Depuis la sortie de Star Wars : Les Derniers Jedi, j’essaie de dresser une typologie des gens qui ont aimé le film et de celles et ceux qui ne l’ont pas apprécié. La tâche est plus complexe qu’il n’y paraît, car des amoureux du cinéma critiquent, comme Corentin pour Numerama, avec justesse et intelligence cet épisode VIII. D’autres, au contraire, apprécient l’audace de Johnson qui a (enfin ?) dévié Star Wars de son moule. Et ce schéma se répète à l’infini : on trouve des détracteurs et des admirateurs du film dans tous les types de spectateurs, du passionné au curieux, en passant par le fan hardcore à celui qui n’a jamais vu un Star Wars. Bref, pour des tas de raisons, le film divise et la ligne de démarcation n’est pas nette.
S’informer sur ce qui s’est passé dans une galaxie lointaine, très lointaine
En revanche, pour une partie de ceux qui apprécient l’épisode VIII, un élément vient à manquer quand on oublie leur manière de voir un Star Wars. Pour au moins deux générations de fans, qui étaient pile enfants ou ados lors de la sortie de la trilogie ou de la prélogie, Star Wars a le pouvoir d’un mythe fondateur et d’une mythologie. C’est un conte suffisamment puissant et reposant sur des schémas fondamentaux pour qu’il ait un rôle presque mystique dans la culture et la construction de l’identité. Mais contrairement aux récits religieux, mythologiques ou aux contes, Star Wars ne propose pas qu’un passé et une vue du futur : c’est aussi un présent qui s’actualise.
Et c’est, je pense, l’état d’esprit avec lequel des gens comme moi vont voir un nouveau film de la saga, pas fans hardcore au point de se déguiser ou de participer à des événements, mais suffisamment pris par Star Wars en tant que mythe. Simple à résumer au fond : je ne vais pas voir une œuvre cinématographique, je vais dans une salle obscure pour m’informer sur ce qui s’est passé dans une galaxie lointaine, très lointaine. Les conteurs s’appelaient George Lucas, Irvin Kershner ou J. J. Abrams : aujourd’hui, il s’appelle Rian Johnson et cela me va. Sa seule mission, pour moi, est de rendre compte de l’Histoire du mieux qu’il le peut.
Mais alors, Les Derniers Jedi, ça parle de quoi ?
C’est pour cela également qu’il est possible d’accepter et de reconnaître parfaitement les critiques autour de ce nouvel épisode et, pourtant, d’avoir été du côté de celles et ceux pour qui l’émotion a été intense. On peut être bien assez honnête pour voir à quel point la scène de Leia dans l’espace est affreuse, mais assez pris pour l’oublier, par la course-poursuite spatiale qui s’amorce et ce moment charnière dans lequel le jeune Kylo renonce à tuer la mère après avoir tué le père.
Car il ne faudrait pas se tromper sur l’histoire amenée petit à petit par cette nouvelle trilogie : ce n’est pas l’histoire des Skywalker dans la galaxie, mais celle de Rey et de Ben Solo, deux jeunes en construction et dont la vie se déroule comme une double tragédie, construite en miroir. Dans Les Derniers Jedi, tout est question de choix. Éthique, personnel, pragmatique, humain… le choix est au cœur du toutes les actions et mène bien souvent à l’autre thème récurrent de ce nouvel épisode : l’échec.
Au fond, tout n’est qu’une succession d’échecs, de l’assaut déraisonné, mais ô combien épique de Poe qui ouvre la séquence jusqu’à la fuite en avant de la flotte qui va se suicider petit à petit, en passant par la mission de sauvetage sur la planète casino, la formation prodiguée par Luke ou la tentative de Rey de faire retourner Kylo Ren du bon côté.
Kylo Ren est au fond le Sith le plus dangereux de l’univers Star Wars, car il est le plus humain
Mais, miroir oblige, l’échec est aussi du côté obscur et — c’est l’une des phrases de Yoda –, où l’on aurait pu en tirer un enseignement, Kylo Ren en tire de la haine. Une haine dont il ne sait pas trop quoi faire et qui l’émeut parfois jusqu’aux larmes, plongé qu’il est dans ses propres contradictions, ses propres choix. Kylo Ren est au fond le Sith le plus dangereux de l’univers Star Wars, car il est le plus humain. Ce n’est pas une caricature du Mal, mais le mal dans tout ce qu’il a de plus pernicieux : caché, enrobé, allant jusqu’à nous angoisser quand il devient si compréhensible… on arrive à souffrir avec Kylo Ren quand on rigole des discours absolus de Snoke. Snoke, incapable lui aussi de prévoir que le mal humain est imprévisible.
Si l’on enlève donc la cinématographie du cinéma, si l’on met dans la balance les plans qui touchent au sublime (la salle de la garde, le suicide par hyperespace, la planète de sel qui révèle son sang, les dogfights…) et ceux qui confinent au ridicule (le casino, la sortie spatiale, le plan final pour vendre des bagues aux enfants…) pour les annuler, voilà l’histoire qu’il reste.
Avec Les Derniers Jedi, le mythe Star Wars a accueilli une nouvelle brique en nuances de rouge et de blanc, dans laquelle deux personnages dansent un ballet que rien ne vient éclipser, réinterprétant par la même occasion la Force, la morale et l’échiquier politique de la galaxie. Et le destin de la galaxie a avancé au même rythme que celui de Rey et de Kylo. À la fin de l’épisode, tout est en tension : le Premier Ordre va connaître une guerre pour la chefferie, la Résistance n’existe plus, Rey est livrée à elle-même et Kylo Ren est rongé par sa haine.
On ne peut que avoir hâte de voir comment J. J. Abrams va conclure ce chapitre du plus beau conte de la galaxie.
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