Dans un jugement du 11 octobre 2012, dont Numerama a pu prendre connaissance cette semaine, le Tribunal fédéral suisse a décidé de relaxer un homme qui avait vendu jusqu'en octobre 2007 des décodeurs permettant de regarder Canal+ et CanalSat en payant beaucoup moins cher l'abonnement, sans que le groupe français ne touche un centime. Le revendeur proposait des satellites Dreambox 500 S, modifiés pour aller automatiquement télécharger sur son serveur les clés de décryptage qu'il parvenait à isoler en analysant la dizaine de signaux des abonnements auxquels il avait souscrit.
Dans son arrêt, la Cour Fédérale rappelle que le code pénal suisse réprime le fait de fabriquer, importer, exporter, transporter, mettre sur le marché ou installer un décodeur pirate. En principe, l'homme aurait donc dû être condamné pour la vente des Dreambox. Cependant, le délit se prescrit après 3 ans, et le jugement de première instance était intervenu en décembre 2010, un mois après l'expiration du délai.
Pour contourner la difficulté, Canal+ avait donc tenté d'argumenter sur le fait que la fourniture-même des clés de décodage, jusqu'en janvier 2008, était une atteinte au droit d'auteur qui repoussait d'autant la prescription. En première instance, la cour cantonale avait considéré que le revendeur agissait effectivement comme un retransmetteur des programmes satellite, et qu'il était donc coupable de violation des droits voisins du diffuseur.
Une jurisprudence favorable pour les sites de liens P2P ?
Mais en appel, la Cour retient que "les images étaient réceptionnées directement par les clients du recourant (du revendeur, ndlr), grâce à l'appareil de type Dreambox installé chez eux", que "cet appareil communiquait ensuite avec le serveur internet mis en place par le recourant pour décrypter les données", et donc que "le procédé utilisé permettait uniquement un partage de code".
"Le système du recourant permettait de contourner des mesures techniques destinées à limiter l'accès aux programmes (des chaînes cryptées) à leurs seuls abonnés, mais pas à communiquer à ses clients les images diffusées par les intimées". En clair, le fournisseur des clés de décodage a bien violé les DRM, mais pas les droits d'auteur des programmes diffusés.
Comme en France, la loi suisse condamne bien le fait de proposer "un dispositif qui est principalement conçu, fabriqué, adapté ou réalisé dans le but de permettre ou de faciliter le contournement des mesures techniques efficaces". Mais le revendeur est décidément chanceux. Cette loi anti-contournement des DRM n'est en effet entrée en vigueur qu'en juillet 2008, sept mois après les derniers faits reprochés au vendeur des Dreambox.
Au delà du cas d'espèce sur le décodage des programmes télévisés, l'affaire pourrait être vue comme une chance par les défenseurs des outils de P2P et des sites de liens BitTorrent ou eMule. En effet, alors que l'affaire Razorback est toujours en cours en Suisse, l'arrêt de la Cour Fédérale vient confirmer que "le système de partage de carte mis en place ne constitue pas un acte de retransmission au sens de la loi sur le droit d'auteur". Or, par analogie, les liens P2P ou la mise à disposition d'un serveur indexant les fichiers partagés par les utilisateurs d'eMule ne constituent pas non plus une violation des droits d'auteur. Ni même, en l'espèce, une violation des DRM.
L'avocat Sébastien Fanti, qui a obtenu la relaxe du revendeur des Dreambox modifiées, est aussi l'avocat de l'administrateur de Razorback. Un bon signe pour un procès qui semble ne jamais vouloir démarrer ?
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