Il n’y a guère que l’industrie musicale, la Sacem et quelques députés (sans réel intérêt pour le public) à considérer que le projet de loi étudié à partir de lundi 3 juin à l’Assemblée Nationale est un bon projet de loi. Loin de faire évoluer le Droit dans le sens d’une conciliation, il renforce la contractualisation du droit d’auteur au détriment des libertés individuelles et culturelles. Menaçant le droit à la copie privée, il condamne jusqu’à la possession des outils permettant de se défaire des DRM.
Aussi lorsque les quatorze organisations formant l’Alliance Public-Artistes présentent par contraste leur projet de légalisation du P2P, chacun est tenté de se laisser séduire. « La licence globale permet aux internautes de procéder librement et en toute sécurité juridique, au téléchargement de fichiers ainsi qu’à leur mise à disposition sur Internet« , expliquent les signataires du texte commun. « En échange, une rémunération est prélevée au niveau des fournisseurs d’accès, sous la condition que le partage des œuvres se fasse sans aucun but commercial« .
Concrètement, une redevance mensuelle de quelques euros devra être versée par l’internaute à son fournisseur d’accès, mais chacun garde (au moins sur le papier) la possibilité de refuser de payer ce forfait s’il ne partage de musique sur Internet ou s’il souhaite risquer l’illégalité. Les FAI remettent alors à une société de gestion désignée par le gouvernement les sommes collectées, laquelle société de gestion redistribuera les sommes aux organisations d’auteurs, d’artistes et de producteurs. L’UFC-Que Choisir a calculé qu’à un niveau de rémunération de 1,5 euros par mois, la redevance versée par les FAI « génèrerait 150 millions d’euros en 2004 et 250 millions d’euros en 2010 compte tenu de la pénétration du haut-débit« . A titre de comparaison, en 2004 la taxe sur les supports vierges avait rapporté 65,34 millions d’euros aux ayant droits de la musique, alors que les perceptions traditionnelles (versées par les discothèques, radios et autres commerces) rapportaient plus de 480 millions d’euros.
Entre 4 et 7 euros mensuels pour couvrir l’ensemble des échanges
Avec les 1,5 euros calculés par l’UFC-Que Choisir, les internautes pourraient télécharger et partager librement toute la musique du monde, que ça soit sur les réseaux P2P, à travers des blogs, par e-mail ou par tout autre mode de communication sur Internet. La liberté de diffusion musicale à titre gratuit serait totale et les procès prendraient aussitôt fin.
Mais l’Alliance n’a pas souhaité se limiter à la musique. La demande croissante en films et séries télévisées nous montre que le monde du cinéma est lui aussi fortement concerné par la copie et la diffusion illicite de ses œuvres sur Internet. En ce qui les concerne, la problématique est plus complexe. Une œuvre cinématographique est exploitée en salle, en magasins, sur la télévision en clair, sur les chaînes cryptées, sur les kiosques pay-per-view,… Toute une chronologie des média régie le modèle économique audiovisuel. Une licence globale la perturberait fortement. L’Alliance propose donc de légaliser le téléchargement et l’upload des œuvres cinématographiques (moyennant le paiement d’une rémunération entre 3 et 5 euros), mais uniquement pour les œuvres sorties… quatre ans plus tôt. Pour le reste, les signataires comptent sur le sens civique des internautes et la pédagogie. Bien optimiste, et finalement assez éloigné de l’objectif de « pragmatisme » affiché.
La conférence de presse organisée vendredi ne fit pas état non plus des mesures techniques d’audience qui permettront de répartir au mieux les sommes collectées, auprès de chaque artiste. « Les solutions techniques existent, ça n’est pas un problème« , assure un représentant de la Spedidam. Mais comme pour tous les systèmes de gestion collective, c’est un peu la boîte de Pandore que l’on ouvre au dernier moment, en croisant les doigts pour que personne ne s’y attarde de trop.
Ce qui était important vendredi pour les organisations de créateurs et les groupes de défense des consommateurs, alliés sur la même table, c’était de faire passer deux messages. Tout d’abord, comme le rappelait Alain Bazot de l’UFC, « la gratuité n’est pas une revendication des consommateurs« . Ensuite, tous soutiennent qu’il existe des alternatives aux DRM et à la répression pour que la création artistique puisse continuer à exister de façon rémunérée, dans un environnement social apaisé.
Un débat économique et un débat social
L’enjeu financier pour les sociétés de gestion qui ne vivent que de ce type de rémunération est évidemment très important. Il faut dire qu’avec l’ensemble des internautes cumulés, la somme virtuelle est rondelette. Les membres de L’Alliance notent en effet qu' »en considérant qu’une perception ait pu être prélevée au niveau des fournisseurs d’accès sur la base d’un montant mensuel de 5 euros auprès des internautes connectés au haut débit depuis ces trois dernières années, 600 millions d’euros auraient pu revenir aux ayants droit dont les œuvres sont utilisées« .
Et au total, pour couvrir l’ensemble des types d’œuvres, « une rémunération alternative située entre 4 et 7 euros n’est pas sans fondement« , juge l’Alliance.
Entre 4 et 7 euros pour pouvoir abolir le monopole des industries sur la distribution des œuvres, pour s’affranchir de tout risque de procès, et pour rémunérer les artistes, c’est sans doute un bon compromis. Personne ne peut rester insensible à la formidable avancée sociale que promet un tel système.
Cependant, il serait précipité de se jeter sur cette proposition. Jean Vincent, le directeur juridique de l’Adami, et Julien Dourgnon de l’UFC-Que Choisir n’ont cessé de dire qu’il y avait encore de nombreux points sur lesquels discuter. Le modèle théorique est bon, mais l’on sentait bien vendredi que les bases étaient encore friables.
Il faudrait encore plusieurs mois de consultation, de réflexion et de débat avant que ne puisse réellement se décider la mise en place d’une telle licence globale dont les modalités concrètes d’application sont encore bien trop floues. Comment les FAI présenteront-ils le contrat aux abonnés ? Quels seront les modes de contrôle des morceaux écoutés par les internautes ? Sur 5 euros versés, combien iront réellement dans le porte-monnaie des auteurs, des artistes et des interprêtes ? Ne faut-il pas désigner plusieurs sociétés de gestion pour encourager chacune à être plus performante que l’autre ?
Toutes ces questions demandent du temps. Et face au projet de loi sur le droit d’auteur dans la société de l’information, c’est bien de temps dont il manque…
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