Visionnaire, arrogant, illuminé… Les adjectifs — élogieux ou péjoratifs — ne manquent pas pour décrire Elon Musk, l’entrepreneur touche-à-tout. Il faut dire que ses nombreuses entreprises alimentent forcément les débats.
Qu’il s’agisse des voitures électriques de Tesla, des projets martiens de SpaceX, des tunnels anti-embouteillage de la Boring Company ou encore de l’interface cerveau-ordinateur de Neuralink, Elon Musk fascine le grand public. Celui qui compte parmi les personnalités les plus fascinantes de la tech et divise l’opinion : certains le voient comme une sorte de grande figure capable d’assurer un futur positif à l’humanité, quand d’autres le considèrent comme un homme d’affaires surtout vendeur de grandes promesses.
Comment ce natif d’Afrique du Sud qui ne savait pas situer la Silicon Valley sur une carte en est-il devenu l’une des figures de proue ? Portrait d’un entrepreneur milliardaire à l’ascension fulgurante et aux ambitions démesurées.
Un « Genius Boy » passionné de comics
Fils d’un ingénieur en astromécanique sud-africain et d’une mannequin diététicienne d’origine canadienne, Elon Reeve Musk grandit à Pretoria, en Afrique du Sud, dans les années 1970. En plein apartheid.
Sa passion pour l’informatique lui vient dès la découverte du VIC-20 de Commodore. Le petit garçon s’initie dans la foulée à la programmation, qui l’amène par extension à découvrir sa fibre d’entrepreneur. En 1983, à seulement 12 ans, le blondinet crée en effet son propre jeu vidéo, Blastar — inspiré de Space Invaders — dont il revend le code à un magazine informatique pour 500 dollars.
Si les prouesses d’Elon Musk lui valent le surnom de « Genius Boy » dans son entourage, les passions singulières de cet adolescent passionné de comics — il nommera d’ailleurs l’un de ses fils Xavier en référence au professeur des X-Men — font de lui la cible préférée de ses camarades de classe. Son nez garde encore les traces de ces coups répétés pendant les cours de récréation.
Au fil des années, alors que sa passion pour le monde de la tech — et surtout pour ses innovations majeures — grandit, Elon Musk se met à rêver de rejoindre la Silicon Valley, qu’il imagine pendant longtemps comme une sorte de terre promise, sans savoir où elle se situe réellement aux États-Unis. À 16 ans, Elon poursuit aussi dans le monde du jeu vidéo en tentant d’ouvrir une salle d’arcade avec son frère Kimbal, mais le projet avorte dans la dernière ligne droite à cause d’un blocage administratif.
« Est-ce qu’il t’arrive de penser aux voitures électriques ? »
À l’approche de ses 18 ans, Elon Musk tente de convaincre ses parents, désormais divorcés, d’emménager aux États-Unis ou au Canada pour se rapprocher de son rêve. Après avoir obtenu la nationalité canadienne grâce à sa mère, il part s’installer au pays de la feuille d’érable. Il y multiplie les petits boulots alimentaires pour financer ses études, son père ayant refusé de les financer alors qu’il était prêt à le faire si Elon restait en Afrique du Sud.
L’aîné de la fratrie Musk passe 2 ans à la Queen’s University de Kingston, dans l’Ontario, avant de rejoindre les États-Unis pour suivre un double cursus de physique et d’économie au sein de l’université de Pennsylvanie.
Entre deux cours, lorsqu’il flirte avec ses camarades féminins, il ne peut s’empêcher de leur parler de voitures électriques, une passion qui l’obsède déjà. Au point de commencer l’un de ses rendez-vous par une question déroutante : « Est-ce qu’il t’arrive de penser aux voitures électriques ? »
Zip2, lancement réussi aux balbutiements du web
À 24 ans, son double diplôme en poche, Elon Musk gagne enfin la Silicon Valley pour étudier à Stanford. Mais il abandonne l’université au bout de 2 jours pour répondre à l’appel de l’entrepreneuriat en se ménageant une porte de sortie. Elon est en effet convaincu qu’il pourra revenir à Stanford en cas d’échec.
À cette époque, alors qu’Internet n’en est encore qu’à ses balbutiements, le jeune expatrié est convaincu de son potentiel : « En 1995, il n’était pas du tout clair qu’Internet allait devenir ce grand [outil] commercial. À vrai dire, la plupart des investisseurs auxquels je parlais n’en avaient même jamais entendu parler […]. Mais je voulais faire quelque chose dans ce domaine, j’étais sûr que ça deviendrait quelque chose de très important et que c’était le genre de choses qui se produit très rarement. »
Il décide de suivre son instinct en lançant, avec son frère Kimbal — et 2 000 dollars fournis par leur père –, Zip2, un outil qui aide les médias à passer du format papier au numérique en publiant en ligne des guides compilant les meilleures adresses des grandes villes. L’idée prend et Zip2 rencontre un certain succès, au point d’être revendu à Compaq en 1999 pour 307 millions de dollars.
De X.com à PayPal
Encouragé par cette première expérience positive, Elon Musk décide de poursuivre ses investissements sur le web en se tournant cette fois vers les services financiers. Son nouveau concept, X.com, repose sur une idée simple et efficace : « Vous aviez juste à taper une adresse mail ou un identifiant unique pour pouvoir transférer de l’argent […] d’un compte à un autre. »
X.com finit par fusionner avec l’entreprise Confinity pour devenir PayPal. Cette fois-ci, Elon Musk tire le maximum de profit de son entreprise, en la faisant entrer en Bourse avant de la revendre à eBay pour 1, 5 milliard en 2002, dont il conserve personnellement 170 millions.
Maintenant qu’il dispose de fonds suffisants, Elon Musk est prêt à investir dans les différentes innovations majeures qui lui tiennent à coeur. Les objectifs les plus ambitieux de ce féru d’exploration tournent autour d’une même planète : Mars, qui abrite à ses yeux le futur de l’espèce humaine.
À Moscou, les interlocuteurs russes du jeune entrepreneur spatial l’accueillent par des crachats
Malgré sa fortune, son manque d’expérience joue contre lui. Son voyage à Moscou, fin 2001, dans l’espoir de racheter du matériel spatial, se solde par un vibrant échec : ses interlocuteurs lui crachent (littéralement) dessus, agacés par l’assurance démesurée de ce trentenaire inconnu du milieu.
Qu’importe : en mai 2002, à Hawthorne, en Californie, Elon Musk fonde sa nouvelle entreprise : SpaceX. Il y investit 100 millions de dollars et commence à développer ses propres lanceurs. Quelques mois plus tard, il investit 50 millions de dollars dans les voitures électriques de Tesla, l’entreprise dont il finira par prendre la tête en 2008, deux ans après avoir misé 10 millions de dollars dans l’énergie solaire, le créneau fondateur de l’entreprise SolarCity.
« J’aimerais mourir en pensant que l’humanité a un bel avenir devant elle »
Dès cette époque, le millionnaire devenu citoyen américain prend l’habitude de porter plusieurs casquettes, toutes représentatives des nombreuses ambitions qui l’animent, sur Terre et au-delà. Elles dérivent toutes d’une même obsession : l’énergie durable.
Plutôt que de se contenter de simples innovations anecdotiques, l’entrepreneur entend créer de véritables révolutions de nos modes de vie, de celles qui l’inspiraient étant enfant. Le tout afin de concevoir un meilleur futur pour l’humanité : « J’aimerais mourir en pensant que l’humanité a un bel avenir devant elle. Ce serait vraiment génial si nous pouvions [aboutir à] l’énergie durable et nous orienter vers une voie qui ferait de nous une espèce vivant sur de multiples planètes […] pour survivre à un scénario catastrophe et à la fin de la conscience humaine. »
Ses débuts s’annoncent toutefois compliqués, surtout du côté de SpaceX, dont l’objectif — à long terme — de coloniser Mars semble plus distant que jamais. L’entreprise frôle la faillite après les trois lancements ratés consécutifs de la fusée Falcon 1. Heureusement, le quatrième, sur lequel se joue tout l’avenir de l’entreprise, est le bon. Et depuis la signature d’un premier contrat avec la Nasa, en 2008, SpaceX multiplie les avancées, malgré le retard pris récemment dans son ambition martienne.
Une personnalité critiquée
Si ses salariés admirent son ambition et ses projets, sa personnalité est parfois moins appréciée. Un employé de Tesla qui a eu la malheur de se plaindre de trop travailler, au cours des premières années d’existence de l’entreprise, se souvient de la réponse cinglante d’Elon Musk : « Tu auras beaucoup plus de temps pour voir ta famille quand on aura fait faillite. »
Pour sa part, Elon Musk cherche surtout un moyen d’optimiser son temps : « S’il y avait un moyen de ne pas manger et de pouvoir travailler plus, je ne mangerais plus. J’aimerais qu’il y ait un moyen d’engranger des éléments nutritifs sans avoir à prendre un repas. »
À défaut de pouvoir compter sur une telle technologie, pendant sa pause déjeuner, il se contente de siroter son produit nutritionnel Soylent tout en parcourant les catégories d’articles en ébauche sur Wikipédia et en y proposant ses corrections.
« Il est comme Terminator »
Sa volonté de « sauver le monde » découle-t-elle de ses lectures d’adolescence ? Elon Musk le reconnaît très sérieusement : « Je pense que les comics m’ont vraiment influencé. [Les héros] essayent toujours de sauver le monde en collants et avec des armures […] près du corps. » Mais ses obsessions se révèlent souvent payantes, dans tous les domaines, comme le confie son ex-femme, Justine Musk : « Pour moi, il est comme Terminator. Il fixe son regard sur quelque chose et lance : ‘Ce sera à moi’. Petit à petit, il m’a séduite. »
Pour d’autres, il est Iron Man. Jon Favreau, le réalisateur des films adaptés du comics, reconnaît s’être inspiré de l’entrepreneur au moment de donner vie à Tony Stark (incarné par Robert Downey Jr.). Qui pouvait mieux se prêter à ce rôle de milliardaire excentrique ?
Musk s’offre même une apparition en guest-star dans Iron Man 2. ll ne rate pas non plus l’occasion de troller sur Twitter quand le web se demande ce qu’il faisait au Pentagone : « C’était au sujet d’une combinaison volante en métal… »
« Combien de temps faut-il consacrer à une femme par semaine ? 10 heures ? »
Malgré sa notoriété toujours croissante, Elon Musk reste stupéfait par le décalage entre son travail et l’image qu’il dégage auprès du public : « Les gens ne réalisent pas que je consacre l’essentiel de mon temps à l’ingénierie. »
Il faut dire que l’entrepreneur passe aussi énormément de temps à courir les conférences et autres interventions publiques pour présenter sa vision du futur et les projets de ses entreprises — au point qu’un site dédié est consacré à ses citations : « Shit Elon says » (« les conneries que raconte Elon »). ll entretient aussi un rapport fusionnel avec Twitter, son support préféré pour faire ses annonces.
En 2012, le père de 5 enfants, divorcé de ses deux compagnes, confie à Business Week : « Je dois trouver une petite amie. C’est pour ça qu’il faut que je trouve un peu plus de temps. […] De combien de temps a besoin une femme par semaine ? 10 heures ? C’est le minimum ? Je l’ignore. »
2013, l’année de toutes les réussites
Un an plus tard, Elon Musk est nommé homme d’affaires de 2013 par le magazine américain Fortune, qui le préfère à d’autres grands noms de la tech comme Marissa Mayer de Yahoo ou Larry Page de Google.
Ce titre honorifique vient récompenser le parcours d’Elon Musk, milliardaire à la tête de deux entreprises qui peuvent se vanter respectivement d’avoir conclu plusieurs contrats spatiaux avec la Nasa et d’avoir obtenu les meilleures notes de sécurité routière avec la Tesla Model S. Aujourd’hui, le constructeur automobile serait en passe d’établir un quasi-monopole dans le domaine de la voiture électrique.
Récemment, Elon Musk a encore élargi ses domaines d’intervention en fondant la Boring Company et Neuralink, deux entreprises respectivement dédiées à la construction de tunnels anti-embouteillages et d’une interface cerveau-ordinateur. On lui doit aussi le concept de l’Hyperloop, ce mode de transport futuriste dans un tube, qu’il espère voir prendre forme un jour — sans toutefois s’atteler à sa création.
Du rejet de la « Realpolitik » au pragmatisme avec Trump
Elon Musk compte aussi son lot de détracteurs, en matière politique notamment. En mai 2013, il quitte brusquement le collectif Fwd.us de Mark Zuckerberg, qu’il avait rejoint pour mêler sa voix à celles d’autres personnalités de la Silicon Valley favorables à des réformes sur l’immigration.
L’entrepreneur d’origine sud-africaine, acquis à la cause écologique, n’a pas apprécié le soutien financier du collectif à des sénateurs favorables au controversé projet d’oléoduc Keystone XL. Et il tient à le faire savoir : « À l’origine, j’avais accepté de faire partie de FWD.us parce que je suis d’accord sur la nécessité d’une réforme de l’immigration. Mais j’estime que les méthodes employées étaient trop Kissinger-esques, trop proches de la Realpolitik. On ne devrait pas céder à la politique. Si on le fait, on aura le système politique qu’on mérite. »
Pourtant, trois ans plus tard, au lendemain de l’élection de Donald Trump, il accepte de rejoindre le conseil tech du président, alors que la majorité de la Silicon Valley s’y refuse et que les convictions de Trump en matière environnementale comme sur l’immigration sont aux antipodes de celles de Musk. Cette décision pragmatique lui vaut de vives critiques. Elon Musk a depuis quitté le conseil, pour dénoncer le retrait des États-Unis de l’accord de Paris sur le climat.
L’IA, le sujet de la discorde
D’autres détracteurs lui reprochent de dépeindre un scénario alarmiste autour de l’intelligence artificielle — la seule innovation technologique qui semble l’effrayer, au point d’avoir fondé le collectif OpenAI, qui vise à « faire avancer l’intelligence numérique de la manière qui serait la plus profitable à l’humanité, sans que ces recherches soient dictées par le besoin d’un retour sur investissement ».
Elon Musk ne craint pas en revanche de renvoyer Mark Zuckerberg dans les cordes lorsque celui-ci prend la défense de l’IA, en lançant que « sa connaissance du sujet est limitée ».
« Ce sont les actions qui comptent »
Récemment, Elon Musk a aussi été critiqué pour avoir annoncé prématurément l’obtention d’un accord gouvernemental pour la construction d’un Hyperloop entre Washington et New York. De nombreuses voix ont dénoncé un effet d’annonce fantaisiste. Musk a lui-même reconnu depuis qu’il s’agissait d’un moyen de susciter les investissements et le soutien autour de son projet.
Le milliardaire désormais âgé de 46 ans pense-t-il à la postérité ? Espère-t-il faire l’objet de films, comme Steve Jobs avant lui ? Pas vraiment : « Je pense que ce sont les actions qui comptent, pas ce que les gens penseront de moi dans le futur. Je serai mort depuis longtemps. Les actions que j’ai entrepris auront-elles été utiles ? »
Sans surprise, l’une de ses ambitions personnelles reste liée à ses grands projets pour l’humanité : « J’aimerais mourir sur Mars, mais pas au moment de l’impact [sur la planète]. »
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