Près d’un an après le début remarqué du phénomène Pokémon Go, où en est la réalité augmentée et son potentiel essor au quotidien ? A-t-elles plus de chances de s’imposer que la réalité virtuelle ?
À l’occasion du Web2Day, le festival nantais dédié à la tech, nous avons rencontré Christophe Renaudineau, qui étudie depuis 2010 la réalité virtuelle et la réalité augmentée à l’université de Nantes.
Celui qui est aussi directeur de la technologie au sein de la startup Bloc in bloc, fait le point sur l’état actuel de la réalité augmentée et ses perspectives, avec une conviction claire : l’avenir passe par la réalité mixte… mais pas forcément par le casque HoloLens de Microsoft.
Au vu des ventes d’Oculus Rift et autres HTC Vive, certains parlent déjà d’un échec de la réalité virtuelle. Ce constat est-il prématuré ?
Les casques de réalité virtuelle ont surtout été poussés par le secteur du jeu vidéo. Je pense que ce monde-là est limité en matière de réalité virtuelle : tout ce qui est eSport ne va pas s’orienter là-dessus car c’est beaucoup de fatigue oculaire.
C’est une contrainte physique au niveau de l’oreille interne, ce n’est pas une avancée technologique mais un problème physique qui est un gros frein. En conséquence, le jeu vidéo ne va pas miser là-dessus. Sans parler d’échec dans le jeu vidéo, ça va réduire [le développement de la VR].
En revanche, ailleurs et notamment dans le domaine professionnel, le B2B, il y a marché dans la réalité virtuelle, c’est certain. C’est quelque chose que nos clients demandent assez régulièrement.
Le problème de la fatigue et parfois de la nausée quand on joue en réalité virtuelle est-il temporaire car améliorable avec des casques plus avancés, ou au contraire voué à persister ?
C’est vraiment une contrainte physique, anatomique. On ne trouvera pas de casques qui amélioreront ça. Aujourd’hui, les seuls palliatifs, ce sont des médicaments qui permettent de contrer la nausée. Pour faire accepter ça au public… on parle quand même d’une acceptation d’usage très lourde.
Le futur, ce n’est pas la réalité virtuelle ni la réalité augmentée mais la réalité mixte, cette mixité entre réalité virtuelle et réalité augmentée. Tout va converger vers la réalité augmentée mixte.
En quoi consiste exactement la réalité mixte ?
Elle ne fait plus seulement le lien entre réel et virtuel avec des points d’accroche — géolocalisés, comme dans Pokémon Go, ou, dans l’autre cas, avec des modèles 3D qui se superposent sur des marqueurs définis — mais avec l’ensemble de l’environnement. Avant elle, la réalité virtuelle et la réalité augmentée étaient séparées : ce n’est plus le cas.
En plus de pouvoir doser entre plus de réalité ou de virtualité, elle permet d’avoir les mains libres et d’interagir avec 3 interfaces possibles : la gestuelle, la voix et le regard. Grâce à elle, il est par exemple possible de transformer une salle entière en décor du XIXe siècle.
La réalité augmentée a pu compter, récemment, sur le soutien de Tim Cook et sur un investissement massif de Facebook. Ces deux engagements sont-ils purement symboliques ou au contraire de bon augure ?
L’intérêt de Facebook est quand même un bon indicateur car ils ont investi plusieurs milliards dans [le casque de réalité virtuelle] Oculus Rift et faire ce virage malgré leurs énormes dépenses revient à dire : « OK, on a peut-être fait une erreur en rachetant Oculus Rift, il va falloir mettre l’accent sur la réalité augmentée ». C’est un bon indicateur du futur état du marché.
Pour Apple, il vaut mieux attendre : je pense que [l’entreprise] se cherche un peu. On attend surtout la keynote de septembre pour en savoir plus. Pour l’instant, ils ont racheté Metaio il y a 2 ou 3 ans, ils ont ressorti AR Kit, qui correspond plus ou moins à ce que Metaio faisait il y a 2 ans… Il n’y a pas eu de grande nouveauté par rapport ça, je pense qu’ils se cherchent et il ne faudrait pas qu’ils soient à la traîne comme Microsoft a pu l’être il y a quelques années quand Google et Apple ont vraiment pris de l’avance sur les smartphones.
Avec HoloLens, Microsoft a su se remettre sur le devant de la scène, il faudrait qu’Apple fasse la même chose. Un brevet est sorti récemment, sur des lunettes de réalité augmentée, qui serait le prisme entre les Google Glass et HoloLens, qui est un casque de réalité augmentée. Le juste milieu entre les deux serait vraiment, selon moi, la solution à apporter.
Justement, comment expliquer l’échec des Google Glass ?
Parce que ce n’est pas de la réalité augmentée mixte mais de la réalité augmentée simple, qui apporte juste des infos supplémentaires sur ce que vous voyez. Techniquement, elles n’apportaient rien de plus que l’Apple Watch : l’intérêt était vite limité. Ce n’était pas le bon appareil pour la bonne technologie.
L’HoloLens reste assez lourd à porter pour le grand public, en termes d’ergonomie c’est assez imposant, le porter pendant une heure fait mal au front… Je pense que le marché s’ouvrira vraiment à celui qui arrivera à faire ça avec des lunettes comme les Google Glass.
Pourquoi Google préfère-t-il aujourd’hui mettre l’accent sur le Projet Tango, qui permet aux smartphones de voir le monde en relief, plutôt que sur les Google Glass ?
Aujourd’hui, leur politique est de se dire qu’ils ont inondé le marché d’Android, avec 80 % du marché mondial — en incluant l’Asie –. Ils veulent surfer sur cette acquisition massive des smartphones et tablettes pour amener la réalité mixte.
Pour autant ils n’ont pas arrêté le développement des Google Glass : ils l’ont mis en stand-by, ils font moins de lumière dessus pour ne pas connaître le même échec et ne publient rien tant que ce n’est pas opérationnel.
L’adoption massive de la technologie passe-t-elle forcément par des prix plus réduits ?
Oui, clairement, pour les casques de réalité augmentée, il faut une réduction massive, jusqu’au niveau de prix d’un smartphone.
D’ici combien de temps ?
Dans les quelques années à venir. HoloLens est disponible pour les développeurs depuis 3 ou 4 ans et cette version est très stable.
Le seul frein, maintenant, c’est le prix [plus de 3 000 euros]. Je ne sais pas s’ils arriveront à réduire les coûts des processeurs, des caméras, etc. Mais il faut être en dessous de la barre des 1 000 euros.
Les jeux vidéo sont-ils le seul moyen de faire décoller la technologie ?
Pour la populariser, oui. C’est aussi ce qui s’est passé avec les smartphones, grâce à Angry Birds, Candy Crush… Je pense que ce sera pareil pour la réalité augmentée avec des jeux, comme celui où il faut éliminer des zombies dans sa maison. Mais tant que le prix n’aura pas baissé, les développeurs ne voudront pas investir du temps et de l’argent dans des jeux pour un marché inexistant.
Vu qu’il s’agit d’une contrainte financière, d’ici 2 ou 3 ans ça devrait s’accélérer. C’était la même chose pour les premières télés 3D qui étaient hors de prix et qui ont vu leur prix divisé par 2 ou par 3 en autant d’années.
Vous considérez Pokémon Go comme un gadget ?
Clairement, mais c’est le cas de la réalité augmentée sur les 10 dernières années. On est toujours dans des usages gadget, dont Pokémon Go est l’archétype. On peut très bien jouer à Pokémon Go sans réalité augmentée : c’est un petit plus marketing pour avoir Pikachu dans sa cuisine, mais ça s’arrête là.
Pour avoir vraiment des jeux en pleine réalité augmentée, avec des usages en pleine réalité augmentée, qui est au centre et n’est plus un simple porte-clés qu’on vient ajouter, il faut déjà faire de la réalité augmentée mixte. C’est-à-dire ne pas se contenter de marqueurs mixtes mais prendre en compte tout l’environnement.
Microsoft et Apple s’orientent vers des casques ou lunettes de réalité augmentée quand d’autres comme Google restent sur smartphone, tablette mais c’est bien la réalité mixte qui va populariser la chose.
Avez-vous des exemples d’application pratique de la réalité mixte ?
Aujourd’hui, la réalité augmentée mixte reste assez rare. Nous, au sein de Bloc in Bloc, on l’utilise dans le bâtiment pour faire du suivi de chantier. L’idée est de s’assurer que le bâtiment qui va être construit sera bien conforme à sa conception : on superpose le modèle 3D du bâtiment au réel. Du coup, sur le chantier, on voit les futures poutres à poser, les réseaux où on doit les poser, etc. Les ouvriers voient concrètement où ils doivent poser les fenêtres et les autres éléments.
Ça permet d’éviter les malfaçons qui aujourd’hui coûtent plusieurs milliards en France. Aucun bâtiment n’est construit comme il a été conçu, il suffit d’observer chaque livraison de bâtiment pour s’en rendre compte.
Quel est le principal défaut actuel de la réalité mixte ?
Sur le court terme, c’est l’autonomie. Ça consomme beaucoup : sur HoloLens, l’autonomie est d’une heure !
Il y a toujours ce problème de batterie puisque pour faire de la réalité mixte il faut au minimum une double caméra qui scanne l’environnement en permanence pour que ces données soient traitées en temps réel par le processeur. Ce sont des calculs assez lourds avec une puissance importante. Ça assomme aussi les téléphones qui utilisent Tango.
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