« Franchement, je trouve presque drôle de devoir encore lire que la SACEM est en quelque sorte cette vilaine société inconséquente et dictatoriale qui brime les créateurs, les limite dans leur activité de création et de diffusion de leurs œuvres. Et je me demande parfois si cette inconséquence dénoncée, n’est pas plutôt l’inconséquence des détracteurs, et pour le moins une forme de superficialité dans l’approche de la question.
Alors quoi ? Des créateurs de musique désirent créer sans devoir rendre de comptes à personnes, en étant libre de diffuser leurs œuvres exactement comme ils l’entendent ? Quoi ou qui les en empêche ? Rien, ni personne ! Avec Internet, on le sait, c’est même plus que facile à réaliser de nos jours. Ils peuvent d’ailleurs choisir de le faire soit de manière commerciale (par exemple diffuser et vendre leur musique sur des sites web, et même signer avec des distributeurs agrégateurs comme Believe), soit gratuitement, quand ils estiment philosophiquement que l’art ne doit rien avoir à faire avec le commerce, ou qu’ils ont un autre métier pour vivre et qu’ils désirent que leur travail de création demeure une activité amateur (juste pour l’amour et le partage de la chose). Il existe même des licences (Creative Commons, Copyleft) afin qu’ils puissent distribuer ces œuvres dans un cadre qu’ils auront choisit. Chacun est donc totalement libre de choisir. Et c’est vraiment très bien comme cela.
Mais voilà, il semblerait que ce choix ne puisse se faire sans qu’il faille systématiquement s’en prendre à la SACEM.
La SACEM, qui est une société civile, fondée et gérée par les créateurs eux-mêmes, je le rappelle, n’a pas pour but de faire du profit pour elle-même en tant que société, mais de gérer collectivement les droits de ses sociétaires (volontaires !), c’est à dire de négocier des contrats auprès des diffuseurs et de tous ceux qui utilisent commercialement le travail des créateurs, de collecter les droits d’auteurs, et de les redistribuer aux divers ayant-droits. L’idée de base est qu’il est plus facile et efficace d’assurer cette gestion de manière collective et unitaire. Cela permet un meilleur contrôle de l’utilisation commerciale des œuvres, et un plus grand poids dans les négociations des contrats de représentation avec les diffuseurs.
Ce à quoi est confronté l’Onomatopeur, c’est exactement ce que la SACEM résout depuis des lustres !
En tant qu’auteur-compositeur qui a décidé de vivre de mon travail, d’en faire mon métier, je puis vous assurer qu’il me serait totalement impossible de gérer les utilisations commerciales de ma musique. Il existe des milliers et des milliers de diffuseurs en France (radios, télés, sites web, webradios, centres commerciaux, boutiques, films, pubs, etc.), sans parler du monde, et il me serait concrètement impossible de savoir où et quand cette musique est utilisée, impossible de négocier particulièrement avec chacun de ces diffuseurs, un contrat, une rémunération pour chaque utilisation. Si j’avais à le faire, il ne me resterait pas une minute par jour pour faire de la musique, or le c’est justement une des raisons de mon choix de faire de ma passion un métier rémunéré : libérer du temps pour faire de la musique. Si j’avais à le faire à titre individuel, il est aussi évident que je n’aurais aucun poids pour négocier une rémunération digne de ce nom.
L’Onomatopeur (dont j’ai par ailleurs vraiment apprécié la musique) a fait un choix, celui de la licence CC « BY-NC-ND » pour la distribution de ses œuvres, celui de ne pas adhérer à la SACEM et de ne pas bénéficier de sa structure, ses compétences, de son poids pour négocier auprès des diffuseurs, de son réseau pour contrôler et vérifier les usages (patrimoniaux et moraux) de ses œuvres et la collecte de ses droits. Soit. Il me semble qu’il s’agit maintenant d’assumer ce choix. Et tout choix implique des devoirs et des droits, des avantages et des inconvénients. Et souvent, ce qui peut-être perçu comme un inconvénient est en fait un avantage, et inversement. Cela dépend du point de vue, et de la position qu’on prend.
Quelques mots quant au fait que tout créateur qui adhère à la SACEM, adhère à ses Statuts et au Règlement général de la société (1), qui stipulent effectivement que toutes les œuvres de l’auteur, sans exception, doivent alors être déposées à la société. Croyez-vous vraiment que les auteurs (je le rappelais plus haut, la SACEM est gérée par les auteurs eux-mêmes) soient plus idiots que d’autres ? Qu’ils s’amuseraient à se tirer une balle dans le pied, en s’imposant eux-mêmes des limitations de leur liberté, juste comme ça, pour le plaisir ? Alors voilà, la raison est simple. Comme dans tout rapport commercial (et je ne juge pas, c’est un fait pour n’importe qui, même pour un salarié qui négocie son contrat et son salaire avec un patron), il est question de poids dans la négociation. On échange une valeur contre une autre, une compétence, un bien, une force de travail, contre de l’argent afin d’assumer sa subsistance et son autonomie dans la société. Dans la négociation, il s’agit de mettre le maximum de chances et de poids de son côté. Tout simplement parce qu’en face, l’autre partie de la négociation fera de même. C’est la règle du jeu.
Cette clause de la SACEM existe justement pour donner plus de poids aux créateurs lors des négociations. Si les auteurs avaient la possibilité de ne déposer à la SACEM que certaines œuvres et pas d’autres, je vous prie de croire qu’on arriverait très vite à des situations de « chantage » et de pressions de la part des diffuseurs et producteurs. « Tu veux que je produise ton album ? Tu veux que je diffuse tes œuvres ? Que je les utilise pour un générique sur France 2 ? Ok, mais à la condition que tu ne les déclares pas à la SACEM (sous-entendu pour que je fasse des économies) ! Ce sont les conditions, et si tu n’es pas d’accord il y a plein d’auteurs qui attendent ! » Et l’Onomatopeur, à priori pas peu fier, le reconnait lui-même : « être diffusé en prime-time sur une chaîne nationale est quelque chose que souhaitent beaucoup de musiciens ou de compositeurs ». Vous ne me croyez-pas ? Ou me pensez paranoïaque ? Regardez ce qui se passe à Paris par exemple, et ailleurs, et la galère que c’est pour les groupes de musique et les artistes, pour obtenir des rémunérations dignes de ce nom, et surtout pour être déclarés, dans les clubs, les petites salles, (et souvent les grandes aussi), même quand c’est l’état qui emploie (par exemple les mairies, les cas relatés sont nombreux) ! Avec les auteurs et la SACEM, ce risque est considérablement réduit. Nous sommes justement protégés éventuelles pressions des diffuseurs par cette clause. Nous sommes justement protégés collectivement, solidairement, de la tentation d’un « je préfère être diffusé gratuitement ou pour pas cher en prime-time sur une chaîne nationale, que de vouloir que mon travail soit rémunéré correctement et prendre le risque qu’il ne soit pas diffusé ».
Vous croyez que les diffuseurs et producteurs sont des anges ? L’histoire relatée par Ratiatum et fr.creativecommons.org dans leurs articles, est une preuve supplémentaire que non. Et la réponse qu’a faite la production de l’émission à Ratiatum va faire beaucoup rire ceux qui connaissent un peu le métier. Vous semblez bien naïf… Et je ne comprends d’ailleurs pas vraiment l’enthousiasme affiché. « Chouette, mon œuvre a été volée, utilisée illégalement, mon droit moral bafoué, mon droit patrimonial écarté, par une chaîne de télévision commerciale, et j’en suis globalement content parce que je suis diffusé nationalement ! ». C’est ça l’avancée ? Non, merci ! Et en plus, je trouve que c’est un curieux renversement des choses que de faire porter à la SACEM, par chemin détourné, la responsabilité de l’usage frauduleux de l’œuvre de l’Onomatopeur. S’il était adhérent de la SACEM, il aurait touché des droits. Point.
Comme je le disais, il existe des avantages et des inconvénient à tout choix qui est fait. Et bien sûr, cette clause SACEM de l’exclusivité comporte en elle-même une limitation. Mais quand on en comprend le sens, qu’on l’assume parce qu’on a fait un choix éclairé et délibéré, ça n’est plus une limitation. Ca va dans le sens du choix qu’on a fait. Que d’autres décident de faire d’autres choix, ça les regarde. Chacun est libre. Mais pourquoi viennent-ils remettre en question les conditions d’exercice de ceux qui ont fait d’autres choix ? Vous voulez vous passer de la SACEM ? Assumez donc ce choix.
D’autant plus que, pour parler concrètement, jamais la SACEM n’a fait, ou n’ira faire un procès à ses propres sociétaires, parce qu’ils diffuseraient gratuitement leurs propres œuvres sur leurs sites web par exemple (et c’est de notoriété publique depuis au moins 5 ans sur le web). Et même, depuis quelques mois, il existe une procédure afin d’accorder « légalement » aux sociétaires qui le désirent, des autorisations gratuites de diffusions.
Je ne dis pas non plus, loin de là, que la SACEM est parfaite, ou qu’elle est tout le temps super réactive quant aux évolutions vertigineuses induites par Internet et les usages nouveaux de la musique, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle remplie bien sa fonction, qu’elle assure aux auteurs, un cadre fonctionnel pour ceux d’entre eux qui ont la volonté de vivre financièrement de leur musique.
Alors plutôt que de dénoncer à l’emporte-pièce un « paradoxe insoutenable » (sic), ne serait-il pas plus sensé d’essayer de comprendre les choses avec un peu plus de discernement, et pour le moins d’assumer pleinement ses propres choix, sans chercher à démolir les outils de ceux qui ont fait d’autres choix ? Ne vouloir avoir que des avantages, partout, et les avantages inhérents à ses choix propres, et les avantages de choix qu’on a pas faits, n’est-il pas irréaliste ?
Quant à moi, je ne crois vraiment pas au mythe d’une liberté totale qui serait sans contrainte. Et pour ce qui est de la « liberté artistique » que defendrait (mieux ?) les licences CC, je vous assure, je ne me sens pas moins libre artistiquement parce que je suis sociétaire de la SACEM ! :-) «
Jean-Christophe Lemay
http://www.deepsound.net
(1)
Règlement général SACEM
Article 3
En cas d’admission à adhérer aux Statuts de la société, le postulant devra,
dans un délai de trois mois, signer un acte qui contiendra, outre son
adhésion aux Statuts et Règlement Général et l’apport prévu aux articles
1,
2, 2 bis et 34 des Statuts, l’engagement :
1° de déclarer au répertoire social toutes ses œuvres avant leur exécution
ou leur reproduction mécanique…
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