Il faut au moins reconnaître un mérite à Renaud Donnedieu de Vabres, celui du courage. Déjà rué de coups, et ridiculisé par des erreurs de procédure grotesques, le ministre de la Culture n’hésite pas à annoncer d’ores et déjà son prochain projet de lutte sur Internet, qui vise cette fois quelques 3 millions de bloggeurs français. C’est lors d’une interview à Libération que RDDV a allumé cette nouvelle mèche. Le projet de loi DADVSI, disait-il, « n’est que le premier d’une longue série d’adaptations de notre droit à l’ère numérique et je compte bien, par exemple, m’attaquer un jour au problème de la presse et de l’Internet« . « C’est un autre sujet capital parce qu’il n’y aura pas d’informations de qualité sur l’Internet sans de vrais signatures, de vrais acteurs dont c’est le métier. L’Internet est une grande chance mais je ne veux pas l’idéaliser et sans un cadre clair, beaucoup de ces chances pourraient être gâchées« , ajoutait-il. Nous analysions alors ces déclarations par une analogie du journalisme citoyen au P2P, avant d’éclairer les propos du ministre par la prémonition du journaliste Dan Gillmor, pour qui la lutte contre le Peer-to-Peer serait potentiellement un cheval de Troie pour contrôler plus largement la diffusion de l’information.
Renaud Donnedieu de Vabres était toutefois resté assez flou sur la manière d’assurer à Internet la « qualité des signatures » qu’il appelle de ses voeux. Or il y a deux manières de censurer Internet. La manière franche, à la chinoise, est de cacher le contenu que l’on désire mettre à l’écart, d’en prévenir l’accès pour que personne ne puisse le découvrir. Puis il y a la manière sournoise, « démocratique », qui vise à valoriser au maximum le contenu que l’on préfère mettre en avant, pour mieux décribiliser le contenu que l’on ne contrôle pas.
C’est cette seconde méthode que semble avoir choisi le ministre de la Culture. Invité le lundi 10 avril dans l’émission iMédias de la chaîne i>Télé, RDDV a légèrement précisé son projet. « Dans le domaine de l’information, c’est la même chose« , commence le ministre qui confirme ainsi l’analogie journalisme citoyen/P2P. « Vous savez très bien que aujourd’hui sur Internet circulent beaucoup de choses, parfois le pire comme le meilleur, ce qui veut dire que paradoxalement redevient essentielle la certification, c’est-à-dire la signature par un journaliste parce que ça garantie l’authenticité. Donc je crois si vous voulez qu’internet est une grande chance mais ça suppose aussi qu’il y ait des règles du jeu et des principes de déontologie« , affirme-t-il.
https://www.dailymotion.com/blog/video/123804?key=jfdj2utybexqwtfm2ev0eaam4zdyqpuf8y5pdq9l
RDDV et la future censure des blogs
(Merci à Pilou)
Ainsi RDDV souhaite mettre en place une sorte de label de qualité qui ne sera décerné qu’à des journalistes qualifiés, probablement titulaires de la carte de presse. L’ensemble des bloggeurs, qui forme « le journalisme citoyen » avec plus de 3 millions de blogs en France, seront laissés à l’écart car non certifiés.
Le journalisme citoyen (dont AgoraVox est le journal leader en France) s’est imposé partout dans le monde comme une alternative au journalisme traditionnel, organisé en oligopole sur un marché dont l’accès était jusque là réservé à une poignée d’industriels. En Corée, il a même directement influencé l’élection du président Roh Moo Hyun, qui accordait au journal citoyen OhMyNews sa première interview. Tout comme Napster a permis à chacun de remplacer la Fnac dans la distribution de la musique, et NRJ dans sa diffusion, les blogs ont permis aux citoyens internautes de délivrer une information alternative à celle proposée par le Monde ou le Figaro. Ils font trembler la belle organisation économique qui reignait depuis des décennies, mais l’effondrement de l’oligopole médiatique n’est pas sans conséquences politiques.
Les débats sur la Constitution Européenne ont montré la puissance des blogs du « Non » face au « Oui » exprimé avec force majorité dans les médias traditionnels. Et le droit d’auteur n’existant pas sur l’information et les idées, les journaux ne disposent d’aucune loi pour protéger économiquement leur quasi-monopole. Le gouvernement ne dispose pas non plus en ligne des ficelles qu’il maîtrise hors ligne pour contrôler avec plus ou moins d’efficacité l’information – alors que la connivence entre le monde politique et les journalistes est de plus en plus dénoncée, il faut aussi noter entre autres choses que l’Agence France Presse (AFP) est financée à 50 % par l’Etat et que de grands quotidiens français sont subventionnés par le gouvernement, soit directement, soit indirectement (TVA réduite à 2,1% pour les journaux et magazines enregistrés par la Commission paritaire de la presse).
Dans ce cadre, le projet de RDDV peut faire craindre le pire pour la liberté de l’information sur Internet. Derrière la lutte de façade contre le piratage, c’est en fait la perte de contrôle sur la diffusion des contenus qui est en ligne de mire.
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