Peut-on faire confiance à un algorithme chargé de calculer quand une femme est fertile ? La question se pose, alors qu’un hôpital suédois a annoncé en ce mois de janvier 2018 avoir recensé 37 cas de grossesses non désirées chez des utilisatrices d’une même application.
Natural Cycles est « la première et la seule application à être certifiée en tant que contraceptif ». Ces mots sont ceux d’Elina Berglund, la cofondatrice de ce service. En décembre dernier, lorsque nous avons commencé à nous intéresser à Natural Cycles, elle a accepté de répondre à nos questions sur cette application.
Annoncé comme une méthode de contraception certifiée, non hormonale et non intrusive, Natural Cycles se présente sur son site comme aussi efficace que la pilule contraceptive. Ce service payant, composé d’une application mobile et d’un thermomètre, invite ses utilisatrices à prendre leur température chaque jour.
Non hormonale, non intrusive… mais vraiment efficace ?
Les données sont alors reportées dans l’application. En son sein, un algorithme est chargé d’identifier les jours du cycle menstruel lors desquels une grossesse est jugée possible. Un calendrier résume le tout : en vert, s’affichent les jours considérés comme sans risque ; en rouge, les jours où la fertilité est importante. Dans ce deuxième cas, les utilisatrices sont invitées à utiliser une contraception supplémentaire si elles ont des relations sexuelles, comme le préservatif.
« J’ai fait partie de l’équipe qui a découvert le Boson de Higgs [ndlr : une particule élémentaire], au sein du laboratoire européen pour la physique des particules (CERN), et qui a obtenu le prix Nobel de physique en 2013. Mon mari, Raoul Scherwitzl, le PDG et fondateur de Natural Cycles, menait quant à lui des recherches pour trouver un contraceptif naturel et efficace. Je voulais éviter les effets secondaires de la pilule, il y avait peu d’options naturelles sur le marché, et aucune n’était assez efficace », nous explique Elina Berglung.
Elle poursuit : « J’ai donc décidé d’utiliser mes compétences en mathématiques pour créer un algorithme avancé qui permettrait de déterminer avec précision quand une femme est fertile — et nous en avons fait une application afin que tous les couples puissent bénéficier de cette innovation », complète-t-elle.
La difficulté de trouver une contraception non hormonale a donc motivé les recherches à l’origine de Natural Cycles. La cofondatrice de l’app présente son service comme « une alternative naturelle et efficace, fondée sur la science, les données et l’intelligence artificielle plutôt que sur les médicaments » et une option de contraception « cliniquement vérifiée et certifiée ». Le service revendiquait, à la date de cette interview, plus de 600 000 utilisateurs dans 161 pays différents.
« C’est une arnaque »
Pourtant, la pertinence de cette méthode de contraception est remise en question au sein du monde médical. L’hôpital Södersjukhuset de Stockholm, qui a signalé les grossesses non désirées liées à l’usage de Natural Cycles, n’est pas le seul à contester l’efficacité de cette application en tant que contraception.
Contactée par nos soins, la gynécologue médicale Elisabeth Paganelli, qui exerce à Tours, est particulièrement claire lorsque nous l’interrogeons sur l’efficacité d’une telle méthode. « C’est une arnaque, nous répond-elle. Un calendrier pour noter ses dates de règles fait tout aussi bien, on y voit la durée des cycles et on réfléchit. Par ailleurs, ce type d’appareil est coûteux. »
L’indice de Pearl (en théorie)
La cofondatrice de l’app se justifie de son côté en évoquant l’indice de Pearl, qui sert à mesurer l’efficacité d’une contraception. « Natural Cycles a un indice de Pearl de 7. La méthode que vous décrivez, qui consiste pour les femmes à faire leurs propres calculs, a un indice Pearl de 24. […] L’algorithme apprend et s’adapte au corps spécifique de la femme, et ne fait aucune hypothèse, comme cela peut être le cas avec d’autres méthodes », avance Elina Berglung.
Or, il faut ici souligner qu’il s’agit d’un indice théorique : il est égal au pourcentage des grossesses dites « accidentelles », sur une année d’utilisation optimale d’une méthode contraceptive. L’indice de Pearl a déjà été contesté, car il minore la perception des risques lors de la première année d’utilisation d’une contraception — où le taux d’échec est en général supérieur, par comparaison aux années suivantes.
Prévoir l’ovulation est complexe
Selon la spécialiste, faire confiance à un algorithme pour déterminer les périodes de fertilité dans un cycle menstruel n’est pas conseillé. « On ne sait jamais quand la femme va ovuler dans le cycle à venir, poursuit Elisabeth Paganelli. Si vous avez un cycle de 28 jours, vous n’avez pas besoin d’un algorithme : vous ovulez en général au douzième jour, et si vous faites abstinence ou que vous utilisez des préservatifs du sixième au quinzième jour vous pouvez espérer qu’il n’y ait aucun risque de grossesse. »
Néanmoins, la gynécologue souligne que déterminer une période d’ovulation est loin d’être une science exacte : « Un choc physiologique peut retarder ou avancer votre période ovulatoire, car vos hormones venant de l’hypothalamus, via l’hypophyse, influencent les ovaires et modifient la date ovulatoire. Or, l’application gardera la base des données précédentes. C’est pourquoi lorsque nous déterminons le début d’une grossesse par une échographie de datation, nous pouvons avoir des surprises. »
« Trop risqué par rapport aux contraceptifs hormonaux »
Lorsqu’on lui demande si elle conseillerait cette application à ses patientes, Elisabeth Paganelli est catégorique : « Non, jamais. Natural Cycles permet seulement de diminuer le nombre de grossesses par des périodes d’abstinence mais c’est trop risqué par rapport aux contraceptifs hormonaux (l’implant, la pilule bien prise, le stérilet Mirena) et le préservatif. » La gynécologue ajoute que le stérilet au cuivre (qui ne contient pas d’hormones) reste une alternative plus stable.
Si l’efficacité de cette « application contraceptive » est remise en doute, Natural Cycles a au moins le mérite de souligner une réalité : l’absence notoire de contraceptions non hormonales, mises à disposition des femmes et des couples qui ne souhaitent pas d’enfants.
« Les laboratoires privés sont frileux, explique Elisabeth Paganelli. L’Essure [ndlr : une contraception définitive, sous forme d’implants placés dans les trompes de Fallope] a été retiré d’Europe, cela n’encourage pas les actionnaires à financer la recherche pour les contraceptions hormonales. Les pays européens, le Canada, la Chine, l’Inde ou l’Australie souhaitent des contraceptifs peu chers et pris en charge par la protection sociale. La question est donc de savoir qui sera prêt à payer cette innovation. »
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