L’expression est chère à Joël de Rosnay, directeur de stratégie à la Cité des Sciences et de l’Industrie, et co-fondateur du journal citoyen AgoraVox : « Média de masse contre mass media » (disclaimer : l’auteur de cet article participe au développement d’AgoraVox). Avec 9,3% des internautes à avoir créé leur blog, le format ne peut plus être considéré comme un phénomène de mode, mais comme un véritable phénomène de société à échelle inédite. Jusqu’à l’avènement d’Internet, il fallait être journaliste ou écrivain pour osérer espérer avoir la chance de pouvoir se faire entendre. Aujourd’hui en France 1 internaute sur 10 s’exprime déjà publiquement dans un bulletin souvent quotidien, et 3 internautes sur 10 lisent cette abondante prose. Et le blogger est en fait une jeune étudiante bloggeuse, puisque l’on découvre avec surprise que 54% des blogs sont animés par des femmes, et que ces journaux personnels sont très majoritairement dominés par les étudiants (52%) de 16 à 24 ans (47%). Ce sont les résultats de l’étude publiée par Médiamétrie, judicieusement baptisée « la blogosphère en ébullution« .
Bien sûr, énormément de ces blogs revêtent un intérêt moyen, sinon nul. Le récit langage SMS de la dernière amourette de Sophie, élève de 4ème B à Mont Luçon, a peu de chance d’émouvoir les foules et de mettre en péril l’avenir du journal Le Monde ou même de Voici. Mais l’on ne saurait être aussi affirmatif du « Blog Social » de Michel Monette, du Carnet de Presse d’Alain Hertoghe ou de la très sérieuse étude anatomique du doigt d’une candidate de Miss France, par Jean Véronis, professeur de linguistique et informatique. Les bloggers de qualité se multiplient chaque jour, et un nombre croissant de journalistes réputés s’y adonnent. C’est le cas par exemple des très médiatiques Jean-Marc Morandini ou Daniel Schneidermann, ou du très capital Thomas Blard, « monsieur Bourse » de LCI.
Libération, Universal, même combat
Avec les blogs, c’est un peu du monopole des média traditionnels (les « mass média ») qui s’en va au profit d’une multitude de média déconcentrés mais ultra-spécialisés (les « médias de masse »). C’est une nouvelle ère de l’information qui s’ouvre, dans laquelle les journaux et les magazines d’hier doivent trouver leur place. On retrouve dans ce chanboulement les mêmes problématiques de perte du monopole que celles qui secouent l’industrie culturelle avec le P2P. Pour sortir vainqueurs, les journaux doivent réussir à se distinguer des blogs, tout comme les plateformes musicales payantes doivent apporter autre chose que de simples morceaux de musique payants, déjà téléchargeables sur eMule.
Pour réussir le virage, les journaux doivent sans aucun doute renforcer dans leurs éditions l’apport des clés qui permettent ensuite aux lecteurs de mieux comprendre l’information véhiculée par les blogs. L’information pure, qui n’est pas leur métier mais celui des agences de presse largement relayées sur Internet, doit laisser place au renforcement de l’éducation et à la compréhension des débats.
Une simple illustration avec le quotidien du soir le plus populaire en France : un abonné papier du Monde, aujourd’hui, ne reçoit chez lui que le mercredi les articles qui relatent les évènements du lundi. Y a-t-il encore intérêt à s’abonner au journal lorsque tous les articles sont disponibles en ligne, et surtout lorsque la quasi-totalité des informations ont déjà été reprises par Internet sur une multitude de blogs parcourus au cours de la journée ? Y a-t-il aussi une logique à voir qu’une édition moyenne du Monde compte encore aujourd’hui plus de 30 pages bien remplies (suppléments non comptés), alors qu’un quotidien en 2005 est loin, très loin de constituer encore la seule source d’information de la journée ?
Ca n’est là qu’un exemple, symptômatique, de tout le drame industriel de la décentralisation des informations et de la culture provoquée par le P2P, les blogs, le RSS, le podcasting, les wikis, etc.
Et le drame absolu pour l’industrie de l’information (les journaux, magazines…), c’est qu’il n’y a aucun « pirate » à accuser pour tenter de faire intervenir le législateur et retarder un maximum la marche naturelle des choses. Il n’y aura pas de DADVSI pour l’industrie de l’information.
Il ne devrait pas y en avoir pour l’industrie culturelle.
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