« Ma musique a été diffusée à la télé sur un reportage sur France 2« , s’étonne encore L’onomatopeur sur le forum de Jamendo, où ses morceaux sont proposés depuis juin 2005 sous licence Creative Commons by-nc-nd. Cette licence autorise quiconque le souhaite à reproduire et à diffuser ses œuvres, à titre non commercial, tant qu’est indiqué le nom de l’artiste et qu’aucune œuvre dérivée n’est créée.
Jeudi soir, alors que le rideau se ferme sur l’émission Envoyé Spécial, les crédits attestent de l’exploitation de la chanson Slap Violin en habillage sonore d’un reportage sur le CPE. Creative Commons oblige, la production n’avait à première vue pas besoin d’autorisation préalable, par nature accordée d’office. L’artiste nantais nous confie d’ailleurs qu’il est « très content » que son œuvre ait été choisie, et que le fait « d’être diffusé en prime-time sur une chaîne nationale est quelque chose que souhaitent beaucoup de musiciens ou de compositeurs« . A notre connaissance, c’est une première pour la musique libre en France. Mais selon Creative Commons France, la production aurait tout de même violé certaines restrictions imposées par la licence « BY-NC-ND » choisie par L’onomatopeur. « Il est possible que cette exploitation constitue une utilisation commerciale (donc en dehors de NC), et certain qu’elle constitue une modification (en dehors de ND)« , résume Mélanie Dulong de Rosnay, responsable de Creative Commons France. « le morceau a en effet été bouclé, et l’utilisation d’un morceau de musique syncronisé avec des images est de toute manière considérée comme une œuvre dite dérivée dans les licences Creative Commons« , explique-t-elle. En somme, même si le morceau était sous une licence Creative Commons, la production aurait dû demander l’autorisation à l’artiste.
Loin d’être en dehors du droit d’auteur, les licences imaginées par le professeur Lawrence Lessig sont au contraire une pleine application des principes du droit d’auteur, mais aménagées pour plus de flexibilité. Les producteurs devront apprendre à les comprendre. Avec l’utilisation de l’œuvre de L’onomatopeur dans Envoyé Spécial, c’est son droit moral qui est d’abord en cause. « Le fait qu’ils aient modifié ma musique me dérange surtout parce qu’elle est à la base composée dans la perspective d’accompagner des films« , se plaint l’auteur. « C’est comme si l’on prenait le tableau d’un peintre et que l’on modifiait le fond. Ma musique est composée pour être écoutée en entier comme quand on écoute une histoire« . Mais la question des droits en monnaie sonnante et trébuchante n’arrive pas loin derrière… « Connaissant le taux approximatif d’audimat et les publicités diffusées avant, pendant, et après l’émission, je pense que j’aurais demandé une petite rémunération, simplement pour me permettre de continuer à composer« , nous explique L’onomatopeur. C’est par ailleurs dans cet objectif qu’il a réservé le droit d’utilisation commerciale de ses œuvres. On n’accorde pas nécessairement aux grands médias vendeurs de temps de cerveau disponible ce que l’on permet aux internautes lambdas.
Contactée dans la matinée par Ratiatum, la production de l’émission n’a pas encore apporté d’éclairage sur la motivation du choix d’une chanson sous Creative Commons. « Beaucoup de monteurs et de journalistes ont participé à la création de ce reportage« , ce qui rend la recherche difficile, assure-t-on chez France 2.
L’auteur, lui, ne veut pas donner l’image d’un artiste trop rigide sur la protection de ses droits. « Entamer une action judiciaire n’est pas mon souhait premier, je préférerais régler cela à l’amiable« , nous indique-t-il.
Un piège pour les Creative Commons
Avec cette affaire, les Creative Commons sont toutefois confrontées à un piège qu’elles ne peuvent déjouer par elles-mêmes. D’un côté elles défendent une certaine image de la liberté artistique, de l’autre elles provoquent paradoxalement une plus grande rigidité pour les producteurs qui souhaitent exploiter les œuvres.
Grâce à des accords négociés avec les sociétés de gestion collective, il est aujourd’hui très facile pour un producteur d’émission audiovisuelle d’aller puiser dans le catalogue de ces sociétés une chanson pour illustrer un reportage. Les auteurs sont alors rémunérés par ces sociétés. Mais les œuvres sous Creative Commons n’y figurent pas, et l’accord ne les couvre donc pas. L’entrée dans les catalogues des sociétés de gestion est refusée aux artistes Creative Commons à qui la Sacem (par exemple) interdit de donner aux internautes l’autorisation d’échanger librement leurs œuvres. « Si les statuts des sociétés de perception et de répartition des droits étaient plus ouverts comme nous le demandons, L’Onomatopeur aurait eu le choix d’adhérer à ces sociétés en vue de percevoir des droits d’auteur et des droits voisins pour cette diffusion en « prime time » sur une chaîne nationale« , regrette ainsi Mélanie Dulong de Rosnay. L’artiste nous confie lui-même qu’il n’a pas souhaité adhérer à la Sacem puisqu’il a « préféré mettre [ses] deux albums sous droits Creative Commons car ils permettent d’être diffusés au plus grand nombre de manière gratuite tout en respectant un aspect non-commercial« . « Je souhaite que ma musique soit la plus accessible possible et qu’un maximum de gens l’apprécient« , ajoute-t-il.
Mais sans réforme des statuts de la Sacem, il sera toujours moins risqué ou moins compliqué pour un producteur d’utiliser une musique d’un catalogue fermé qu’une musique libre.
Un paradoxe insoutenable, mais pourtant bien réel.
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