Les internautes et la culture numérique avaient été otages du CPE lors de l’examen à l’Assemblée Nationale. Ils seront victimes de l’affaire Clearstream au Sénat. L’examen par la haute assemblée du projet de loi DADVSI s’est ouvert jeudi dans la plus grande ignorance des médias traditionnels. Et surtout dans la plus grande confusion politique tant l’on a vu les logiques de partis s’effondrer.
Jeudi matin, Renaud Donnedieu de Vabres a défendu l’interopérabilité face aux sénateurs. RDDV s’est adressé à Apple et Microsoft, et à tous les gouvernements pour déclarer que « l’ensemble des Etats sera confronté à cette question qui devra être portée au niveau européen« . « La protection des mesures techniques de protection implique de pouvoir lire sur tout support l’œuvre achetée« , a affirmé le ministre de la Culture, qui a précisé que « l’interopérabilité n’est d’aucune manière une voie pour la piraterie« . Au lendemain du vote de l’article 7 par l’Assemblée Nationale, qui impose d’ouvrir à tout requérant le code source des DRM, Apple avait dénoncé un « piratage parrainé par l’Etat ». Le ministre n’a toutefois pas affirmé un attachement à la solution votée à l’unanimité, contre son avis et celui du rapporteur Christian Vanneste.
Par ailleurs, le ministre a souligné la nécessité de créer « un registre des œuvres« . « Chaque internaute pourra se référer à ce registre afin de savoir s’il acquiert une œuvre protégée ou libre de droit« , a indiqué RDDV. M. Donnedieu de Vabres a également repris à son compte l’idée communiste d’une plate-forme publique de téléchargement pour les jeunes créateurs, et a indiqué son souhait d’inscrire dans la loi le fait que « l’auteur est libre de mettre gratuitement ses œuvres à la disposition du public« . Au Sénat, RDDV ne sera pas le grand méchant loup.
Il a trouvé relève.
Anticipant les débats sur les amendements défendus par le rapporteur Michel Thiollière, RDDV a salué la « proposition de la commission de consolider le Collège des médiateurs vers une Autorité des mesures techniques« . Cette autorité, semblable au CSA, aurait pourtant des pouvoirs moins étendus et surtout beaucoup moins disuasifs que ceux du tribunal de grande instance qui bénéficie de compétences d’injonction dans la mouture actuelle du texte.
Enfin, et c’est ce qui aura le plus de conséquences pratiques pour les internautes, le ministre a d’ores-et-déjà signalé son intérêt pour l’amendement 103 proposé par MM. Dufault et Longuet. C’était un bug procédural dans le beau projet du ministre. Si l’on souhaite dresser des PV pour chaque téléchargement, encore faut-il pouvoir désigner le délinquant. A partir d’une adresse IP familiale, qui se trouvait derrière l’ordinateur au moment du crime ? S’agit-il du père, du fils ou de la voisine qui se branche sur la connexion Wi-Fi ? Pour résoudre ce bug qui rendait la loi innapplicable, l’amendement 103 propose de « responsabiliser le titulaire de l’abonnement« , qui sera par présomption le coupable de toute infraction réalisée à partir de son adresse IP. Pour éviter tout risque il faudra donc que le bon père de famille verrouille l’accès à ses modems et routeurs Wi-Fi (ce que peu d’internautes savent faire) et qu’il veille à ce qu’aucun de ses rejetons ne télécharge le dernier tube de la Nouvelle Star pendant que maman est partie faire les courses. L’injustice est manifeste mais qu’importe puisque le principe de sanction reste.
Catherine Tasca au pays de la politique
C’est avec molle contestation de la part des sénateurs de l’opposition qu’ont également débuté ce jeudi matin les premiers échanges sur un projet de loi jugé « bien mal engagé et bien mal mené » par Catherine Tasca. La sénatrice socialiste, qui était en poste rue de Valois au moment de la signature de la directive européenne en cours de transposition, n’a pas manqué de mots pour critiquer le travail de son successeur. Elle a dénoncé le choix de la procédure d’urgence et « l’impréparation du texte » alors qu’il faudrait « inventer une nouvelle économie » pour les échanges culturels sur Internet. « Il nous faudra mener la véritable concertation que vous n’avez pas organisé« , a plaidé Madame Tasca sans épargner pour autant ses propres collègues socialistes.
Après avoir piétiné la copie privée en prétendant qu’elle « ne s’appliquait qu’à des biens légalement acquis« , Catherine Tasca a jugé sévèrement ses collègues socialistes de l’Assemblée Nationale. « Nous ne pouvons pas accepter le glissement proposé par la licence globale« , a-t-elle affirmé après avoir indiqué que « le système de la copie privée n’a pas vocation à se substituer au droit d’auteur« .
L’opposition la plus ferme est venue du non-inscrit Bruno Retailleau, membre de la commission des affaires économiques, qui a critiqué de nombreuses atteintes faites par le projet de loi et les projets d’amendements aux intérêts économiques du pays. Le sénateur vendéen a notamment rappelé avec force l’importance économique du logiciel libre et de l’interopérabilité, en soulignant que la France était la troisième économie la plus forte en matière de logiciel libre, derrière l’Allemagne et le Japon. « Il faut vraiment toucher au texte de l’Assemblée avec une main très tremblante« , a demandé solennellement M. Retailleau.
Alors que les internautes espéraient une alliance des socialistes et des centristes pour faire face à l’UMP sur ce texte, l’UDF, qui devait faire pivot dans le débat, s’est affirmée comme le seul camp uni de l’opposition.
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