L’affaire dans laquelle le candidat François Fillon est pris montre à quel point la droite qu’il représente n’a pas encaissé la révolution numérique, qu’elle soit comprise d’un point de vue technique ou social.

En France, personne ou presque n’ignore l’affaire Penelope Fillon. Le 25 janvier 2017, le Canard Enchaîné, journal politique tiré exclusivement sur papier, affirme que la femme du candidat François Fillon a été la bénéficiaire 8 années durant d’un emploi fictif, sous le statut d’attachée parlementaire. À cette première révélation vient s’ajouter une deuxième accusation, qui dit que Madame Fillon a été payé par la Revue des Deux Mondes une somme exorbitante pour deux « notes de lectures » publiées par la suite dans différents médias — un salaire faisant rêver n’importe quel journaliste pigiste.

L’affaire ayant retenu l’attention de la presse et du Parquet national financier, les révélations s’enchaînent à un rythme effréné. La note de Penelope Fillon s’alourdit de publication en publication et le Canard Enchaîné finit par impliquer plus généralement la famille du candidat à la présidentielle. Le journal affirme en effet que les enfants Fillon (Charles et Marie) auraient aussi bénéficié du statut de leur père pour des activités professionnelles fortement rémunérées par rapport à leurs compétences, toujours à ce poste « d’assistant parlementaire ».

CC Rama

CC Rama

À la suite du Canard Enchaîné, Mediapart, Envoyé Spécial ou encore plus récemment Street Press ajoutent des éléments à ce dossier, accablant la famille. Dossier qui ressemble de plus en plus, pour les Français, à du détournement de fonds publics bien organisé — ce sera à la justice d’en décider.

Le 6 février 2017, seulement deux semaines après les premières révélations, François Fillon tient une conférence de presse dans laquelle il affirme son souhait de poursuivre la campagne. Il annonce que tout ce qu’on lui reproche est légal et que le travail demandé contre ces salaires a bien été effectué par ses proches (c’est au fond le point clivant : rien n’interdit d’employer ses proches, si emploi il y a). François Fillon est donc dans une position défensive mais ne va pas aller jusqu’à proposer un remboursement des sommes — le candidat estime qu’elles ont été dues.

Voilà où nous en sommes. Et si vous n’avez pu lire aucune ligne concernant cette affaire sur Numerama, c’est bien normal : elle n’entrait pas dans notre ligne éditoriale. Et pourtant, il est difficile aujourd’hui d’ignorer la caisse de résonance qu’ont été les réseaux sociaux pour cette affaire. Une caisse de résonance qui en dit long sur la méconnaissance des enjeux du web par la droite traditionnelle. Un monde qu’elle ne maîtrise pas — et qui pourrait bien lui coûter l’élection présidentielle.

La droite traditionnelle méconnaît le web et ses enjeux

Tout commence par le papier

Il est important de noter d’emblée que cette histoire a commencé sur du papier. Le Canard Enchaîné, à son habitude, n’a pas publié son enquête et ses preuves sur le web. Mais très vite, le web s’en est chargé. Et cette enquête qui aurait peut-être pris du temps à percer il y a une décennie a fait l’effet d’un rouleau compresseur médiatique : aucun média généraliste en ligne n’a manqué de relayer l’histoire immédiatement après sa parution. Cette caisse de résonance a servi au papier pour toucher un public très large et notamment celui qui a délaissé la presse papier, qui n’achète plus de journal et cherche l’information uniquement sur le web.

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Cette population connectée est très mal comprise par la droite représentée par François Fillon. On présente volontiers le candidat comme celui de la tradition (pour ne pas dire réaction), du nationalisme à la française, de la noblesse d’état qui vit à l’écart de la société — la « bonne famille », aisée et catholique, qui aimerait n’avoir rien à se reprocher. François Fillon est ainsi loin de son ex-adversaire Alain Juppé qui, s’il n’était clairement pas de la génération Snapchat, avait misé sur l’expertise d’une équipe dynamique sur les réseaux sociaux et sur une approche plutôt moderne de la politique, alternant apparitions en live sur Facebook et sessions de questions-réponses avec les internautes, utilisant des moyens de faire une campagne numérique inspirés des États-Unis.

Le candidat Fillon, élu lors de la Primaire de la droite (et du centre), n’a clairement pas cette culture. Et c’est d’autant plus ironique que le média qui a sorti l’affaire n’a, lui non plus, pas du tout la culture du web et de ses rouages. Si on prend de la hauteur, on a l’impression que tout, dans cette affaire, correspond à un affrontement très classique sur l’échiquier politique français, sur lequel les médias ont un rôle fondamental. Le sujet de l’affaire lui-même est d’ailleurs ancien : la corruption n’est pas une affaire récente en France — la presse internationale n’a pas manqué de nous le rappeler.

Et si les sujets sont vieux, le traitement, lui, ne l’est pas : ce qui pouvait bien s’étouffer hier ne peut plus être balayé d’une conférence aujourd’hui.

Le web retient, le web mutualise, le web vérifie vite et surtout, le web diffuse et commente

Le web retient et diffuse

Car le web retient, le web mutualise, le web vérifie vite et surtout, le web diffuse. Il n’y a pas si longtemps, il a fallu des mois à Mediapart pour se faire entendre de la presse traditionnelle dans l’affaire Cahuzac, un scandale d’ampleur qui a fait tomber un ministre sur des accusations proches de celles énoncées contre la famille Fillon aujourd’hui. En 2017, en deux semaines, l’enquête du Canard Enchaîné devient une affaire nationale, reprise et commentée partout.

Les premiers ennemis de François Fillon ont d’ailleurs été ses proches, qui, pas plus que lui, ne maîtrisent la viralité des réseaux sociaux. Comment le sénateur Serge Dassault peut-il imaginer en 2017 qu’une petite phrase comme celle qu’il a prononcée lors d’une réunion de crise concernant l’affaire passe inaperçue ? « Sois candidat même si tu es mis en examen : regarde, moi je m’en fous ! », raconte le journaliste Laurent de Boissieu sur Twitter. L’information a été retweetée près de 2 000 fois à l’heure où nous publions ces lignes.

Que dire, également, d’un Philipe Vigier, porte-parole de François Fillon, qui déplore publiquement au micro de BFM TV que « les puissants ne sont plus protégés, les politiques ne sont plus protégés ». Avant de poursuivre, enfonçant le clou : « Pour Jérôme Cahuzac : 90 jours avant qu’on ouvre une enquête. Ici : 20 heures. Trois jours plus tard, il est auditionné. Le lendemain, perquisition ». Monsieur Vigier s’étonne que justice soit faite et qu’elle soit efficace : sans détracteur et sans relai, cette déclaration serait passée inaperçu. Mais aujourd’hui, comme celle de monsieur Dassault, elle a été très largement diffusée.

Tout cela, sans parler des informations extraites de telle ou telle publication. Les déclarations de Penelope Fillon dans Envoyé Spécial ont fait le tour des réseaux sociaux, brandies comme une preuve : « Je n’ai jamais été son assistante parlementaire ou quoi que ce soit de ce genre », lance la femme du candidat. La phrase reste dans les mémoires et, si elle a été prononcée à la télévision, devient une trace écrite sur le web. Il est aujourd’hui impossible de ne pas tomber nez à nez avec l’une ou l’autre de ces déclarations qui doivent déranger les électeurs de droite non aveuglés par la fièvre militante à chaque détour du web.

Et puis il y a la riposte. Quelle équipe de campagne moderne pourrait penser qu’engager ses militants pour spammer Twitter avec un message de soutien à François Fillon serait une bonne idée ? Pas beaucoup et pourtant, c’est ce qui s’est passé. En plus d’un tweet qui a été dicté aux militants, nombreux sont les internautes malins qui ont repéré les « œufs » se joignant au mouvement pour faire monter le hashtag en trending, qu’il s’agisse de bots ou d’utilisateurs ayant créé un compte spécifiquement pour cette action de communication ringarde.

Ironie complète : plusieurs phrases ont été tweetées avec une faute, présente dans la consigne. A-t-elle été délibérément laissée à cet endroit par les équipes de communication de Fillon pour faire plus vrai ? Mystère. En tout cas, la diffusion de cette riposte est un cas d’école sur ce qu’il ne faut pas faire pour se faire entendre. Ici, on a l’impression de voir une meute qui essaie de saturer l’espace public pour cacher des faits qui dérangent. C’est complètement raté : au lieu de changer de sujet, les médias et les observateurs ont tôt fait de se moquer de l’action désespérée du camp Fillon.

Les excuses qui ne passent pas

Caisse de résonance avec des codes difficiles à décrypter pour qui ne les connait pas, les réseaux sociaux sont également une contre-parole redoutablement efficace. Et alors même que le candidat tente une justification publique (en utilisant le canal télévisé, aucun lecteur web n’ayant été déployé sur son site pour suivre la conférence en direct), public et journalistes ne manquent pas de commenter la prise de parole.

Pour cette droite qui est à l’aise dans la posture top down de la télévision (l’émetteur actif s’adresse au récepteur passif qui n’a pas le droit ni l’occasion de prendre la parole sur les sujets traités), l’exercice de style tourne court. Aujourd’hui, l’internaute avisé sait qu’il ne suffit pas de dire « pardon » pour que le pardon soit effectif : il critique, commente et veut en savoir plus. Alors quand le candidat termine son discours en affirmant qu’il ne prendra pas de question de la presse sur les sujets évoqués, on comprend tout de suite qu’il n’est pas prêt à répondre aux questions du tout venant.

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Mais encore une fois, les réseaux sociaux ne lui laissent pas le choix. Entre l’écriture du précédent paragraphe et le début de celui-ci, 330 tweets ont été publiés contenant le mot-clef « Fillon ». Le débat ne s’arrête pas une fois le candidat descendu de la scène et même si c’est son souhait le plus profond, nous avons du mal à voir comment il pourra reprendre sa campagne comme si de rien n’était.

Au fond, François Fillon est en train de se prendre la modernité en pleine face. La politique à l’ancienne ne séduit plus et les « affaires » ne passent plus. Les habitués des scandales auront beau conseiller à monsieur Fillon de faire comme si de rien n’était, personne n’aura oublié demain de quoi était fait hier : le bruit sera là pour rappeler l’affaire. Le #PenelopeGate, comme on se plait à l’appeler, est un événement politique de son temps : il mêle transparence, viralité, communication directe, réseaux sociaux, renouveau politique et travail journalistique traditionnel.

Peut-être que le Fillon du manoir, celui de la bonne famille, n’avait « rien à cacher » tant qu’il restait en retrait. Maintenant, il est un candidat à la présidentielle dans un monde où chacune de ses sorties est retranscrite, archivée, commentée, diffusée, relayée et peut-être massivement médiatisée. L’exercice du pouvoir qui veut jouir d’une verticalité acquise dans un monde où l’information est horizontale ne peut que trébucher au moindre faux pas.

Et finir par s’écrouler.

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