On avait annoncé la décision MGM c. Grokster de la Cour Suprême américaine comme devant être la plus importante pour le droit d’auteur depuis l’arrêt Betamax de 1984. Elle devait dire si oui ou non créer et diffuser un logiciel de P2P était légal en Amérique du Nord. C’est finalement une décision de pure opportunité qui a été rendue, sans grande importance jurisprudentielle, mais c’est sans surprise que certains lobbystes s’en sont emparés pour désinformer le public.

Nous l’avons dit, le Peer-to-Peer n’a pas perdu face à la Cour Suprême. Il n’a pas perdu socialement, puisqu’il existera toujours et sera de plus en plus fort à mesure que les techniques nouvelles de partage de fichiers et de communication entre P2Pistes se développent. Mais surtout il n’a pas perdu juridiquement. La Cour a rendu un arrêt d’espèce qui n’a fait qu’examiner l’esprit et la forme avec lesquelles Grokster et Morpheus ont été « marketés » auprès du grand public. Dans une analyse de la décision, publiée sur Juriscom, Jean-Louis Fandiari note que « la Cour Suprême s’est concentrée sur le cas de deux distributeurs de logiciels de peer-to-peer dont elle a décortiqué les agissements« . « Il est impossible de prétendre aujourd’hui, comme l’ont déjà fait plusieurs communiqués et quelques journaux, que cet arrêt est généralisable à tous les distributeurs de logiciels de peer-to-peer« , conclue t-il.

Si la Cour Suprême a renvoyé Grokster et Morpheus devant les juges du fond, c’est uniquement parce qu’elle a considéré à très juste titre que les deux éditeurs (Grokster et StreamCast) avaient fait la publicité de leur logiciel en ventant explicitement les contenus piratés disponibles. L’absence de filtrage et la vente d’espaces publicitaires sur les logiciels sont venus appuyer la thèse d’une incitation active au piratage, mais ces critères sont accessoires.

Le jugement est par ailleurs un véritable manuel que l’on conseillerait à tout créateur de logiciel de P2P. « Ne faites pas comme Grokster et Morpheus, ou soyez beaucoup plus discrets, et vous ne craindrez rien de notre part », semble dire en substance le texte du jugement.

Pour autant les organisations qui ont des intérêts dans la lutte contre les services de P2P n’ont pas tardé à saluer avec force ce qu’elles font passer pour une décision anti-P2P de la plus haute Cour américaine. Evidemment il y eut la RIAA, qui se félicite de ce que « la Cour Suprême s’est penchée sur une menace significative pour l’économie US et a agi pour protéger les ressources de plus de 11 millions d’américains employés par l’industrie du copyright« . Son homologue en France, le SNEP (Syndicat National de l’Edition Phonographique), a lui salué une décision qui « donne un signal positif aux producteurs et créateurs de musique du monde entier en reconnaissant la responsabilité des éditeurs de logiciels de partage qui favorisent le piratage de la musique sur le web« .

Et que dire du ministre français de la Culture, qui salue une décision de Justice américaine en demandant par voie de communiqué officiel qu’elle nous serve à nous petits français de base de réflexion pour « faire progresser le débat en France ». Il fallait oser.

Plus de bruit que de mal

La presse elle-même s’est laissée aller au lyrisme. « Hollywood gagne la bataille du téléchargement« , titrait Le Monde. Libération, pourtant d’ordinaire très juste sur ces questions, parle de « Claque pour le peer-to-peer« . Pour 01net, « Les éditeurs de logiciels de P2P [sont] jugés responsables du piratage« .

Personne ne semble avoir voulu affirmer haut et fort cette vérité qui est que l’industrie du disque a perdu. Créer un logiciel de P2P n’a rien d’illégal, le vendre non plus, à condition de ne pas en faire la promotion en incitant les utilisateurs à échanger des contenus protégés par le droit d’auteur. Quoi de plus naturel ? Les éditeurs de logiciels de P2P n’ont pas attendu la décision de lundi dernier pour adopter un tel comportement. Il faut rappeler que les faits sur lesquels la Cour Suprême s’est basée datent de 2001. Aujourd’hui plus personne n’ose comparer son logiciel à l’ancien Napster, ou promouvoir la disponibilité du top 50 sur son réseau.

Mais les interprétations faussées font plaisir à certains financiers. Mardi, l’action de Vivendi Universal a ainsi pris +1.22% à 25,73 euros à la Bourse de Paris. Cercle Finance a indiqué aux boursicoteurs que l’affaire Grokster portait un coup dur pour les plateformes P2P comme Kazaa, eMule ou BitTorrent, qui devront désormais limiter leurs contenus à des fichiers libres de droit d’auteurs ou payants« . Les joies de la bourse.

La Spedidam dénonce

Jeudi, la Spedidam (qui avec l’Adami gère les droits des artistes-interprètes) a de son côté dénoncé « l’utilisation abusive qui est faite de l’arrêt de la Cour Suprême des Etats-Unis rendu le 27 juin dernier à propos de l’affaire Studios MGM c/ Grokster et StreamCast« . C’est elle qui avec quelques autres organisations réunies au sein de l’Alliance Public-Artistes défend l’idée de l’instauration d’une licence globale qui légaliserait à la fois le téléchargement et l’upload de musique sur les réseaux P2P.

Prenant donc comme à son habitude la défense du Peer-to-Peer et de ses utilisateurs, l’organisation considère que l’arrêt de la Cour Suprême « n’est pas novateur et ne changera rien aux pratiques actuelles, et rappelle avec justesse que les mêmes auto-félicitations avaient déjà été célébrées en 2001 lors de la fermeture de Napster. « Quatre ans et demi plus tard personne ne pourrait prétendre que les logiciels de peer-to-peer ont disparu. Ils sont maintenant innombrables et les plus récents permettent aux internautes de camoufler leurs pratiques en masquant leurs adresses IP ou en cryptant les échanges. L’histoire ne fera-t-elle donc que se répéter ?« , demande la Spedidam.

Laissons-les le croire encore un peu…

C’est toujours attendrissant, un enfant assis devant un sapin de Noël…

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