La France jalouse la décision Grokster de la Cour Suprême des Etats-Unis, qui est venue mettre un terme à l’existence des éditeurs de logiciels de P2P commerciaux sur le territoire américain… à défaut de mettre un terme au P2P lui-même. Dans un communiqué publié mardi à l’issu de la réunion du « comité de suivi de la charte d’engagements pour le développement de l’offre légale de musique en ligne, le respect de la propriété intellectuelle et la lutte contre la piraterie numérique », le gouvernement a annoncé une réforme future devant aller dans le même sens.
« Considérant que l’on ne peut en effet faire porter aux seuls internautes la responsabilité du délit de contrefaçon, les ministres ont évoqué la possibilité de compléter [les dispositions de la loi] par des mécanismes sanctionnant l’incitation [à la violation de droits d’auteur], notamment par les fournisseurs de logiciels d’échanges » pair-à-pair « « , préviennent ainsi le ministère de la Culture et celui de l’Industrie. Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, déjà actionné pour fignoler le projet de loi très controversé sur le droit d’auteur dans la société de l’information, devra faire des propositions en ce sens dans les semaines qui viennent.
Une loi sans effet aux effets pervers
L’intérêt d’une telle disposition dans la loi serait pourtant totalement nul. Outre le fait qu’aucun logiciel de P2P majeur n’a encore émergé de cerveaux français, on constate aujourd’hui que les seuls logiciels de P2P encore viables n’ont aucune personnalité juridique contre laquelle porter plainte. Il s’agit d’eMule, de Shareaza et des nombreux dérivés de BitTorrent, tous open-source. Et quand bien même auraient-ils une personnalité juridique distincte, aucun de ces logiciels n’incite au piratage ni n’affiche la moindre publicité sur laquelle pourrait se bâtir un début de profitabilité réalisé grâce au piratage. Cette loi, si elle voyait le jour, contribuerait au gonflement du corps législatif sans avoir le moindre effet sur le mal visé.
Pire. Une telle loi dissuadera toute entreprise qui souhaiterait innover en créant de nouveaux modèles économiques basés sur le P2P. Pour mettre à jour leur projet elles devront toutes obtenir un accord préalable des maisons de disques et des studios de cinéma, dont l’on sait pourtant qu’elles fuient tout bouleversement de leurs habitudes. En créant un climat d’insécurité juridique pour les entreprises, une loi française imitant l’arrêt Grokster aurait le même effet que ce dernier aux Etats-Unis : freiner l’inovation et provoquer une fuite des cerveaux et des capitaux vers des juridictions plus tolérantes.
Elle limiterait également la création des logiciels de P2P aux seules organisations « open-source » qui n’ont ni la possibilité ni l’envie de travailler de concert avec l’industrie culturelle pour signer des accords de distribution profitables à chacun.
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