On ne sait pas très bien quoi en penser, mais l’étude n’en est pas moins intéressante. Matthieu Latapy, Clémence Magnien et Raphaël Fournier, membres du laboratoire de recherche en informatique de Paris 6 (Lip6) sous tutelle de l’Université Pierre & Marie Curie, et du CNRS, ont publié une étude (.pdf) sur la quantification des requêtes pédophiles sur les réseaux P2P. D’après leur analyse des logs de deux serveurs eDonkey en 2007 et 2009, 0,25 % des requêtes sur eMule seraient liées à des contenus pédophiles, ce qui paraît à la fois énorme et très peu.
Pour réaliser leur étude, les chercheurs ont établi avec des experts des listes de mots clés, associés exclusivement ou non à des contenus pédopornographiques, qui leur ont permis d’établir les requêtes suspectes. 21 experts issus notamment d’Europol, des autorités françaises et danoises, et de plusieurs ONG, ont ensuite été invités à « tagger » les requêtes pour les classer entre recherches pédophiles, probablement pédophiles, probablement pas pédophiles, et non pédophiles. Ils ont alors obtenu 42 059 réponses pour un échantillon de 3000 requêtes testées.
Au final, il en ressort que 0,25 % des requêtes présentes dans les logs étudiés (plusieurs centaines de millions de requêtes) seraient des recherches de contenus pédophiles. Plus de 0,2 % des utilisateurs effectueraient de telles recherches. Mais aucun téléchargement n’a pu confirmer que les réponses retournées amenaient effectivement à des fichiers pédopornographiques.
Le plus curieux, dans ce travail, est finalement l’introduction, qui semble démontrer une volonté de prouver que les réseaux P2P sont un repaire de pédophiles qu’il faut éradiquer :
« Il est est largement admis que les systèmes d’échanges de fichiers en peer-to-peer (P2P) hébergent de grandes quantités de contenus pédophiles, ce qui est un problème sociétal crucial. En plus de la victimisation des enfants, la grande disponibilité de contenus pédophiles est un grand danger pour les utilisateurs réguliers, qui peuvent être exposés involontairement à des contenus extrêmement nuisibles. Ils ont aussi un impact fort sur l’acceptation de la pédophilie par le public et induisent une banalisation de tels contenus. Télécharger et/ou fournir des contenus pédophiles est une infraction pénale dans beaucoup de pays, et il y a une corrélation entre le fait de télécharger des contenus pédophiles et le fait d’avoir de véritables rapports sexuels avec des enfants. Ca rend le combat contre ces échanges un problème clé pour les autorités judiciaires.«
On trouve dans cette introduction des raccourcis étonnants, notamment sur la corrélation entre les téléchargements et le passage à l’acte, assénée comme une évidence. Très loin de nous l’idée de vouloir légitimer le partage des contenus pédophiles, bien au contraire, mais un travail scientifique rigoureux ne peut se satisfaire d’envolées lyriques, lorsque la réalité est en fait beaucoup plus complexe.
Peut-être les chercheurs ont-ils voulu cependant mettre les pouvoirs publics devant leurs contradictions, lorsqu’ils ajoutent en introduction que « les gens qui fournissent des indexes de fichiers disponibles sur les réseaux P2P (y compris une petite fraction de contenus pédophiles) sont souvent accusés d’aider et de promouvoir les échanges pédophiles, avec de fortes menaces pénales« . On se souvient que ce fut le cas par exemple de Razorback, dont le procès n’a toujours pas véritablement commencé. En 2007, l’association qui gérait le plus grand serveur eDonkey au monde avait porté plainte contre un expert judiciaire, qui affirmait que « grâce à ce service, il était particulièrement aisé de trouver des images ou des films à caractère pédopornographique« , et que « la disponibilité de ces fichiers sur les serveurs Razorback a été mise en évidence« , alors que Razorback était un simple moteur de recherche.
Finalement, avec 0,25 % de requêtes pédophiles, dont 99,75 % de requêtes non pédophiles, est-il légitime de vouloir fermer ces services au nom de la protection de l’enfance ?
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