Amnésie et grosses ficelles
Réjouissons-nous au préalable que de nouveaux collègues de l’Assemblée nationale s’intéressent à ce dossier. Parmi les signataires de cette tribune, trois d’entre eux n’ont en effet assisté à aucune des 18 séances de l’Assemblée consacrées à ce projet de loi, les autres ayant plutôt choisi l’intermittence !
A plus d’un titre cette tribune a dû plonger ses lecteurs, comme nous-mêmes, dans une certaine perplexité.
Tout d’abord parce que nos collègues semblent découvrir l’objet même du projet de loi DADVSI. A défaut d’avoir lu la directive européenne que ce texte transpose, il leur aurait pourtant suffi de consulter internet, nouvelle mémoire collective, pour » découvrir » que son objet est de protéger juridiquement les » mesures techniques de protection « , sorte de verrous numériques destinés à contrôler l’usage des documents auxquels ils sont attachés. Une recherche plus attentive les aurait conduits jusqu’au ministre du gouvernement de Lionel Jospin qui a, au nom de la France, négocié cette directive au niveau européen dès 1997 : Catherine Tasca, aujourd’hui sénatrice… Nous laissons aux auteurs de la tribune la responsabilité de qualifier » d’archaïque » la vision du gouvernement socialiste de l’époque qui a choisi de soutenir la directive qu’il aurait pu transposer a minima dès 2001…
Quant à la prise de parole des signataires lorsqu’ils étaient au pouvoir, nous l’avons vainement cherchée. Nous n’avons trouvé aucune protestation d’aucun des signataires au moment où le gouvernement socialiste négociait la directive. Il est manifestement plus simple de s’opposer quand on n’est pas en situation de responsabilité.
Il est vrai que cet aveuglement, cette schizophrénie, est partagée de manière emblématique par l’étoile montante du PS puisque dans un communiqué daté du 6 mai, Ségolène Royal, qui était également ministre du gouvernement de Lionel Jospin – et dont on déplore l’absence en hémicycle lors des débats à l’Assemblée, condamne la protection juridique des mesures techniques de protection!
La cacophonie chronique dans les rangs socialistes autour de ce texte est une deuxième raison de perplexité. Car enfin quelle est la position du parti socialiste sur ce sujet ? Une lecture des débats et un examen attentif des amendements proposés au projet du gouvernement à l’Assemblée puis au Sénat révèle au sein du PS un grand écart qui est sans doute au coeur de la » vision socialiste, humaniste et moderne » affirmée par les rédacteurs !
Ainsi en est-il de la licence globale, annoncée par les rédacteurs de la tribune comme étant encore la position du PS ! Même grand écart sur l’interopérabilité présentée comme nécessaire dans le texte de nos cinq collègues : le sénateur socialiste Michel Charasse en propose tout simplement la suppression (suppression des 8 derniers alinéas de l’article 7 voté à l’Assemblée) et Catherine Tasca la limitation de sa mise en œuvre.
Troisième sujet de perplexité, l’approche désespérément politicienne des signataires… Nous étions pourtant parvenus à l’unanimité, dans le souci de l’intérêt général, à la toute fin du débat à l’Assemblée nationale, lorsque nous avions voté ensemble l’article 7 garantissant l’interopérabilité dans le respect du droit d’auteur et dans les meilleurs conditions pour le consommateur, et les éditeurs de logiciels. Non pas seulement grâce aux amendements socialistes comme le laissent entendre les signataires, mais avant tout et essentiellement grâce aux amendements UMP. Un périodique américain avait d’ailleurs salué cette position comme de nature à sauver la civilisation !
La métaphore laborieuse autour d’un » virus liberticide » ne résiste pas, elle non plus, à l’analyse. Ainsi la sénatrice socialiste Catherine Tasca a, au cours de la discussion générale au Sénat, déclaré » cruciale » l’efficacité des sanctions, et a salué le vote par l’Assemblée de l’article 12 bis qui fait porter la responsabilité sur l’éditeur de logiciel de son utilisation illicite (1). Dans cette même discussion générale, le sénateur socialiste Serge Lagauche approuve la création d’un registre numérique des œuvres dont on sait pourtant qu’il est l’élément de base d’un filtrage généralisé….
On pourrait également faire remarquer que dans » l’ordre établi » d’aujourd’hui l’exception pour copie privée et l’interopérabilité sont des droits alors que le » progrès technique » que constitue selon les députés socialistes la mise en œuvre de MTP permet essentiellement de généraliser le nouveau modèle de la location d’œuvres et plus largement met en danger toute une part de notre patrimoine… La culture jetable, nouvel idéal socialiste?
Mais peut-être sommes-nous simplement naïfs… Le rappel que les débats ont été suivis par un nombre considérable d’internautes, que la pétition d’EUCD.info a rassemblé plus de 160 000 signataires et que plus de 8 millions de Français utilisent le pair-à-pair est sans doute à lui seul la raison d’être de cette tribune. Et sans doute ne s’agit-il que d’une répartition grossière des rôles au sein du parti socialiste. A certains le rôle de séduire auteurs et artistes en pronant une version dure de la trasposition du texte européen et le moins d’exceptions possible – les socialistes dans leur ensemble n’ont même pas, contrairement à nous, soutenu l’exception à la redevance pour copie privée en faveur des hôpitaux-, à d’autres la charge de séduire les internautes et la communauté des » intégristes du libre « , selon l’expression du sénateur socialiste Michel Charasse, en prévison, bien sûr, des élections de 2007.
Enfin il nous faut garder un peu d’humilité. La tribune recèle des erreurs techniques qui montrent que ses auteurs ne maîtrisent pas totalement les sujets dont ils parlent. Ainsi le logiciel libre bénéficie bien lui aussi d’une licence – les discussions autour de la version trois de la GPL est bien visible sur internet-, et RealMedia n’est pas un système d’exploitation. Gagner des électeurs implique de ne pas perdre sa crédibilité.
L’examen du texte DADVSI n’est pas achevé. A nos yeux, il est essentiel de sauver certains aspects du texte voté à l’Assemblée nationale, notamment l’article 7 dont la vocation est de faire jurisprudence, au moins en Europe. C’est à ce type de priorités, d’intérêt général, qu’il nous semble urgent de travailler. Nous, élus, avons en effet mieux à faire que de nous invectiver à coups de textes parfois approximatifs.
Richard Cazenave, Bernard Carayon, députés UMP
(1) Nous avions, pour notre part, déposé un amendement qui permettait de sortir de l’insécurité juridique créée par cet article en excluant de cet article les logiciels destinés au travail collaboratif, à la recherche et à l’échange d’œuvres non soumises à rémunération…
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