Comment naissent les articles de désinformation ? Par quel moyens leurs créateurs s’enrichissent-ils ? Un jeu en ligne dévoile les coulisses de cette industrie de la calomnie en vous glissant dans la peau d’un gérant de site de « fake news ».

Et si le meilleur moyen de comprendre le phénomène des articles de désinformation était d’en créer soi-même ? C’est la conviction d’Amanda Warner, une Américaine qui a lancé  « Fake it to make it » (« Falsifiez pour réussir »), un jeu en ligne qui consiste à gérer différents sites de « fake news » pour s’enrichir.

Si l’interface de sa simulation de gestion (disponible en anglais uniquement) est assez sommaire et que le concept consiste à cliquer à la suite sur plusieurs boutons, le jeu s’avère vite prenant grâce à ses objectifs et à la plongée qu’il offre dans les coulisses de cette industrie lucrative, dont les principaux artisans se trouvent en Macédoine.

Fake it to make it précise en effet dès son introduction que ces contenus proviennent souvent de pays différents de leur cible — et principalement de Macédoine :  « Vos sites viseront les [internautes des États-Unis]. Pourquoi ? Tout simplement parce que les vues et les clics de ces citoyens rapportent plus que dans les autres pays. »

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« Une femme enlève les chats de ses voisins pour les transformer en manteaux »

Une fois transposé dans la peau d’un créateur de fake news, la simulation nous demande d’indiquer pour quel achat important on souhaite accumuler le maximum d’argent par ce biais particulièrement facile : voiture d’occasion, appartement ou équipement pour votre groupe de musique ? Le jeu s’accompagne d’explications pédagogiques : « Vous allez gagner de l’argent en créant des sites d’actualité sur lesquels les visiteurs enregistrent des vues et des clics sur les pubs. […] Si nous nous apprêtons à créer des sites ‘d’actualité’, pas la peine de se soucier de [leur véracité]. Les fausses actualités prennent moins de temps à voir le jour et se partagent souvent mieux que la véritable actualité puisqu’elles ne sont pas soumises aux faits. »

Une fois lancé, il suffit créer le nom de domaine de son choix ou de s’appuyer sur le générateur automatique aux titres évocateurs : « Orange State Guardian », « Urban View », « News Vision » ou encore « Urban Daily ». Outre le choix d’un logo parmi plusieurs modèles, le jeu propose de faire appel à un nom de domaine gratuit ou payant sachant qu’il est possible de s’endetter quand on est à court d’argent.

Fake it or make it entretient l’intérêt du joueur en lui proposant une succession d’objectifs : obtenir un taux de crédibilité d’au moins 30 %, ajouter 2 articles sur le site, parvenir à au moins 100 partages sur un sujet précis… Plus on se développe et gagne de l’argent, plus on peut lancer de sites différents et ainsi diversifier ses sources de revenu — ou rembourser au plus vite ses dettes. D’autant que le jeu incite clairement aux mauvaises pratiques :  « Le moyen le plus simple d’ajouter des articles à votre site est de les copier depuis une autre source. » La pratique est permise par quelque clics sur les boutons appropriés.

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L’émotion, une source de revenus très rentable

Il apparaît très vite que l’émotion reste le critère le plus rentable : jouer sur celles des lecteurs permet d’engendrer le maximum d’argent en prenant en compte les critères d’évaluation propres à chaque faux article, selon leur degré de crédibilité ou d’impact potentiel. Avec des titres aussi racoleurs et incitant au clic que « C’EST PROUVÉ – Le président est membre de cette religion ! » ou encore « Une femme enlève les chats de ses voisins pour les transformer en manteaux » sans oublier les tags associés (« le président Aubergine est nul », « les animaux sont en danger »), vous êtes assuré(e) de démarrer en trombe.

Le tag « L’argent du contribuable est gâché » figure ainsi parmi les plus récurrents d’un bon gérant, au même titre que « certaines personnes sont dangereuses ». Deux exemples qui illustrent à quel point miser sur des sujets concernants et, de préférence, énervants, augmente le potentiel de viralité de votre contenu.

L’idée du jeu est venue à Amanda Warner après avoir pris connaissance de ce fléau dont se sont saisis Barack Obama ou encore Angela Merkel au lendemain de l’élection présidentielle américaine. À défaut d’éradiquer les articles de désinformation — alors qu’aucune solution crédible n’a encore émergé — l’objectif de cette simulation est clair : « En sensibilisant les joueurs sur la façon dont sont écrites les fake news et pourquoi elles sont créées, j’espère qu’ils se montreront plus méfiants vis-à-vis de ce qu’ils découvriront à l’avenir. De manière générale, je pense qu’une meilleure compréhension des causes et de la manière dont nous sommes manipulés par autrui pour l’argent ou le pouvoir reste un savoir utile. »

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