Cela fait un bout de temps que j’avais envie d’être augmenté. Comme beaucoup de personnes de notre temps, j’entends souvent parler de transhumanisme, ce courant de pensée qui repose sur l’amélioration des fonctions biologiques par la technologie et qui, dans ses plus grandes envolées, se prend à rêver d’immortalité. D’ailleurs, on compte très peu de modérés à ce sujet — les uns y voient une aliénation de l’homme par la machine, les autres l’alpha et l’oméga de l’humanité au futur.
Les grandes théories sur la perte de ma sacro-sainte « humanité » ne me dérangent pas, pas plus que je sens en moi un devoir quasi-moral de garder pour toujours mon corps « tel que le veut la nature ». Je considère l’augmentation du corps par la technologie comme un prolongement du vêtement dans sa fonction la plus rudimentaire, qui est de couvrir et de protéger. Mais contrairement aux vêtements et aux idées, souvent alarmistes, que l’on pourrait se faire de la technologie actuelle, les véritables portes d’entrées grand public vers le transhumanisme sont extrêmement rares.
Alors quand la startup française Rythm a présenté pour la première fois son casque Dreem, cela n’a pas manqué de piquer ma curiosité. Nous sommes allés rencontrer l’entreprise dans ses bureaux parisiens pour vous présenter le produit dans un long reportage que nous avions alors accompagné d’une vidéo. Si vous ne souhaitez pas le lire ou le relire, allons à l’essentiel : Dreem est un bandeau que vous portez la nuit et qui agit sur votre sommeil profond en diffusant des sons par conduction intra-osseuse. Quel intérêt ? D’après Rythm, le processus vous permet d’être plus reposé et donc de passer une journée plus efficace — pour votre bien-être, mais aussi dans vos performances sportives ou votre productivité.
Avec Dreem, nous sommes assez loin des arnaques qui prétendent révolutionner votre sommeil en surveillant vite fait les mouvements de vos coussins avec une app ou en simulant la lumière du jour. Ici, il n’est pas question d’un simple monitoring : le casque embarque un ordinateur qui analyse en temps réel votre activité cérébrale et décide de stimuler votre sommeil profond au bon moment. Le tout, bien entendu, en local et sans connexion : les relevés dans l’app se font au réveil une fois le casque raccordé.
Pour autant, face à un concept aussi radical, des dizaines d’interrogations légitimes demeurent. La première porte sur l’efficacité du casque. Rythm affirme ne pas entrer dans le champ du médical et ne propose donc pas son Dreem pour soigner des troubles du sommeil ; nous sommes vraiment dans la recherche d’une augmentation et elle doit donc être remarquée au quotidien.
Le casque Dreem est-il efficace ?
La deuxième interrogation porte sur la théorie derrière tout cela. Si Rythm finance de la recherche fondamentale en neurosciences sur ce sujet pour soutenir son produit avec des publications dans des revues scientifiques et des brevets, rien n’a encore été dévoilé : la société met en avant aujourd’hui des publications et recherches faites par d’autres laboratoires qui certifient que leur concept fonctionne.
Pour nous, il reste donc la pratique : nous avons eu l’occasion de tester la version bêta de Dreem pendant un mois et nous avons tenu un carnet de bord pendant l’expérience que nous vous partageons aujourd’hui.
Jour 1 — 1h24 avant pétage de plomb
Comme le casque surveille mon activité cérébrale, il sait repérer les moments où il ne détecte rien. Je sais donc que j’ai tenu avec cet engin sur la tête pendant une heure et 24 minutes la première nuit.
Il faut dire qu’en l’état actuel, le casque est plutôt imposant et loin d’être transparent à l’usage. La première nuit, on se tourne et se retourne avant de trouver une position acceptable pour trouver le sommeil. Quand j’étais à peu près bien entre deux coussins, mon esprit a décidé d’activer son mode gros débile (celui où l’on est à moitié conscient, juste avant de s’endormir et où les pensées tournent en boucle avant de s’éteindre) et a échafaudé des conspirations.
Et si le casque était un engin conçu pour me lobomotiser ? Et s’il allait m’insuffler en douce des pensées que je n’ai pas ? Et si le CEO de Rythm voulait en fait contrôler le monde et qu’il avait trouvé un moyen pour mettre la Silicon Valley à ses pieds (rien de mieux qu’un gadget à cet effet) ? Bref, des tas d’interrogations dont je m’amusais à mesure qu’elles me venaient à l’esprit mais qui avaient tout de même une racine commune fort compréhensible : au fond, je ne savais absolument pas ce qu’allait faire Dreem.
Il n’y a pas de mode test sur le casque. La seule démonstration en direct que l’on peut avoir, c’est celle fournie par l’électroencéphalogramme qui montre bien que Dreem perçoit une activité sous votre crâne et réagit à des stimuli (comme quand vous clignez des yeux). Du coup, on se fait prendre par la main, on nous demande de fermer les yeux et d’attendre. Moi qui adore comprendre comment les choses marchent, j’ai été très vite frustré : pour que le casque fonctionne, il faut que je dorme. Si je dors, je ne sais pas ce que fait le casque.
Cet état un brin paranoïaque et l’inconfort de l’engin ont eu raison de cette première nuit de test
Cet état un brin paranoïaque et l’inconfort de l’engin ont eu raison de cette première nuit de test. 1h24 et je redevenais un humain normal qui allait être fatigué le lendemain après avoir passé une nuit à se réveiller en sursaut. Tant pis.
Jour 2 — La nuit coupée
Le casque est toujours inconfortable. J’en viens déjà à penser à un autre système, qui fonctionnerait aussi bien mais qui ne forcerait pas l’utilisateur à porter quelque-chose de dur sur lui. J’imagine une sorte de barre à accrocher au-dessus du lit qui transmettrait ses infos à un bandeau en tissu équipé pour transmettre les sons. Cela ajoute des ondes dans le schmilblik mais bon, ce n’est pas comme s’il n’y avait pas déjà deux smartphones et un modem dans la pièce.
Cela dit, une fois la phase pénible du coucher passée, je dors beaucoup mieux… en théorie. L’application m’annonce 6h54 de sommeil mais note de nombreuses phases d’éveil. J’ai l’impression très nette et désagréable de me réveiller sans avoir dormi de la nuit, même si l’application m’affiche un score de 81 %.
Jour 3 — Le casque ne me gêne plus
Enfin, mon corps commence à accepter la présence du casque. C’est fou à quel point on s’habitue vite au changement. J’ai d’ailleurs trouvé une position un peu plus confortable pour le casque : je desserre un peu la sangle (il ne tombe pas de toutes façons) et je le relève un poil pour que mes oreilles soient libres. Ainsi, il me dérange moins et j’ai fini par l’oublier complètement. Cette nuit là, je m’endors mieux… mais je ne dors pas mieux.
Il est important de préciser que je fais partie des chanceux qui n’ont pas un mauvais sommeil. Je dors même plutôt bien et j’ai toujours eu l’impression que mes nuits étaient réparatrices — j’ai simplement du mal à me lever le matin et à mettre en route mon corps pour la journée. Là, je suis carrément fatigué en arrivant au bureau et pour cause : même s’il ne me dérange pas, le casque me réveille.
La conduction de son intra-osseuse semble, en fait, me sortir de la torpeur : sur le graphique ci-dessus, sur le 21 novembre, chaque point correspond à un cycle de stimulation et chaque barre orange, à un éveil. Oui, chaque stimulation me réveille. C’est ballot, mais ce n’est pas pour cela que je vais arrêter l’expérience.
L’impression que les stimulations me réveillent
Jour 4 — Douce nuit
Mon Sleep Score est de 85 % au réveil et pour la première fois, j’ai l’impression d’avoir dormi convenablement avec le casque. Je me réveille content, mais encore fatigué du retard pris les autres jours sur mes heures de sommeil. C’est en voyant que ma nuit a été composée à 47 % de sommeil profond que je commence à me demander quelle proportion ce sommeil occupe dans la nuit normale d’un homme de trente ans.
La réponse n’existe pas vraiment : chaque personne a ses cycles de sommeil qui durent entre 1h30 et 2h. Le Centre du Sommeil suisse estime pourtant que le sommeil lent profond occupe 20 % d’une nuit. À plus de deux fois plus, je suis loin de la moyenne. Mais est-ce la qualité ou la quantité de sommeil profond qui compte ? Chez Rythm, on maintient que les phases de sommeil profond stimulées sont plus bénéfiques — mais pas pour autant plus longues.
Jour 5 — Moutons électriques
Enfin une nuit normale. Rien.à dire, j’ai bien dormi. Je n’ai pas senti le casque, mon sommeil profond est redescendu à 29 % et je me sens bien au lever. Parfait.
Cela dit, c’est à ce moment-là que je commence à remarquer quelque chose qui reviendra dans les jours suivants : je rêve beaucoup plus (ou plutôt, je me souviens bien plus de mes rêves). J’ai vraiment perdu la faculté de me souvenir de mes rêves en grandissant et depuis que je mets le casque, j’ai l’impression de me réveiller avec des histoires plein la tête. Je ne sais pas comment cela peut être lié, mais en tout cas l’effet est bien réel.
Jour 6 — Batterie faible
Tiens, je n’avais pas pensé à la batterie. J’ai bien rechargé le casque machinalement plusieurs fois les jours précédents, mais j’ai oublié de le faire à ce moment-là de l’expérience et il s’est éteint avant que je puisse finir ma nuit. Du coup, j’ai un mauvais score, mais ce n’est pas de ma faute. En pratique, il faut prendre l’habitude de connecter le casque en journée pour ne pas avoir de mauvaise surprise, mais il tient sans problème 2 à 3 nuits — et enregistre ses données avant de s’éteindre, ce qui vous permet de ne pas perdre une nuit complète.
Jour 7 et 8 — Pause
Histoire de bien tester les effets du casque maintenant que je le supporte et que j’ai l’impression de bien dormir, je prends la décision de faire des pauses. D’ailleurs, c’est à ce moment-là que me vient une autre interrogation : est-ce que le casque me re-programme ?
Je me demande si, en faisant une cure de Dreem, je peux programmer mon cerveau à de nouvelles habitudes et ne plus avoir besoin de Dreem après un certain temps pour qu’il continue tout seul sur ce rythme. Il me suffirait alors de refaire une cure quand je me mettrais à ressentir de la fatigue. Je n’ai malheureusement pas la réponse ni les moyens, pour l’instant, de tester l’hypothèse — je verrai sur le long terme.
Toujours est-il que mon corps a oublié le casque aussi vite qu’il l’a accepté : je dors sans gêne les deux nuits du week-end.
Jours 9 à 13 — Okay, ça fonctionne
C’est dans cette deuxième semaine de test que les choses commencent à vraiment devenir intéressantes. Subjectivement, c’est à ce moment-là que je ressens les premiers effets de Dreem. J’ai presque honte d’en discuter parce qu’ils n’ont rien de scientifique (au-delà des articles publiés et qui ont servi à soutenir le concept avant même les premiers prototypes) et je ne peux apporter aucune preuve matérielle, mais je me sens mieux.
Je pète la forme le matin, je me sens disposé toute la journée et j’ai l’impression que mon cerveau divague moins, se met moins en repos. Je fais des journées complètes de travail et je suis encore reposé en rentrant chez moi, ne sentant presque pas la fatigue accumulée, ni la lassitude.
Attention, je n’ai pas non plus l’impression de tourner à la coke comme un trader dans un film de Scorsese, la sensation est plus diffuse, plus douce, mais je ne peux pas nier qu’elle est là. J’ai l’impression de penser mieux et d’agir mieux. Placébo ? Aucune idée.
Je pète la forme le matin, je me sens disposé toute la journée et j’ai l’impression que mon cerveau divague moins
Jours 14 à 16 — Coupure
Pause d’une durée un peu plus longue. Je commence à alterner les jours avec le casque et les jours sans, histoire de bien cerner les effets. Cette nouvelle pause me laisse moins de doute qu’avant : j’ai clairement plus de mal à me réveiller et je ne sens pas ce boost d’efficacité pendant la journée.
Jour 17 — On oublie vite
Outch, le corps oublie vite. Nouvelle nuit où le casque m’a clairement gêné pendant mon sommeil. Je me prends un score de 39 avec une grande phase d’éveil au milieu. En fait, je n’étais pas réveillé : j’avais simplement fait bouger le casque qui ne captait donc plus grand chose… avant de l’enlever dans mon sommeil, tout simplement. Il faut vraiment que Rythm travaille un nouveau format plus souple !
Jour 18 — Rien à signaler
On réapprend vite aussi. Bon score de sommeil, bonne nuit, un poil moins de sommeil profond.
Jours 19 à 26 — Fin de l’expérience
Pour terminer cette expérience, je décide d’avoir un comportement erratique avec le Dreem. Passer une nuit avec, une nuit sans, deux nuits avec, une nuit sans, bref, essayer de comprendre à quel point la durée et la régularité ont une influence sur l’efficacité de l’appareil. Subjectivement, j’ai noté que je m’étais senti plutôt en forme pendant cette semaine d’utilisation non continue.
C’est intéressant parce que cela correspond d’après les données du casque à une période où les nuits ont été particulièrement bonnes, avec des scores avoisinant les 70 %. Je pourrais en tirer la conclusion que le casque à des effets sur la durée une fois qu’on commence à le porter suffisamment, mais que ces effets s’estompent vite après plusieurs jours sans casque.
Conclusion
Au terme de ce mois de test, j’ai poursuivi l’expérience sans prendre de notes aussi précises et en continuant mon petit jeu d’alternance. Empiriquement, la personne que je suis et qui n’a jamais eu de mal à dormir s’est mieux sentie avec le casque que sans. Les effets sont exactement ceux décrits un peu plus haut : l’impression d’une pêche remarquable toute la journée et une faculté à être bien plus vite réveillé et en forme. J’ai l’impression également que le casque m’a permis d’ajuster mon sommeil en me donnant la possibilité de me lever plus tôt.
Il reste néanmoins plusieurs points à corriger sur Dreem pour que l’expérience soit pleinement satisfaisante. D’abord, il est essentiel, je pense, que les interactions avec le casque soient plus nombreuses. Cela passe par une mise à jour de l’application qui gagnerait en fonctionnalités : on pense à des mini-jeux basés sur la lecture de notre activité cérébrale pour prendre conscience de ce que peut faire le casque, ou alors des conseils plus poussés qui viennent directement s’appuyer sur les relevés pour faire des analyses des nuits, au-delà des stats pures qui ne disent pas grand chose.
Ensuite, la version finale de l’engin gagnerait à être plus petite, moins lourde et moins rigide. Au fond, dans la mesure où le casque se porte déjà sans mal quand on y est habitué, il n’y a qu’un petit effort de ce côté-là pour que ce soit parfait.
En attendant ces évolutions, on sort de l’expérience avec l’assurance que Rythm a entre les mains l’un des objets pour le sommeil les plus efficaces du moment et on a hâte que la startup développe de nouveaux concepts autour de sa technologie.
Si vous avez testé Dreem, votre avis nous intéresse : n’hésitez pas à nous le partager dans les commentaires.
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