video, Buena Vista et Universal Pictures) et demande « la réparation du préjudice subi par les demandeurs empêchés d’exercer leur faculté de copie privée en raison des dispositifs anti-copie verrouillant les DVD mis en place« . Class Actions.fr propose alors aux consommateurs de se joindre dans la liste des demandeurs, en indiquant qu’ils réclameront 1000 euros pour chacun d’entre eux.

Aucune garantie de recevoir 1000 euros

« Cette initiative est totalement déplacée, ils profitent du contexte de médiatisation des class actions pour se faire connaître alors que ce qu’ils font n’est pas du tout une class action« , dénonce Isabelle Faujour, directrice juridique adjointe de l’association UFC-Que Choisir. Contrairement à ce qui existe aux Etats-Unis ou au Québec, en France il n’est pas possible à un avocat d’intenter une action sans être mandaté par le(s) plaignant(s). En s’inscrivant sur le site de Class Action.fr, le consommateur donne mandat au groupe d’avocats et paye 12 euros pour le faire. « Ils ont inventé un logiciel qui permet de gérer collectivement les mandats« , nous explique Isabelle Faujour, « mais ça n’est pas opportun du tout« . « Ils font ça hors-cadre, et ils donnent du grain à moudre aux détracteurs de la class action« .

L’UFC-Que Choisir a déjà envoyé une lettre à la société, et elle réfléchit à la possibilité de déposer une plainte contre elle, probablement sur fond de tromperie. Avec les termes employés par le site, le consommateur est en effet tenté de croire qu’il gagnera 1000 euros s’il s’inscrit. Or rien n’est moins sûr.

Dans l’état actuel de la loi, les associations de consommateurs ont besoin d’avoir au moins un consommateur présent à leur côté lorsqu’ils intentent une action judiciaire. « Lorsque nous avons gagné notre action pour faire condamner les systèmes anti-copie sur les DVD, le consommateur qui était avec nous n’a reçu que 100 euros de dommages et intérêts », nous rappelle la responsable juridique de l’UFC. Il semble donc totalement irréaliste d’annoncer 1000 euros à chacun dans le cadre d’une action collective…

« Nous réclamons 1000 euros« , expliquent les avocats de ClassAction.fr. Mais rien ne dit, effectivement, qu’ils les obtiendront. La subtilité des mots et de la grammaire, c’est un art que connaissent bien les juristes…

La manœuvre est d’autant moins appréciée à l’UFC que le site qui prétend défendre les consommateurs s’appuie sur le succès que l’association a elle-même obtenu à la Cour d’Appel de Paris le 22 avril 2005. « Nous ne voulions pas gagner d’argent avec cette action, mais établir le principe« , nous explique Isabelle Faujour.

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