Une entreprise néerlandaise lance LegalFling, une application qui utilise la blockchain pour s’assurer que des personnes sur le point d’avoir une relation sexuelle sont consentantes. Mais la question du consentement peut-elle vraiment se régler d’un simple balayage de l’écran ?

« LegalFling est la première application qui se fonde sur la blockchain pour vérifier le consentement explicite avant toute relation sexuelle. » Voici, résumé en quelques mots, le principe fondateur de ce service, proposé par l’entreprise LegalThings, que l’on pourrait situer quelque part entre l’univers des crypto-monnaies et celui des applications de rencontre.

D’un simple balayage de votre écran — le fameux « swipe » popularisé par Tinder — LegalFling ne vous propose ainsi pas autre chose que d’établir un contrat attestant de votre consentement sexuel, enregistré dans une chaîne de bloc.

Envoyer des demandes de consentement par WhatsApp

Dans le fonctionnement des crypto-monnaies, à l’instar du Bitcoin, la blockchain est le nom donné à l’immense registre de toutes les transactions jamais effectuées en son sein. Issue de la cryptographie, cette technologie fonctionne comme un livre ouvert, auquel serait régulièrement ajouté de nouvelles pages (les fameux blocs).

LegalFling adapte ce principe à son application, qui permet par ailleurs d’envoyer une demande de consentement à une relation sexuelle via des messageries, comme WhatsApp. L’app prévoie que vous puissiez fixer des limites ou l’utiliser avec un ou une partenaire de longue durée. Et, comme tout contrat, vous pouvez signifier votre désistement à n’importe quel moment.

Legal Fling

Legal Fling

« LegalFling crée un accord juridiquement contraignant »

Estimant que l’incertitude est une donnée à prendre en compte lors d’un rapport sexuel, l’entreprise néerlandaise souligne également la difficulté que peut représenter une action en justice dans le cas d’une relation non consentie. Selon elle, la blockchain apporterait une solution au problème, en permettant de matérialiser le consentement sous la forme d’un contrat.

« LegalFling crée un accord juridiquement contraignant, ce qui veut dire que toute infraction est une violation du contrat. En utilisant le protocole LiveContracts, votre accord privé est vérifiable grâce à la blockchain, et exécutable en un seul clic », peut-on lire sur le site de l’application.

LegalFling n’est pas la première application à nous vendre « le consentement en un clic » :  comme le rappelle The Next Web, l’appli SaSie et la suite d’outil We-Consent, créées aux Etats-Unis, existent depuis un moment et visent en particulier les étudiants.

Couple

CC Katie Salerno

Mais ces applis renvoient une image fausse de ce qu’est le consentement. Il ne s’agit pas d’un unique accord que l’on donnerait avant de se mettre au lit avec quelqu’un. En effet, le consentement doit être présent à chaque moment de l’acte sexuel, car avoir envie d’un rapport sexuel ne signifie pas que l’on sera d’accord pour faire tout ce dont l’autre a envie. Et le consentement est bien entendu révocable : il est complètement possible de n’avoir plus envie en plein milieu de l’acte.

Les créateurs de l’application en ont d’ailleurs conscience. «« Non » veut dire « non » à tout moment », écrivent-ils dans la FAQ. « Être évanoui veut dire « non » à tout moment. Ceci est explicitement écrit dans la notice d’agrément. Par ailleurs, vous pouvez retirer votre consentement au fur et à mesure avec un seul clic. »

Une appli peut-elle régler la culture du viol ?

Mais en pratique, il semble peu probable qu’une personne en plein acte sexuel prenne la peine d’ouvrir son app en pleine action pour « retirer son consentement ». À supposer que l’on soit suffisamment à l’aise avec son partenaire pour sortir son smartphone au milieu d’un acte sexuel, on devrait aussi être en mesure, plus simplement, de communiquer avec cette personne pour lui signifier notre consentement — ou absence de consentement.

Or, si ce type d’application existe, c’est bien que de trop nombreuses personnes ne respectent pas le consentement communiqué par leur partenaire. En effet, tout contrat, toute solution de sécurité comme celle-ci, répond nécessairement à une crise de confiance entre deux acteurs. La communication serait-elle si compliquée qu’il faille emprunter des méthodes au notariat pour un acte sexuel ?

donner son consentement ne devrait pas se réduire à « signer un contrat »

Dans une société nourrie par la culture du viol, le consentement souffre des interprétations tributaires, certes. Toutefois une application et la blockchain peuvent-elles vraiment régler un problème culturel ? L’urgence, concernant la question du consentement, est l’éducation, pas nécessairement la signature de contrats. En promettant un « contrat légal » de consentement, LegalFling se trompe d’objectif.

« Demander à quelqu’un de signer un contrat juste avant d’avoir un rapport sexuel est un peu inconfortable. Avec LegalFling, un simple balayage pour consentir est assez pour rendre l’acte légal », écrit le PDG de LegalThings Rick Schmitz dans un communiqué de presse. C’est là finalement le coeur du problème : donner son consentement ne devrait pas se réduire à « signer un contrat ». Et rendre un acte sexuel « légal » n’a pas vraiment de sens, à moins que vous comptiez un jour vous défendre dans un tribunal. Si la signature par la blockchain doit finalement être utilisée comme preuve par la justice… C’est que l’application n’aura pas réussi à faire respecter le consentement.

Reportage additionnel par Mathilde Loire

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