Les systèmes de gestion numérique des droits (ou DRMs, Digital Rights Management Systems) ont comme mission de contrôler que l’utilisation faite d’une œuvre a bien été autorisée par l’ayant droit. Il s’agit par exemple, pour un fichier PDF, de vérifier que le droit d’imprimer le contenu a bien été consenti par le créateur du document. Pour la musique, il s’agira de comptabiliser le nombre de fois où le morceau a été gravé sur CD, et de bloquer toute gravure au delà du nombre autorisé. Il s’agit aussi d’interdire à quelqu’un qui n’a pas acquis de licence de tout simplement accéder à l’œuvre, de voir son contenu. Et c’est bien là le nerf de la guerre pour les opposants aux DRM.
Contrairement à une idée bien répandue, lutter contre les DRM, ça n’est pas lutter pour un « droit au piratage », ni même seulement pour un droit à la copie.
Le DRM, par essence, conduit à confier à la technique le soin de décider ce qui peut ou ne peut pas être fait. La généralisation de ces mécanismes de contrôle et d’interdictions conduit le public à ne pouvoir faire que ce qui a été prévu par les ayants droit.
Mais que faire quand une utilisation légitime n’a pas été prévue par l’auteur, le producteur ou le distributeur de l’œuvre ?
Pour le moment, la loi accorde au public une série d’exceptions qui lui permettent d’enfreindre légalement le droit d’auteur lorsque certaines conditions sont réunies. Pour la fameuse « copie privée », il s’agit par exemple d’avoir le droit de reproduire intégralement une œuvre, si cette reproduction ne sert qu’à celui qui copie l’œuvre, et/ou à sa famille et à ses amis proches.
Aux Etats-Unis, la loi est beaucoup plus vague. Plutôt que d’énumérer les exceptions et de donner des critères précis pour chacune d’entre elles, les américains ont préféré édicter le principe général de « fair use », ou « utilisation équitable ». Cette doctrine dispose que quiconque a le droit d’utiliser librement une œuvre sans l’autorisation expresse de l’ayant droit dès lors que cette utilisation est légitime, et ne porte pas atteinte de manière injustifiée aux intérêts des ayants droit. Une personne aveugle pourra ainsi faire traduire un livre en Braille sans requérir l’autorisation de l’éditeur.
Studios contre fair use
Que pourrait-on faire si l’on devait appliquer strictement la loi et oublier l’existence du fair use ? L’expérience a été tentée par J.D. Lasica, co-fondateur du site d’art indépendant Ourmedia.org. Il a demandé à sept studios d’Hollywood la permission d’utiliser un extrait de leurs films dans un petit film amateur destiné à rester dans les placards de la famille.
Réponse de Walt Disney à la demande d’utiliser 30 secondes de Marry Poppins (sorti en 1964) : « Etant donné le nombre croissant de requêtes que nous recevons de la part d’individus, de groupes scolaires, d’églises, d’entreprises et d’autres organisations qui désirent utiliser des clips de nos productions au sein de leurs projets vidéo (…) nous avons dû établir une politique générale de non-coopération avec les requêtes de cette nature. Malheureusement, nous n’avons tout simplement pas le personnel nécessaire pour contrôler et examiner tous les détails de chacune des requêtes spécifiques que nous recevons afin de déterminer si les utilisations requises sont acceptables selon nos directives« .
Tous les studios auront sensiblement les mêmes réponses. Universal demande 900 dollars pour un extrait de 15 secondes de La Momie. Certains ne répondent pas.
Seul le département juridique de Columbia TriStar Home Entertainment finira par indiquer à Lasica que l’utilisation qu’il souhaite faire de Rudy tombe dans le cadre du fair use.
Mais que faire lorsque ce sont des DRM, qui contrôlent tout ?
Actuellement, il est facile pour Lasica et la plupart du public de ne pas demander d’autorisation aux studios, et d’exploiter l’œuvre sans autorisation. Le fair use est un droit, et une possibilité.
Avec les DRM, le fair use reste un droit, mais la possibilité disparaît.
Comment extraire 30 secondes de Marry Poppins si le film est protégé par un DRM qui vérifie, avant de me donner accès à l’œuvre, si je me suis bien acquité des droits pour regarder le film ? Comment ensuite extraire seulement 30 secondes si le DRM vérifie que j’ai bien acquité les droits de reproduction intégrale de l’œuvre ?
Si les DRM devenaient parfaitement inviolables, le public perdrait toute possibilité d’utiliser une œuvre en dehors du cadre restreint prévu par les ayants droits. Et l’on a vu que les ayants droit, pour diverses raisons, n’accordent pas d’eux mêmes ce qui semble naturellement légitime à tout un chacun.
Heureusement, pour le moment, tous les DRM peuvent être contournés et il suffit de les craquer pour s’offrir le luxe du fair use.
Mais qu’en sera-t-il si les mesures de protection techniques qui accompagnent les DRM se renforcent au point qu’elles deviennent inviolables ?
Comment justifier surtout que le projet de loi sur le droit d’auteur dans la société de l’information condamne toute utilisation ou toute mise à disposition d’outils qui permettent de contourner ces mesures de protections ?
Il est temps que le législateur renonce véritablement au projet de loi plutôt que de le repousser sans cesse, et exige une révision importante des accords de 1996 qui lui ont donné naissance…
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