Mon ami Claude Chastagner, professeur à l’Université Montpellier III, et moi-même sommes auteurs d’un article intitulé « Le défi Internet, l’industrie du disque américaine à l’heure du numérique« , paru dans le numéro de juin 2005 de la Revue Française d’Etudes Américaines. Les recherches effectuées pour cet article nous ont permis d’avoir une assez bonne connaissance de la question du téléchargement. A ce titre, dans le contexte des discussions en cours sur le projet de loi DADVSI, nous souhaitons établir les points suivants :
1 – La baisse des ventes de disques n’est pas uniquement due au téléchargement
Dans un article du 28 Octobre 2004, le journal The Economist cite une étude interne faite par l’une des majors de l’industrie du disque : « According to an internal study done by one of the majors, between two-thirds and three-quarters of the drop in sales in America had nothing to do with internet piracy » (… entre 2/3 et 3/4 de la baisse des ventes aux US n’a rien à voir avec le piratage sur Internet).
Parmi les autres causes, on trouve notamment :
- la concurrence d’autres medias et loisirs (DVD, jeux vidéos, téléphone mobile…)
- l’appauvrissement du catalogue : en 2004, la majorité des ventes se fait en Grandes Surfaces Alimentaires (55% des ventes en volume, 47% en valeur). Mais pour ces GSA le disque n’est qu’un produit d’appel et donc seuls les titres les plus « vendeurs » sont offerts. Difficile donc d’y soutenir un artiste débutant.
2 – Le téléchargement n’a pas le même effet sur les artistes « confirmés » et les artistes débutants
Une étude faite à Harvard en 2004 à partir des chiffres de ventes fournis par Nielscan montre que seul les 25% les plus « vendeurs » des artistes concernés perdent des ventes à cause du téléchargement. Pour les 75% restant, l’effet du téléchargement sur les ventes est *positif*, aidant au contraire à les faire connaitre. Il est donc douteux d’affirmer que le téléchargement va tuer les artistes débutants.
3 – La license globale et la vente de CD peuvent coexister
Ce point nous semble le plus important. En 2002, le groupe Wilco diffuse son album « Yankee Hotel Foxtrot » en libre téléchargement sur Internet. Lorsque cet album est finalement commercialisé, il se vend mieux que les précédents albums du groupe. Fondé en avril 2003, le label Magnatune offre la majorité de son catalogue en libre téléchargement, sur un modèle « essayer avant d’acheter ».
D’un point de vue plus pratique, quiconque ayant l’habitude d’utiliser un ordinateur est régulièrement confronté au problème de la conservation de ses données. Un mp3, comme tout fichier informatique, est aisément duplicable, mais aussi aisément destructible. Que ce soit suite à un problème matériel, logiciel, ou à une fausse manœuvre, il est fréquent de perdre des fichiers. Comparativement, le CD original est un support relativement perenne, mais graver un CD à partir de fichiers mp3 représente un cout en temps non négligeable. En conséquence il est clair que le CD original continue de présenter de sérieux atouts par rapport à une musique totalement dématérialisée. Pour un fan, il reste un objet à posseder. Pour le consommateur de musique, il reste l’assurance que sa discothèque ne s’évanouira pas au premier virus ou en cas de panne du disque dur, ou même, tout simplement, lorsqu’il faudra changer de machine. Notons que l’on trouve facilement d’autres exemples de produits plus chers qui se vendent bien dans un marché où est pourtant présent un équivalent quasi-gratuit, par exemple l’eau en bouteille.
La plupart des témoignages des artistes contre le téléchargement et plus particulièrement contre la licence globale avancent comme argument que l’argent ainsi récolté ne suffira pas à financer les métiers de la création. Ces artistes partent donc du principe que si le téléchargement est légalisé, la licence globale serait la seule source de revenus.
Mais, sachant en plus que la politique répressive menée ces dernières années a complètement échouée à faire baisser le nombre des téléchargements, il semble donc très improbable que la légalisation de ce mode de distribution fasse d’un coup disparaitre le CD au seul profit du mp3. En conséquence, la licence globale viendrait s’ajouter aux revenus actuels plutôt que de les remplacer.
Il nous semble donc important de considerer la licence globale non comme une solution extrème et idéaliste, mais comme une réelle alternative à l’établissement de mesures de type DRM. Il faut également souligner qu’aucun système de DRM n’a prouvé son efficacité à l’heure actuelle.
Guillaume Laurent
Ingénieur informaticien à Sophia Antipolis, et auteur de logiciels libres depuis 1995. Il participe principalement à Rosegarden, editeur et séquenceur MIDI pour Linux, et se sert d’Internet comme moyen de communication depuis 1991.
Claude Chastagner est professeur habilité à diriger des recherches à l’Université Paul Valéry de Montpellier. Membre du GERM (Groupe d’Etudes et de Recherches sur les Mondialisations), il est titulaire d’un doctorat de civilisation anglo-américaine, sur « la mécanique du rock, fonction et fonctionnement dans la culture anglo-saxonne »
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