Le Kazakhstan est une contrée qui ne manque pas de place, et elle en est fière. Quand les autorités ont transféré la capitale de la ville-frontière Almaty vers une bourgade au milieu de nulle part qu’ils allaient rebaptiser « Astana » — le nom précédent d’Aqmola, « tombe blanche » en kazakh, n’était pas des plus heureux –, elles ont décidé de transformer cette dernière en vitrine de puissance pour tout le pays.
De son passé soviétique, la ville a hérité d’immenses avenues — « suffisamment larges pour y faire atterrir des avions en temps de trouble », dit la légende urbaine. Elle affirme sa modernité par des bâtiments à l’architecture ostentatoire, impressionnants tant par leur taille que par l’espace qui les sépare les uns des autres.
Pour ceux qui ne possèdent pas de voiture, cheval du nomade du XXIe siècle, les bus sont une bénédiction : ubiquitaires et s’arrêtant partout, ce sont une soixantaine de lignes qui sillonnent la ville pour la modique somme de 90 tenge (20 centimes d’euros) le ticket.
La position des bus en temps réel
Le climat d’Astana est très agréable l’été, mais on ne peut pas en dire de même pour la moitié de l’année où il gèle ; c’est la deuxième capitale la plus froide du monde après Ulan-Bator en Mongolie. Au mois de décembre, lorsqu’il fait -25ºC sous un ciel de plomb, on n’a pas spécialement envie d’attendre dix minutes à l’abribus parce que le douillet véhicule est en retard. Mais pas de panique : c’est là que débarque Astra, l’Astana Transportation Authority, équivalent kazakh de la RATP.
Cet organisme dépourvu de site web, d’adresse mail et de standard téléphonique a vu nos demandes d’interview happées dans sa bureaucratie post-soviétique ; mais ce qu’on peut vous dire, c’est qu’il a délégué à la startup locale Open Technologies Group la confection d’Astrabus, une application qui affiche la position des bus en temps réel grâce à des balises qu’Astra aura intégré dans chacun de ses véhicules, y compris les plus vétustes. Après une brève recherche parmi les diverses applis de bus de Google Play, l’initiative kazakhe nous semble être une première mondiale.
L’application s’ouvre sur une carte empruntée à Google Maps. Dommage qu’il n’y ait pas eu de partenariat avec 2Gis, une grande startup russe spécialisée dans la cartographie de grandes villes et dont les cartes sont nettement plus détaillées que celles de la firme de Mountain View. Astrabus ressemble à une appli de bus classique, où l’on peut consulter des itinéraires, afficher les lignes et les stations, et consulter les actualités sur les modifications de parcours. C’est en sélectionnant une ligne qu’on voit la spécificité de l’application : les bus se baladent sur la carte sous la forme de curseurs rouges, version rustique des petites voitures de l’appli Uber.
Un outil dont on ne peut plus se passer
Voir les bus se déplacer sur la carte peut passer pour un détail, mais lors de notre séjour à Astana, nous n’avons plus pu nous en passer — et encore, nous y étions en août et pas en janvier. Pas une fois je n’ai eu l’intention de me déplacer sans ouvrir immédiatement l’appli pour savoir quelle ligne et quelle station m’amènerait le plus rapidement au but (« vaut-il mieux attendre 5 min que le n°53 arrive, ou ai-je le temps de marcher 200 mètres pour attrapper le n°12 qui arrive à deux gros pâtés de maisons ? »).
Attendre le bus s’avère également beaucoup moins frustrant si on peut le suivre sur la carte que si on doit se tourner les pouces sans savoir s’il arrivera à l’heure. Quand nous avons ensuite atterri à Almaty, où les bus ne sont pas géolocalisés comme à la capitale, Astrabus nous a immédiatement manqué — malgré les nombreux et malheureux défauts de l’application, dont l’implémentation pratique est à revoir.
L’implémentation pratique reste à revoir
Impossible par exemple de demander un itinéraire depuis sa propre localisation : il faut toucher l’emplacement de la carte où l’on se trouve, ce qui nécessite souvent d’abondantes tentatives. Ne comptez pas non plus sur des suggestions de recherche, ni d’estimation du temps de trajet. Enfin, la localisation des bus n’est rafraîchie que rarement, d’où une bonne dose de pifomètre pour deviner où ils sont vraiment à l’instant T — et nous oublions probablement d’autres accrocs.
Pour ceux que l’ergonomie d’Astrabus aura échaudé, certains abribus proposent pour patienter des audiolivres sous forme de QR codes, regroupant des classiques de la littérature kazakhe et étrangère. L’initiative, baptisée « Astana Bilimland » (du kazakh bilim, « connaissance »), aurait été fort sympathique si la calamiteuse infrastructure des données mobiles dans le pays supportait autant de kilo-octets…
En attendant, on ne peut que conseiller à Astra de faire peaufiner son appli. Et de se doter d’un site web, d’une adresse mail et d’un numéro de téléphone.
L’application Astrabus est disponible sous Android et iOS en anglais, russe et kazakh.
Le verdict
Astrabus
L'initiative est excellente et la valeur ajoutée étonnamment forte : Astrabus est un bel exemple d'innovation venue non seulement d'un pays qu'on cite rarement dans la presse tech, mais en plus d'une instance publique alors que les entreprises privées concentrent généralement toutes les avancées. L'application pèche néanmoins sur des considérations bien plus terre-à-terre d'ergonomie et d'implémentation. C'est vraiment dommage.
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