« Dans le secondaire, de même qu’au niveau de l’enseignement supérieur, la chute de la proportion de filles qui s’orientent vers les formations high tech s’accentue. » Voici l’un des enseignements que le cabinet d’études Global Contact dresse dans son rapport « Gender Scan 2017. »
Dévoilé en octobre 2017, ce document fondé sur des donnés ministérielles constate le recul de la féminisation des formations de haute technologie, une évolution jugée « alarmante. »
En effet, la part des étudiantes évoluant dans les sciences fondamentales à l’université (licence, master et doctorat) a accusé une baisse notable en cinq ans. Alors que les femmes représentaient 28 % des élèves engagés dans ces formations, elles ne sont plus que 25 % en 2015, souligne cette étude.
7 % de femmes en BTS informatique
De manière analogue, la proportion de femmes préparant un BTS d’informatique ou de services numériques a chuté entre ces deux dates, passant de 10 % à 7 %. Alors que des initiatives voient le jour pour encourager les femmes à postuler et faire carrière dans le secteur des technologies, ces dernières sont désormais moins nombreuses à intégrer les formations susceptibles de les mener à de tels postes.
Comment expliquer une telle évolution défavorable aux femmes ? Selon Isabelle Collet, maîtresse d’enseignement et de recherche à la section des sciences de l’éducation de l’université de Genève, un tel constat tient à plusieurs variables.
À commencer par la tendance des lycéens à s’orienter massivement vers la section scientifique. « La filière S est la plus paritaire au lycée, et la plus choisie par les filles. Pourtant, elles y sont proportionnellement moins nombreuses, car les garçons évitent les autres filières et préfèrent se concentrer en S », nous précise la chercheuse spécialisée sur la question du genre à l’école.
« Ce que l’on constate, poursuit-elle, c’est que les filles sont majoritaires au lycée et dans les filières générales. Par ailleurs, on observe une disproportion entre la filière S et les autres filières : dans la plupart des lycées, on trouve davantage de classes de S que de classes de ES, que de classes de L. Choisir la filière S ne revient pas à choisir les sciences. » Autrement dit, les élèves se tournent vers la filière scientifique, supposée être la voie ouvrant le plus de portes à la sortie du baccalauréat.
« Choisir la filière S ne revient pas à choisir les sciences »
Une telle stratégie n’est pas sans conséquence sur la place occupée par les femmes une fois passé le perron de l’université. « Dans l’enseignement supérieur, on retrouve les filles dans les filières de la biologie ou de la médecine, tandis que les garçons vont davantage s’orienter vers les maths et l’informatique », fait observer Isabelle Collet.
Historiquement, l’arrivée massive des femmes sur le marché de l’emploi au cours de la deuxième moitié du vingtième siècle a pourtant donné l’occasion à ces travailleuses d’intégrer les filières scientifiques, note la chercheuse. « Dans les années 1980, on a observé un véritable boom avec l’arrivée des femmes sur le marché de l’emploi de manière générale. Davantage de femmes sont arrivées dans des métiers scientifiques, mais cela ne traduisait pas une spécificité des filières scientifiques, mais l’évolution générale du marché de l’emploi. »
Le fruit d’une évolution historique
Pour comprendre la manière dont les femmes ont pu se trouver progressivement à l’écart de la haute technologie, Isabelle Collet s’attarde sur l’exemple de l’informatique : « On peut observer trois dynamiques. Tout d’abord, dans les années 1970 et 1980, il s’agissait d’un domaine peu connu, auquel n’était pas associé la notion de prestige. Les femmes techniciennes y ont trouvé de la place, et ont été nombreuses à y travailler. En Angleterre, par exemple, on a alors observé un afflux d’intérêt pour l’informatique, et ces femmes ont commencé à former les hommes, qui ont ensuite fait carrière dans l’entreprise, contrairement à elles. Avec la reconnaissance de l’informatique et le prestige associé à ce domaine, les hommes sont devenus plus nombreux. »
L’universitaire poursuit : « Ensuite, il faut considérer le développement autour de l’imaginaire geek, qui a eu tendance à lier le rapport à l’informatique aux garçons. Cela rend d’emblée compliqué pour les femmes de s’y identifier, même s’il faut garder à l’esprit que cet imaginaire geek n’est pas représentatif de toutes les personnes qui travaillent dans l’informatique. »
Le recul des femmes au sein des filières scientifiques et technologiques vient également d’un présupposé rarement remis en question : à l’école, l’informatique est éminemment liée à la pratique des mathématiques. « Pourtant, l’excellence en maths n’est pas un pré-requis pour faire de l’informatique, assure Isabelle Collet. Par exemple, on peut très bien étudier les lettres, les langues, et se tourner vers l’informatique qui, après tout, est aussi un langage. Cette relation entre maths et informatique créé un combo perdant pour les femmes. »
Outre la sphère éducative qu’il s’agirait de repenser dès les premières années d’école, les processus de recrutement ne sont pas indifférents à l’inégale répartition entre femmes et hommes au sein des milieux tech. « L’Université de Carnegie Mellon s’est par exemple aperçue que le problème se posait au niveau du recrutement. Tant qu’on se base sur une pratique antérieure de l’informatique, acquise hors de l’école, les jeunes femmes ont moins de chances d’être sélectionnées », constate Isabelle Collet.
« Une censure sociale »
En France, c’est le système APB qui fonctionne, selon les mots de la chercheuse, comme « un véritable filtre » : « Ce mode de sélection, impersonnel, n’encourage pas la progression des filles dans ces filières technologiques. L’école pratique peu l’informatique, or pour que les femmes choisissent des filières informatiques il faudrait qu’elle se soient familiarisées avec cet univers par le biais de l’enseignement. »
Enfin, Isabelle Collet met en garde contre l’idée que ce recul proviendrait d’un processus d’auto-sélection opéré par les lycéennes et étudiantes elles-mêmes. « Les femmes ne font pas de l’auto-sélection, c’est une véritable censure sociale : en raison des stéréotypes, des remarques sexistes, du manque de modèles, elles en viennent à douter de leur compétence. Pour qu’une fille se juge bonne en science, elle va devoir en faire plus dans des endroits où elle se sent moins légitime. »
De tels freins peuvent démotiver les femmes, pourtant tentées par des études de sciences et de technologie.
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