Hier lors d’une interview avec Le Point, Vahé Torossian, le nouveau président de Microsoft France expliquait : « Notre stratégie pour Windows Phone est de nous focaliser sur la partie entreprise, nous sommes aujourd’hui sortis de la partie grand public ». Une phrase qui a depuis fait le tour du web tech francophone : enfin, Microsoft aurait reconnu abandonner le marché grand public avec son système mobile après des années de mauvais résultats.
Le président en ajoutait alors une couche : « Nous faisons le pari d’un saut technologique dans quelques années, avec un changement de paradigme. Durant le temps de cette transition, notre attention se portera principalement sur le marché professionnel ».
Numerama déconseille l’achat d’un Windows Phone pour l’instant
Depuis, l’article a été modifié et Microsoft se veut plus rassurant dans ses tournures, affirmant qu’il « continue le support et la mise à jour des smartphones sous Windows, ainsi que le développement de nouveaux appareils ». Pourtant, cette insécurité dans la communication et l’exécution est exactement le contexte que nous décrivions dans notre guide d’achat de la rentrée et qui nous pousse à déconseiller fermement l’achat d’un smartphone sous l’OS de Microsoft, au moins pour le moment.
Il est donc peut-être l’heure de revenir en arrière et de tenter de comprendre les raisons de l’échec de Windows Phone mais aussi l’avenir de la stratégie de Microsoft et ce qu’elle signifie pour les ambitions de l’entreprise sur le marché.
Le Windows Store au cœur du problème
Demandez à n’importe quel connaisseur pourquoi Windows Phone n’a jamais réussi à percer et il vous répondra : le Windows Store. En réagissant trop tardivement à la révolution iPhone, Microsoft est devenu le troisième écosystème derrière iOS et Android et n’a jamais réussi à convaincre les développeurs d’embrasser sa plateforme.
Du coup, sur Windows Phone on ne retrouvera pas les dernières applications à la mode, qui sortent toujours pour iOS et éventuellement après sur Android, on ne retrouve pas certains grands noms comme Google ou Snapchat et on ne retrouve pas la myriade de petites applications locales comme probablement celle de votre ville ou du service de transport en commun que vous empruntez tous les jours. Mis bout à bout, ce manque d’application va souvent détourner le client qui, pour un smartphone du même prix, pourra aller chez la concurrence Android avec une boutique complète.
De ce problème découle toute la stratégie de développement de Windows 10. Avec ce nouveau système, Microsoft propose une boutique d’applications universelles, compatibles avec les PC, la Xbox, les tablettes ou Hololens. Les développeurs qui créent une application pour Windows ne touchent alors plus les quelques millions d’utilisateurs de Windows Phone, mais les 400 millions d’appareils sous Windows 10.
Pour atteindre ce chiffre, Microsoft n’a pas hésité à forcer offrir la mise à jour vers Windows 10 pendant un an. Pour éviter l’échec Windows 8, Microsoft a également ouvert le programme Insider qui permet de tester en avance les mises à jour du système et faire des retours à la firme. Pour pousser les utilisateurs à aller sur le Windows Store, Microsoft y a ajouté les logiciels classiques win32, sa musique, ses films et a placé des suggestions d’application directement dans le menu démarrer et sur l’écran de verrouillage.
L’éditeur a également permis l’ajout de web-app développées en HTML / JavaScript, mais surtout de convertir des applications iOS grâce une interprétation du langage Objective-C par Windows. Enfin, Microsoft a racheté cette année la société Xamarin qui permet de développer des applications multiplateformes. On imagine que l’application universelle de demain ne sera plus uniquement pour un appareil Windows, mais aussi pour Android et iOS.
Vous l’aurez compris : Microsoft veut tout faire pour que les développeurs créent des applications pour le Windows Store et pour que les utilisateurs consultent la boutique et génèrent du revenu pour les développeurs, créant ainsi un cercle vertueux qui existe déjà sur iOS et Android.
En attendant que le store se remplisse, que faire ?
En développant Windows 10 et en faisant de Windows Mobile une simple variante mobile ARM de son système d’exploitation, Microsoft a drastiquement minimisé les coûts de développement de son système d’exploitation mobile.
Lorsqu’une mise à jour arrive sur Windows 10, elle arrive aussi sur Windows 10 Mobile et lorsque Microsoft met à jour une application sur Windows 10, elle est aussi mise à jour sur Windows 10 Mobile.
Malgré cela, commercialiser une gamme complète de smartphones, les Lumia, en faire la publicité et les maintenir demanderait un gros coût pour Microsoft alors que l’entreprise sait pertinemment qu’ils ne se vendront pas, tant que le problème Windows Store ne sera pas réglé.
Microsoft a donc décidé d’arrêter les frais et de se retirer du marché du smartphone grand public. Bien sûr, la firme continuera à mettre à jour le système, à prendre en charge les Lumia existants et à proposer son OS aux fabricants partenaires.
Cap sur Surface Phone
Pendant que la division mobile de Microsoft se noyait un peu plus à chaque version de Windows Phone, un produit et une division de la firme ont su briller sur un marché où l’on pensait Microsoft perdante. Il s’agit de la division Surface et de la tablette 2-en-1, la bien nommée Surface Pro.
Impossible d’imaginer en 2013, après l’échec retentissant de la Surface RT et de la première génération de Surface Pro, que Microsoft parviendrait à créer un business à 1 milliard de dollars de chiffre d’affaires, par trimestre. Impossible d’imaginer la firme de Redmond forcer Apple à se lancer sur un nouveau marché avec l’iPad Pro, et sortir l’appareil avec un périphérique que la marque reniait jusque-là : le stylet.
Depuis le succès de la Surface Pro 3, Panos Panay qui dirigeait l’équipe Surface a été promu et s’occupe maintenant de tous les appareils produits par Microsoft, comme la récente Xbox One S, mais aussi le développement des smartphones. Ça tombe bien car depuis de nombreuses années, on dit que l’homme voulait créer un smartphone pour Microsoft, mais le projet avait toujours été repoussé pour ne pas froisser les partenariats, tantôt avec HTC, tantôt avec Nokia.
Maintenant qu’il en a l’autorité, beaucoup de sources internes chez Microsoft ont déjà confirmé à la presse que le Surface Phone était en cours d’élaboration. Impossible en revanche de savoir si le produit sortira un jour : la Surface Mini avait été annulée par Satya Nadella quelques jours avant la conférence de lancement.
En attendant, plein feu sur Android et iOS
Pour Microsoft, vendre du Windows Phone n’est pas, ou n’est plus, le seul moyen d’être présent sur le marché mobile. Depuis l’arrivée de Satya Nadella comme président de l’entreprise, Microsoft s’est énormément ouverte à la concurrence et propose maintenant un catalogue d’applications impressionnant, sur iOS et sur Android.
L’éditeur est même parfois épinglé par ses fans car il propose des applications d’abord chez la concurrence avant de les diffuser sur Windows — quand, crime de lèse-majesté, il ne propose pas de meilleures versions sur iOS et Android, avec plus de fonctionnalités que sur les produits Microsoft.
Sur Android, Microsoft propose presque tout ce qu’il faut pour se passer des applications de Google ou du fabricant : un launcher alternatif, un lockscreen, un clavier, un outil de gestion des mails, de l’agenda, de la prise de note, du stockage dans le cloud, de la lecture de musique, etc. Finalement, aujourd’hui, il ne manquerait plus que la firme adapte Microsoft Edge à Android et iOS pour avoir toutes ses marques en-dehors de ses produits.
Microsoft détient également une panoplie de brevets qui sont, il semblerait, enfreints par les fabricants qui proposent des smartphones sous Android. Auparavant, Microsoft réclamait une dime par smartphone vendu aux fabricants mais la société a changé son fusil d’épaule et signe maintenant des partenariats. En échange de l’usage des brevets, les 71 fabricants acceptent d’installer certaines applications de Microsoft (Outlook, Skype et Office le plus souvent), sur leurs téléphones. Malin.
Microsoft se relèvera-t-il vraiment de 2016 ?
Malgré tout, on peut se demander si Microsoft redeviendra vraiment un jour une entreprise ambitieuse avec Windows Mobile et choisira de sortir le Surface Phone. Le marché mobile est maintenant mature et tout le monde, particulier ou entreprise, s’équipe avec l’offre disponible sur Android et iOS. On se demande également si le Windows Store se remplira vraiment un jour : malgré le parc d’utilisateurs impressionnant si l’on cumule toutes les versions de Windows, les chiffres d’utilisation de cette plateforme sont encore très faibles.
Pour que Microsoft perce réellement sur le marché, il faudra que Windows 10 Mobile parvienne à rattraper suffisamment son retard et devienne aussi agréable à utiliser qu’Android ou iOS — et plus seulement en interne, mais comme un écosystème fonctionnel embarquant aussi bien les produits maison que les produits tiers, une caractéristique qui fait la force de la concurrence et en particulier d’iOS.
Il faudra également que le Surface Phone fasse l’effet d’une bombe sur son marché, comme l’a fait l’iPhone en son temps ou la Surface Pro dans une moindre mesure. Alors oui, c’est à peu près sûr : pour que Microsoft perce, il faut que le paradigme qui fait le marché actuel change radicalement.
Et s’il le fait, Microsoft devra également avoir une vision claire, une bonne communication et une volonté de fer pour ne pas finir dans l’oubli.
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