Vous vous souvenez de vos rentrées d’élève ? Celles où l’on se promet de travailler dur, et où on exhibe ses nouvelles fournitures scolaires, qui sentent bon le plastique neuf ? Avant de préférer la procrastination à l’action, et les ratures aux cahiers soignés. Pour d’autres, un matériel scolaire impeccable et une motivation à toute épreuve sont indiscutables. C’est le cas de la communauté Studygram (contraction de « to study », étudier, et « Instagram »), qui rassemble, des centaines de milliers d’étudiants à travers le monde à coup de posts motivants.
Encore assez méconnue du grand public et âgée d’à peine quelques années, cette niche ne fait que s’étendre. L’une de ses stars est peachystudy, Emma de son vrai nom. Cette Britannique de 17 ans a créé son Instagram dédié à ses études en février 2016. Il est devenu l’un des plus suivis du genre, avec 257 000 abonnés. En août dernier, elle a même été mise en avant sur le compte officiel d’Instagram. Sa petite histoire l’a fait entrer dans celle du mouvement : c’est en personnalisant l’agenda fourni par son école qu’elle s’est intéressée à l’univers Studygram.
Rechercher la satisfaction visuelle
Car un compte Studygram doit être beau. Certains codes se dégagent : un bureau blanc éclatant, où sont harmonieusement disposés fiches de révision, cahiers, calepins, agendas ou post-its où tout est écrit, dessiné et collé à la perfection. Sans oublier d’utiliser le maximum de couleurs.
Le but ? Déclencher une impression « satisfying », satisfaisante, expression devenue un tag sur YouTube ou Instagram. Soit : chercher de la beauté dans des contenus un peu étranges (comme les vidéos de slime), ou bien agréables dès le premier coup d’oeil. Il y a une sorte d’apaisement à regarder les comptes Studygram, notamment si une Hermione Granger et/ou perfectionniste sommeille en vous.
« J’aime prendre des notes très bien écrites, et c’est complètement satisfaisant pour moi d’avoir un carnet de notes entièrement rempli », confesse peachystudy, qui a créé son compte à force de voir ce genre de contenus sur Tumblr, là où la communauté est née. C’est grâce à des tutoriels postés sur Instagram qu’elle a perfectionné son écriture. « Cela me prend beaucoup de temps de tout écrire, mais c’est un temps que je suis prête à investir, parce qu’il m’aide à apprendre », indique-t-elle.
Une autre Emma lui dispute le podium de la gouroue Studygram la plus suivie : Emmastudiess. Cette Anglaise expatriée à Sydney est en 2e année de licence de communication. Il y a de quoi être hypnotisé par ses notes très créatives, débordantes de couleurs et à la typographie ciselée.
« Je pense que si j’aime que tout soit net et en ordre, c’est à cause de mon côté perfectionniste, reconnaît-elle. Je trouve cela extrêmement satisfaisant de voir mes notes rédigées ainsi. Je me sens toujours fière et contente de l’effort que j’ai fourni. Prendre des notes très belles m’aide aussi à mémoriser l’information, donc je vois ça comme un vrai plus. »
Même constat du côté de Waystostudy, autre papesse du genre, avec 169.000 abonnés sur Instagram, 251.000 abonnés sur YouTube et un site fourmillant de conseils : « Je me fiche un peu de savoir à quoi ressemble mon écriture, mais je prends effectivement mon temps pour coucher mes notes sur papier. J’aime que ça ait un beau rendu final parce qu’ensuite, c’est beaucoup plus amusant à étudier ».
Inspirer et motiver
La force d’un post Studygram est qu’il est performatif : il marche comme un shot de motivation, et c’est précisément ce que les abonnés recherchent. Il y a environ 2 ans, Waystostudy tombe sur une photo d’un bureau avec beaucoup de papeterie, sur l’application We Heart It (réseau social reposant sur le partage d’images inspirantes, qui revendique 45 millions d’utilisateurs, ndlr). C’est le déclic : « Elle m’a vraiment motivée à prendre mes livres de cours et à étudier, alors que j’étais en vacances d’été. J’ai commencé à chercher plus d’images de ce type et je les enregistrais sur mon téléphone. »
Voir un compte étudiant qui poste des astuces ou des photos peut rappeler qu’il faut poser son téléphone et se mettre au travail
Une fois retournée en cours, Waystostudy est insatiable, et cherche des photos de gens en train d’étudier : « Quand je voyais ce genre d’images, ça me rappelait que je devais me remettre au travail ». Cette Hollandaise de 20 ans crée son propre compte en décembre 2015, pour « se motiver et suivre ses progrès ». Rapidement, ses abonnés lui demandent des astuces pour étudier plus efficacement. Face aux questions récurrentes, l’aspirante avocate lance son site de conseils un an après son Instagram, et une chaîne YouTube.
Son plus gros succès ? Sa vidéo Comment être productif en rentrant des cours, vue près de 2,5 millions de fois. « Quand je la regarde à nouveau, je vois bien qu’elle n’est pas très bien éditée, mais elle aide des tonnes de gens, alors ça me rend heureuse », s’enthousiasme-t-elle. Son but ? « Aider les gens à devenir de meilleures versions d’eux-mêmes ».
« Nous procrastinons tous en jetant un coup d’oeil aux réseaux sociaux. Du coup, voir un compte étudiant qui poste des astuces ou des photos peut rappeler qu’il faut poser son téléphone et se mettre au travail », s’amuse Emmastudiess, qui dit être elle-même une procrastineuse dans l’âme.
Interactions multi-plateformes
Les influenceuses de la communauté Studygram (il s’agit en grosse majorité de femmes) sont de vrais modèles pour leurs abonnés, qui les sollicitent énormément. Les Studygrameuses organisent parfois des sessions de questions/réponses live en story Instagram et vont jusqu’à se filmer pendant qu’elles étudient.
La chose la plus importante à mes yeux est de motiver et inspirer des gens partout dans le monde
Chaque semaine, Emmastudiess reçoit entre 100 à 300 messages, et répond à plusieurs dizaines d’entre eux sur son blog. « J’interagis autant avec mes abonnés parce que c’est la chose la plus sympa à faire quand on fait partie d’une communauté ! J’adore entrer en contact avec eux, et être simplement capable de discuter avec eux. On ne parle pas toujours de nos études, et on finit par avoir des discussions comme entre des amis. » Parmi ses sujets d’échange favoris : Game of Thrones.
« Je ne connais pas le nombre exact de commentaires que je reçois, mais je fais de mon mieux pour répondre au plus grand nombre », assure de son côté peachystudy. « La chose la plus importante à mes yeux est de motiver et inspirer des gens partout dans le monde », ajoute la lycéenne, qui se dit honorée d’être si suivie.
Ne leur parlez cependant pas de meet-ups. peachystudy dit n’avoir jamais rencontré de fans, à part ceux qui fréquentent le même lycée qu’elle, tandis qu’Emmastudiess adorerait en voir dans la vraie vie. « Comme je veux rester anonyme, je ne peux pas rencontrer mes fans, mais j’espère compenser ça en répondant au plus de commentaires possibles sur Instagram », explique quant à elle Waystostudy. L’étudiante en droit casse d’ailleurs un peu le mythe : « Il n’y a aucune astuce qui vous rende motivé pour le reste de votre vie (…) C’est ce que j’essaie de montrer dans mes vidéos, où j’essaie de rendre les études plus simples et amusantes ».
Étudier, c’est cool
Si les membres de la communauté Studygram s’échangent des conseils pour être plus productifs et discutent de tout et de rien, ils se déculpabilisent aussi. Dans la vraie vie, être l’intello de service est rarement célébré. Ici, c’est tout le contraire. « Cette communauté montre qu’il n’y a aucune honte à étudier sérieusement, se réjouit Waystostudy. Quand j’étais au lycée, ce n’était pas vraiment cool de montrer que vous aviez beaucoup travaillé pour obtenir vos notes, et je pense que ce genre d’attitude est en train de changer. »
« Il y a un vrai réseau d’entraide et d’amitié au sein de cette communauté, confirme peachystudy, qui communique régulièrement avec d’autres Studygramers. Elle est importante, car elle montre qu’on n’a pas à rougir de travailler dur à l’école et d’être fier de faire de son mieux, et que beaucoup de gens autour du monde ont la même manière de penser et sont tout aussi motivés. » Emmastudiess affirme de son côté s’y être fait de très bons amis dont deux avec lesquels elle communique parfois plus qu’avec ses amis de la vraie vie.
Si les gens veulent voir en moi un exemple, je veux qu’ils admirent avant tout mon dévouement et le travail très dur que je fournis, pas mes résultats.
Malgré cette course à la productivité, la communauté Studygram ne pousse pas ses membres à la compétition. Pas de disputes, pas de commentaires assassins ou moqueurs, ni de comparatifs de notes.« Il y a un vrai esprit d’entraide, et aucune compétition, affirme Waystostudy. Il peut y avoir de la compétition à l’école, mais en ligne, personne n’a à entrer en compétition avec les autres. Tu peux être la meilleure version de toi-même sans te sentir mal parce que quelqu’un est plus fort que toi. » C’est pour cela que cette fan de New York Unité Spéciale ne divulgue par ses notes. « Si les gens veulent voir en moi un exemple, je veux qu’ils admirent avant tout mon dévouement et le travail très dur que je fournis, pas mes résultats. »
Paper business
Qui dit niche très engagée dit forcément intérêt marketing. Si cette communauté est relativement récente, les marques n’ont pas tardé à mettre la main dessus. C’est notamment le cas de la marque de papeterie suédoise Whitelines, qui y voit un nouveau vivier de consommateurs. Fondée à Stockholm en 2006, elle collabore avec de nombreuses influenceuses du milieu, dont peachystudy. Dans la photo ci-dessous, la lycéenne présente un de leurs cahiers, dont la particularité est la couleur des interlignes : blanche. En scannant la feuille via leur application — gratuite — elles disparaissent.
« Quand la stratégie de Whitelines a changé pour se concentrer sur les étudiants, il était important de trouver de nouveaux canaux où nous pouvions communiquer avec cette tranche d’âge », nous apprend par mail Anna Hansson, responsable communication pour l’entreprise. Mais la marque affirme ne pas avoir visé une cible plus qu’une autre : « La ‘communauté Studygram’ a grandi autour de nous et ce n’est que plus tard que nous avons commencé à voir les comptes étudiants comme faisant partie d’une communauté en ligne à part. »
Whitelines voit en Instagram un potentiel certain : se faire connaître du plus grand nombre et avoir énormément de retours sur ses produits. La marque jure ne pas proposer de collaborations payées. À la place, elle envoie un nombre limité de produits gratuits que les Studygramers peuvent tester puis, éventuellement, présenter à leurs abonnés. Des posts que Whitelines s’empresse de repartager à son tour, sur son propre compte Instagram.
Une stratégie payante : « Nous avons remarqué que plus de gens connaissent nos produits à ce jour, et nous espérons qu’à long terme, Whitelines devienne disponible au plus grand nombre d’étudiants possible dans le monde ».
Cette communauté est plutôt récente donc peu d’entreprises ont pour l’instant fait le pari de travailler avec des profils comme le mien
L’une des autres marques très présentes chez les Studygramers n’a pourtant rien à voir avec la papeterie. Il s’agit des montres Daniel Wellington, une entreprise fondée en Suède en 2011, et dont la présence en ligne est impressionnante (plus de 3 millions d’abonnés sur Instagram). Quand un Studygramer collabore avec elle, il dispose d’un code promotionnel à son nom. Cela a été le cas pour Waystostudy et peachystudy. Emmastudiess « évite le plus possible », de collaborer avec des marques qui ne sont pas liées à la papeterie.
Parler gros sous est cependant un gros mot pour les Studygramers. peachystudy dit simplement qu’elle se sent honorée que des marques fassent appel à elle. Waystostudy affirme recevoir des offres de collaboration tous les jours, mais en refuser la majorité : « Je ne travaille qu’avec des marques dont les produits pourraient intéresser mes abonnés et qui correspondent à mon image. Pour moi, l’argent n’est pas le plus important. » Mais elle refuse de donner une fourchette de prix : « Je préférerais ne pas parler de ça. Cette communauté est plutôt récente donc peu d’entreprises ont pour l’instant fait le pari de travailler avec des profils comme le mien. »
Les influenceuses Studygram sont nombreuses à vouloir devenir leur propre marque. Celles qui ont répondu à nos questions rêvent toutes d’en vivre. peachystudy a monté sa boutique Etsy, où elle personnalise des couvertures de cahier à la demande : « J’adore la calligraphie et je voulais avoir la chance de créer quelque chose pour les gens qui me suivent et me soutiennent depuis si longtemps. »
Waystostudy est allée plus loin en ouvrant à la rentrée 2017 sa boutique en ligne de papeterie, sur laquelle elle travaille d’arrache-pied avec son petit-ami. Elle en a eu l’idée quand ses cahiers à spirales préférés n’ont plus été produits. L’étudiante en droit vend pour l’instant des cahiers et carnets de notes avec calendriers, et compte étendre sa boutique à d’autres produits comme des marqueurs ou agendas annuels.
De son côté, Emmastudies passe un temps considérable à créer sur son ordinateur des plannings mensuels et fonds d’écran colorés à destination des étudiants, qu’elle offre en téléchargement gratuit sur son blog. Elle a aussi sa boutique Etsy, où elle vend des packs d’agendas à imprimer. Depuis fin août, elle en a écoulé plus de 600.
« Je pense que la communauté étudiante en ligne était auparavant une niche, mais maintenant elle a l’air de devenir de plus en plus mainstream et populaire, ce qui est génial ! », constate peachystudy.
N’en déplaise aux apôtres du tout numérique, les étudiants ne sont pas près de lâcher le papier de sitôt.
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