L’armée de l’Air et de l’espace planche depuis plusieurs années sur la militarisation de l’espace, un milieu désormais crucial pour les opérations militaires.

Bref coup d’œil dans le rétro : en juillet 2019, Emmanuel Macron annonçait la création d’un commandement militaire de l’espace. Six ans plus tard, les bureaux définitifs de la nouvelle structure basée à Toulouse doivent être livrés pour la fin de l’année 2025. Une année doublement décisive, avec également l’aboutissement d’un des futurs joujoux des militaires français de l’espace, le projet Yoda. Cet acronyme en clin d’œil à Star Wars signifie « Yeux en orbite pour un démonstrateur agile ». Concrètement, il s’agit ici de lancer cette année deux nanosatellites en orbite basse chargés de « détecter, identifier, protéger et le cas échéant agir ». Un programme, en retard, qui sera ensuite suivi de « Toutatis », avec là aussi la mise sur orbite de deux petits satellites capables de surveiller l’espace et d’agir.

Pourquoi un tel intérêt des militaires pour les immensités qui entourent notre belle planète bleue ? Tout simplement parce qu’aujourd’hui, « il n’y a plus de défense sans espace ni d’espace sans défense », vient de rappeler Philippe Steininger, le conseiller militaire du président du Centre national d’études spatiales (Cnes), l’agence française qui met en œuvre le programme spatial français. Le général intervenait jeudi 23 janvier dans un instructif colloque de l’armée de l’air et de l’espace organisé à Paris. Son thème ? Sans surprise, « Supériorité aérienne et maîtrise de l’espace ».

La guerre moderne ne plus guère se faire sans une maîtrise de l’espace

Si les aviateurs regardent de plus en plus les étoiles, c’est tout d’abord parce que la guerre passe de plus en plus par l’espace. Les satellites ne permettent plus seulement d’aider à définir une stratégie, ils servent directement à faire la guerre sur le terrain. Géolocalisation, télécommunications ou renseignement… Le fantassin qui va agir au sol va peut-être recevoir l’information cruciale via un satellite, comme le drone envoyé en profondeur pour frapper l’ennemi. Avec autant de capteurs, « cela deviendra impossible de dissimuler une manœuvre militaire d’une ampleur significative, il faudra procéder autrement » pour tromper l’adversaire, note Philippe Steininger.

Composante spatiale optique CSO
Les satellites servent par exemple à recueillir des images précises pour le renseignement. // Source : CNES

« S’il y a un conflit, il faudra être prêt », signale donc à Numerama le général de division aérienne Vincent Chusseau, l’un des cadres de l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace. Il faut être ainsi capable de protéger ses satellites, au sol, avec leurs installations de soutien, ou à des milliers de kilomètres au-dessus de nos têtes. Que ce soit donc contre des manœuvres agressives dans le vide sidéral ou contre des tentatives d’espionnage, notamment cyber. Ou enfin contre des débris – plus ou moins accidentels – qui pourraient les endommager dans l’espace… 

Le précédent KA-SAT lors de la guerre en Ukraine

Cette bataille a déjà commencé. Exemple avec l’Ukraine : la Russie a frappé le satellite KA-SAT utilisé par l’armée ukrainienne dès le début de son invasion. Puis Elon Musk a ouvert aux troupes de Kiev les portes de Starlink. Mais le milliardaire controversé a ensuite refusé l’emploi de son réseau satellitaire de télécommunications dans certaines zones. « À faire trop confiance à un acteur étranger, on crée une dépendance qui devient un levier d’action », observe Joseph Henrotin, rédacteur en chef du magazine Défense et Sécurité Internationale.

Une supériorité spatiale qui n’est pas donnée à tout le monde, car le ticket d’entrée est très cher. Lancer une constellation de satellites « demande d’énormes investissements », hors de portée des seuls militaires, rappelle Vincent Chusseau. Pour éviter d’être ainsi à la merci du bon vouloir d’une entreprise privée, les militaires français misent ainsi sur les constellations OneWeb et IRIS² de l’Union européenne. « Les forces armées pourront s’y connecter pour partager des informations ou des services, c’est une extension du cloud vers l’espace », se projette le général de division aérienne.

Des butineurs trop curieux

Ce ne sont pas les seuls projets kaki dans l’espace. Les militaires réfléchissent à des armes exo atmosphériques, comme ces missiles intercepteurs capables de toucher au but en dehors de l’atmosphère terrestre. Un combat spatial qu’Israël aurait déjà ouvert en interceptant des missiles tirés par l’Iran et par les rebelles houthis. Il y a par ailleurs les satellites butineurs, comme celui dénoncé en septembre 2018 par l’ancienne ministre Florence Parly. Un engin russe, le Luch-Olymp, s’était approché un peu trop près du satellite franco-italien Athena-Fidus dévolu aux communications militaires.

« C’était la première fois que nos moyens de surveillance de l’espace nous permettaient de repérer une telle manœuvre en temps réel », précisait le général Michel Friedling dans son livre Commandement de l’espace aux éditions Bouquins. Pour ce spécialiste, le satellite suspect était probablement capable d’écouter le spectre électromagnétique pour analyser les signaux perçus. Ou encore en mesure de saturer des liaisons avec la terre ou de localiser un utilisateur terrestre.

Le Far West de la très haute altitude

Il y a également toute cette zone grise, la très haute altitude, « un véritable far west ». Ce n’est pas encore l’espace, délimité par la ligne de Kármán, mais c’est une tranche difficile d’accès qui intéresse les militaires. On y retrouve les ballons stratosphériques, dont la Chine a été accusée d’avoir recours, ou les armes hypervéloces. Les militaires planchent sur ce genre de technologies qui doivent leur permettre d’obtenir des avantages déterminants. « De l’allonge », « une permanence » et « une survivabilité » en étant « au-dessus de la mêlée », note le général de brigade aérienne Alexis Rougier, en charge de ce milieu à l’état-major de l’armée de l’air et de l’espace.

Le ballon d'espionnage aperçu par un citoyen américain dans l'État du montana. // Source : Chase Doak
Le ballon d’espionnage aperçu par un citoyen américain dans l’État du montana. // Source : Chase Doak

Au-dessus, d’autres capacités, notamment cinétiques, voire nucléaires, bien qu’interdites par un traité de 1967, sont enfin étudiées. Y compris l’option du laser. Un laser utilisé depuis l’espace contre une cible dans l’espace, on ne l’a pas encore vu, « mais il est peut-être déjà là », avertit le général de division aérienne Philippe Adam. « La bombe nucléaire, c’est une possibilité sérieuse qui n’arrange personne », poursuit-il. Le militaire, qui dirige le commandement de l’espace, est justement chargé de parer à toute éventualité. « Les menaces sont déjà là, nous avons intérêt à ne pas perdre de temps », insiste-t-il.

Pour le haut gradé, cela passera par une stratégie de défense à la fois passive et active, avec des capteurs pour « voir ce qu’il se passe » et des missions d’observation, ainsi que « des moyens d’action dans l’espace », c’est-à-dire moyens offensifs. Les militaires marchent toutefois sur des œufs. La destruction d’une cible en orbite pourrait engendrer des débris et donc des dommages collatéraux. Une tendance qui va forcer l’industrie spatiale à penser plus à la résilience de ses bijoux de technologie. Qu’on le déplore ou qu’on l’approuve, la militarisation de l’espace est en marche. Il vaut mieux désormais y être prêt.

Découvrez les bonus

+ rapide, + pratique, + exclusif

Zéro publicité, fonctions avancées de lecture, articles résumés par l'I.A, contenus exclusifs et plus encore.

Découvrez les nombreux avantages de Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Vous avez lu 0 articles sur Numerama ce mois-ci

Il y a une bonne raison de ne pas s'abonner à

Tout le monde n'a pas les moyens de payer pour l'information.
C'est pourquoi nous maintenons notre journalisme ouvert à tous.

Mais si vous le pouvez,
voici trois bonnes raisons de soutenir notre travail :

  • 1 Numerama+ contribue à offrir une expérience gratuite à tous les lecteurs de Numerama.
  • 2 Vous profiterez d'une lecture sans publicité, de nombreuses fonctions avancées de lecture et des contenus exclusifs.
  • 3 Aider Numerama dans sa mission : comprendre le présent pour anticiper l'avenir.

Si vous croyez en un web gratuit et à une information de qualité accessible au plus grand nombre, rejoignez Numerama+.

S'abonner à Numerama+

Si vous avez aimé cet article, vous aimerez les suivants : ne les manquez pas en vous abonnant à Numerama sur Google News.

Certains liens de cet article sont affiliés. On vous explique tout ici.