Le cyberharcèlement est susceptible de concerner n’importe quel internaute. Mais faire valoir ses droits si la situation vient malheureusement à se présenter peut sembler décourageant. Quels sont vos recours si vous ou l’un de vos proches est harcelé en ligne ?

« La cyberintimidation consiste en l’utilisation des technologies de l’information et de la communication pour adopter délibérément, répétitivement et de manière agressive un comportement hostile à l’égard d’un individu ou un groupe avec l’intention de nuire à autrui. »

En 2003, l’universitaire canadien Bill Belsey forge le terme de cyberintimidation pour désigner les phénomènes de harcèlements perpétrés par la voie des outils numériques. Le cyberbullying, aussi traduit par le terme plus connu de cyberharcèlement, peut prendre de nombreuses formes (recevoir des vagues de messages insultants ou haineux, voir son identité usurpée sur de faux profils, être l’objets de rumeurs colportées en ligne…), mais présente bien souvent deux caractéristiques propres : l’anonymat et l’absence de face-à-face.

Le cyberharcèlement est caractérisé par l’anonymat et l’absence de face-à-face

L’essor du terme a permis de caractériser de nombreuses situations, au rang desquelles les phénomènes de haine sur des plateformes comme YouTube, la virulence de certaines personnes appartenant à la communauté du forum 18-25 de jeuxvideo.com, ou des ligues conspirationnistes et racistes récemment bannies de Reddit. Néanmoins, le cyberharcèlement ne prend pas toujours un caractère aussi sensationnel et médiatisé. Il suffit parfois de revendiquer une opinion en ligne pour recevoir des vagues de commentaires déplaisants, ou, tout simplement, d’être présent d’une manière ou d’une autre sur le web.

Puisque cela peut toucher n’importe qui, comment se prémunir contre le phénomène du cyberharcèlement ? Comment réagir si vous ou l’un de vos proches êtes confronté(e)s à cette situation ? Il y a quelques semaines, le sujet a été abordé lors du sommet Lesbians Who Tech, organisé dans les locaux de Google à Paris. Un panel consacré au cyberharcèlement y était animé par notre consœur de Buzzfeed, Marie Kirschen, avec les interventions du YouTubeur Cordelia, du collectif Féministes vs Cyberharcèlement et du hackerspace Le Reset.

Avec l’éclairage de ces deux associations, et l’analyse d’un avocat spécialisé, nous avons cherché à comprendre les ressorts juridiques que recouvrent le terme de cyberharcèlement, et de dresser une liste de recommandations utiles si vous veniez malheureusement à être concerné(e)s par ce phénomène.

« Dans ce genre de situation, les personnes se tournent généralement vers la police dans un premier temps, pour déposer une plainte. Or, le cyberharcèlement n’est pas un sujet prioritaire pour la police, car ce sont des affaires entre personnes. Ce n’est qu’ensuite que les victimes songent à se tourner vers les avocats spécialisés », nous explique Romain Darrière, avocat au barreau de Paris spécialisé en droit de l’Internet et des nouvelles technologies.

Une législation récente

Il faut préciser que, juridiquement, le phénomène du cyberharcèlement est longtemps resté enfermé dans une zone de non droit. Ce n’est qu’en août 2014 que le Parlement français s’est saisi de cette problématique avec l’intention de légiférer sur le sujet. Le 4 août, les parlementaires intègrent au Code pénal l’article 222-33-2-2. « Même si cet article ne mentionne pas le terme de cyberharcèlement, il en est clairement question », nous précise l’avocat spécialisé.

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CC Statmanharris

Selon cet article, plusieurs critères doivent être cumulés pour pouvoir parler de harcèlement : des pressions répétées, le fait que celles-ci soient exercées sur une personne vulnérable et dans la durée. « Le harcèlement sera aggravé s’il se produit sur les réseaux sociaux, ce qui signifie que le jugement sera plus répressif, poursuit Romain Darrière. Avec cet article, la France est plutôt en avance sur le sujet, comme elle l’est en général sur la création de nouveaux délits. Après, l’article de 2014 n’a pas pour autant entraîné une augmentation du volume des affaires. »

Le harcèlement sera aggravé s’il se produit sur les réseaux sociaux

Comment réagir si vous êtes cyberharcelé(e)s ?

Avant de vous reporter à ce socle juridique pour vous défendre en cas de situation de harcèlement, le juriste préconise de toujours tenter de trouver une solution amiable, bien que la démarche soit rarement couronnée de succès. « Souvent, les personnes continuent à avoir des comportements de harceleurs, et les victimes n’ont pas d’autre choix que de passer par la voie juridique », constate Romain Darrière.

« Le premier réflexe à avoir est de ne surtout pas supprimer les contenus, afin de constituer un dossier pour faire constater un maximum d’éléments. Dans le cas des publications en ligne, il faut faire constater ces contenus par un huissier, qui va réaliser une certification. » Une procédure onéreuse, puisqu’il faut compter entre 300 et 400 euros pour faire certifier une capture d’écran — ce qui permet d’attester qu’elle n’a pas été modifiée. La procédure de certification prend entre une semaine et 10 jours.

Faire certifier une capture d’écran coûte des centaines d’euros

Si la victime est en mesure d’identifier l’auteur du cyberharcèlement, son avocat peut procéder à une mise en demeure. Dans le cas contraire, il faut alors entamer une phase d’identification auprès de l’hébergeur : elle consiste en une procédure en référé devant un tribunal. « Certes, l’hébergeur — admettons, Google ou YouTube — n’est pas obligé d’obtempérer, mais en général il le fait car il n’a aucun intérêt à refuser et il s’en remet à la décision du tribunal », explique l’avocat.

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L’adresse IP communiquée par l’hébergeur permet d’entamer une démarche auprès du fournisseur Internet, afin d’identifier le harceleur. Dans ce cas, la victime peut se rendre devant un tribunal pénal ou directement devant un tribunal civil, où la procédure sera plus rapide (deux mois).

« La durée de toute la procédure dépend de la situation. Lorsque l’on sait qui nous harcèle, la procédure peut aller très vite, une semaine après la mise en demeure. Mais lorsqu’on ignore l’identité du harceleur et qu’on se lance dans la procédure d’identification, il faut déjà compter 2 à 3 mois supplémentaires, résume l’avocat spécialisé. La constitution du dossier est chronophage, et coûte cher, c’est un frein évident pour les victimes. »

Des collectifs pour aider les victimes

Pour les victimes de cyberharcèlement, de telles procédures peuvent ainsi s’avérer onéreuses, obscures et décourageantes. En outre, les victimes ne savent pas forcément quels sont leurs recours face à ce type de pressions, et peuvent se sentir isolées. C’est pourquoi le collectif Féministe vs Cyberharcèlement met par exemple à la disposition des internautes une liste de conseils sur son Tumblr afin d’aider les victimes à s’informer sur leurs droits et ne pas s’enfermer dans l’isolement.

Né sous la forme d’un collectif en janvier 2016, Féministes vs Cyberharcèlement est le fruit d’une initiative commune d’internautes qui ne s’étaient jamais croisé(e)s ailleurs que sur les réseaux sociaux. « Nous étions plusieurs filles sur Twitter, à avoir expérimenté le revenge porn ou des formes de cyberviolence. Beaucoup de filles issues de quartiers défavorisés qui avaient par exemple retrouvé leurs photos lambda sur Twitter, des clichés qui sont devenu une base pour du harcèlement. Nous étions déjà dans les études supérieures, et un peu plus âgées que ces filles, nous avons essayé de nommer bien les choses auprès d’elles, chacun des mécanismes oppressifs qu’elles vivaient », nous raconte Wissale, membre du collectif.

Un système pernicieux

Féministes vs Cyberharcèlement essaye d’agir dès que ses membres constatent une situation de harcèlement en ligne, sans forcément attendre une sollicitation de la part de la victime. « On s’était dit qu’en signalant des contenus à plusieurs, cela pourrait marcher. Or, ce n’est pas le cas, même quand nous avions émis 100 à 200 signalements sur des contenus. Cela ne marche jamais car c’est à la victime elle-même de le faire, c’est un système pernicieux », nous détaille Wissale.

En effet, les victimes ne sont pas forcément encouragées dans une telle démarche, et ce d’autant plus quand elles font partie de groupes sociaux invisibilisés. « Pour signaler un contenu à Twitter, il faut photocopier son passeport ou sa carte d’identité. Or, c’est une démarche qui pose question pour les personnes transgenres ou queer. Les réseaux sociaux ne sont pas faits pour nous, ils sont oppressifs. Même l’histoire de Facebook le montre, il y a un prolongement des mécanismes sociaux sur les réseaux », constate la membre de l’association.

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Les victimes qui cumulent les stigmates sociaux peuvent percevoir le droit comme un privilège

À ces procédures compliquées, Féministes vs Cyberharcèlement ajoute un autre obstacle : un manque de considération à l’égard des victimes, qui ont parfois besoin d’être suivies psychologiquement. « Il y a une incompétence notable des services de police, souvent ils font des blagues, ou refusent même de prendre des plaintes. Les victimes qui cumulent les stigmates sociaux peuvent vraiment se retrouver face à un droit perçu comme un privilège. Quant au personnel médical, il est rarement au courant, et le fait que le harcèlement soit en ligne alimente l’idée que ce serait faux. »

Pas de risque zéro, mais des conduites qui le limitent

De son côté, le hackerspace Le Reset organise régulièrement des cryptobars depuis sa création sous forme d’association il y a un an. Aujourd’hui, le collectif compte huit membres et entend faire de son hackerspace un lieu aussi inclusif que possible. « Nos ateliers mensuels, les cryptobars, reprennent le principe des cryptoparties, souvent animées par des mecs et qui ressemblent à une sorte de cours magistral sur comment chiffrer ses données. Chez nous, les personnes peuvent venir et être prises en charge en fonction de leur demande », nous explique Sam, l’un des membres du hackerspace.

Tout le monde n’a pas conscience que perdre son portable représente un risque

Le Reset renvoie d’ailleurs souvent ses visiteurs vers l’association Féministes vs Cyberharcèlement lorsqu’ils ou elles sont confrontées à du harcèlement en ligne. « Notre objectif est faire prendre conscience que ce risque existe. Par exemple, tout le monde n’a pas forcément conscience que le fait de perdre son portable représente un risque énorme car, bien souvent, toutes nos informations personnelles y figurent et nos mots de passe sont préenregistrés », poursuit Sam. Récemment, le Reset a répertorié dans un thread une série de conseils pour éviter autant que possible les situations à risque.

Parmi les recommandations du hackerspace, faire le tri dans vos paramètres sur les réseaux sociaux, activer la double authentification sur les comptes qui proposent cette option, utiliser un mot de passe suffisamment fort (pas de 123456), anonymiser ses photos, se méfier des métadonnées ou encore chercher son propre nom sur Google.

Malgré tout, le risque zéro n’existe pas

Néanmoins, les deux collectifs admettent sans détour que le risque de cyberharcèlement est toujours présent, même en encourageant autant que possible les internautes à s’en prémunir. « On peut se protéger tant que l’on veut, on est exposé car c’est inhérent à Internet. Nous conseillons quand même de ne jamais utiliser de cloud, ou de ne pas montrer son visage sur les photos nudes…

Malgré tout, on peut quand même reconnaître une personne grâce à son corps, selon sa corpulence, ses tatouages, ses cheveux. Un pseudonyme n’est pas non plus la solution. Le chiffrage des emails concerne plus le hacking que le cyberharcèlement. Il n’y a aucun risque zéro », conclut Wissale.

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