Connaissez-vous ProtonMail ? Si vous répondez par la négative, alors c’est peut-être parce que Google vous a sciemment caché l’existence de de service de messagerie sécurisée. C’est la thèse que défend l’entreprise basée en Suisse et dont la spécialité est de fournir un webmail qui permet aux correspondants de s’envoyer du courrier en étant les seuls à détenir la clé qui permet d’en lire le contenu.
Dans un article de blog publié cette semaine, l’un des trois cofondateurs du service, Andy Yen, développe en effet un argumentaire qui l’a amené à penser que la firme de Mountain View a volontairement masqué le site web de ses résultats lorsque certains mots-clés étaient inscrits par les internautes dans la champ de saisie du moteur de recherche, comme « secure email » et « encrypted email ».
La sortie de ProtonMail de l’index de Google aurait duré pratiquement un an, selon les constatations de l’intéressé. Le classement du service spécialisé a commencé à apparaître suspect à partir du mois d’octobre 2015 avant de revenir à la normale début août 2016. En parallèle, Andy Yen relève que la situation chez les moteurs concurrents (Bing, Yahoo, DuckDuckGo, Baidu et Yandex) était normale.
Bien entendu, ProtonMail n’ignore pas que 2015 a été une année particulière. La plus significative est l’abandon de son précédent nom de domaine qui utilisait le domaine national de premier niveau de la Suisse (.ch) au profit d’une adresse plus classique aux yeux de nombreux internautes (.com). Ce changement a un effet sur la position d’un site dans les moteurs mais c’est censé ne durer qu’un temps.
Autrement dit, ProtonMail s’attendait certainement à une chute provisoire sur le moteur de Google, de l’ordre de quelques jours à quelques semaines, mais pas à son évanouissement sur une période de temps aussi longue. Surtout que ce phénomène n’a été constaté que sur le service du géant américain. Les rivaux de Google, eux, ont continué à référencer correctement ProtonMail.
Google, maître de la recherche
Le fait est que Google est le moteur de recherche le plus utilisé au monde. En Europe, sa domination est sans partage. Le groupe gère plus de 90 % des requêtes en ligne dans les cinq principaux pays européens (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni). Il est également en position de force ailleurs, comme aux États-Unis et au Canada, même si sa part de marché est nettement moins insolente.
La puissance de Google dans la recherche est telle que des expressions en rapport avec son service sont passées dans le langage courant. Il y a eu en 2014 l’arrivée de « googliser » dans Le Petit Larousse ou encore la tentative infructueuse d’inclure dans le dictionnaire suédois l’équivalent du terme « ingooglable ». Il n’est d’ailleurs pas rare, au détour d’une conversation, d’entendre des phrases du type « google ça ».
Dès lors, ne pas figurer sur Google équivaut à ne pas exister.
ProtonMail l’assure : au cours de sa disparition, sa croissance a ralenti de 25 % pendant pratiquement un an au niveau mondial. Cela n’a pas été sans conséquence sur les affaires du service, Andy Yen évoquant des pertes de revenus s’élevant à « plusieurs centaines de milliers de francs suisses ». Le bouche-à-oreille a toutefois maintenu le site hors de l’eau, ainsi que l’usage de ses fonds mis en réserve.
Au cours de cette période, ProtonMail n’est pas resté les bras ballants. Il a remué ciel et terre pour signaler sa situation à Google. Des formulaires ont été remplis, des messages envoyés sur les réseaux sociaux, des contacts établis. Mais rien. Le salut est finalement venu de Matt Cutts, l’ancien « monsieur SEO de Google ». Même s’il ne fait plus partie de Google depuis mai 2015, il a fait jouer ses relations.
Une mobilisation qui a fini par payer.
« Après quelques jours, Google nous a informés que ses équipes avaient corrigé ‘quelque chose’ sans plus de précision. Les effets [de ce correctif] ont immédiatement été perçus », écrit ProtonMail. Mais aujourd’hui encore, le site ne connaît pas l’origine du problème : une erreur de paramétrage dans les règles qui régissent Google ? Une malveillance visant à déclasser ProtonMail dont le succès était croissant ? ProtonMail dit avoir fait appel à plusieurs cabinets experts en SEO qui n’ont jamais compris d’où venait le problème.
Impossible évidemment de trancher définitivement sur ce point. Si ProtonMail avance sa version des faits, Google de son côté se mure dans le silence. L’affaire soulève toutefois une question qui revient épisodiquement sur le devant de la scène : Google peut-il être à la fois juge (moteur de recherche) et partie (éditeur de services) et prétendre effectuer un classement désintéressé de l’information ?
Google peut-il être à la fois juge (moteur) et partie (éditeur) et prétendre faire un classement désintéressé de l’information ?
Google est en effet plus qu’un moteur de recherche. C’est une vaste galaxie de services et de produits dont la plus petite entité se trouve en concurrence avec les solutions d’autres sociétés. C’est par exemple le cas de Gmail, qui est par nature un rival de ProtonMail (rival tout relatif, il faut bien l’admettre). Bien entendu, Google référence aussi sur son moteur de recherche ses services et ses produits. Mais le fait-il loyalement ?
Il est aujourd’hui impossible de savoir avec certitude si Google favorise son écosystème (ou ceux de ses partenaires) au détriment de ses rivaux ou s’il se montre fair play, car le groupe américain refuse de lever le voile sur la manière dont il organise le classement de son moteur de recherche. Son algorithme est en effet jalousement gardé. On ne sait donc pas si la firme de Mountain View a cédé à la tentation de prendre en compte ses intérêts commerciaux ou s’il traite le web de façon réellement neutre.
Que faire de Google ?
En Europe, l’enjeu de savoir si l’ordonnancement des sites est effectué sur des critères objectifs et sérieux ou si les rouages de Google sont trafiqués a donné naissance à des propositions qui pourraient tôt ou tard poser problème à Google.
En Allemagne, le ministre de la justice évoquait déjà dans la presse locale l’éventualité d’une scission de Google en plusieurs entités indépendantes, dans le cas où la firme de Mountain View continue d’abuser de sa position dominante dans la recherche en ligne. Une vérification de l’algorithme par des services spécialisés du ministère de la justice et par les autorités compétentes a aussi été suggérée outre-Rhin.
En France, l’idée d’un démantèlement de Google est aussi évoqué. Le patron de la SNCF a par exemple évoqué une séparation du moteur de recherche généraliste avec ses autres activités sectorielles. À l’échelle européenne, la Commission a décidé d’ouvrir en 2010 une enquête en abus de position dominante contre Google suite à de nombreuses plaintes de services estimant avoir été déclassés dans le moteur de recherche suite au lancement par Google d’un produit concurrent.
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