Dans un article sur le marché de la musique en ligne, Philippe Crouzillac de 01Net note que le marché anglosaxon est déjà en train de s’essoufler dangereusement. « 600 % de croissance en 2004, 144 % en 2005, et seulement 77 % attendus pour 2006« , rappelle-t-il. Déjà en 2005, nous écrivions selon les analyses du cabinet Fulcrum Global Partners qu’il « faudrait à l’industrie une croissance annuelle numérique de 150% pour compenser la chute du marché du CD« . Les chiffres du SNEP pour le deuxième trimestre 2006 tardent étrangement à paraître pour le marché français, mais l’on imagine difficilement une croissance forte et continue alors que les principaux acteurs de la musique en ligne témoignent, au mieux d’une grande lenteur dans l’exécution de leurs projets, au pire d’une véritable désertion de la matière grise dans leur mise en œuvre.
Les supermachés E. Leclerc, qui avaient annoncé une plate-forme pour septembre, montrent des signes inquiétants. Contactés cette semaine par Ratiatum, ils n’ont pas souhaité évoquer cette plate-forme fantôme que Michel-Edouard Leclerc souhaite moins cher que les concurrentes. MusicMe, qui a essuyé le départ précipité de son directeur, a déjà près d’un an de retard sur la sortie du forfait de téléchargement sur abonnement (offre « ToGo »). Virgin et Fnac, eux, espèrent toujours vendre de la musique numérique à un prix à peine inférieur à celui des CD, sans pochette ni livret – ou alors à imprimer soi-même, mais avec DRM pour en empêcher la copie et rappeler au client qu’il est avant tout un voleur en puissance.
Dans ce climat, le fort ralentissement de la croissance n’a rien de surprenant. Mais il ne faut pas non plus oublier qu’il n’y a jamais eu véritablement de très forte croissance de la musique en ligne. Il n’est pas difficile de réaliser près de 200 % de croissance lorsque l’on part de zéro. La musique en ligne marchande a connu son moment de frétillement suffisant pour exiter l’oeil et le portefeuille d’un actionnaire de Vivendi, mais il y a déjà aujourd’hui un retour à la réalité : pour se vendre (si elle peut se vendre) la musique sur Internet doit apporter un plus et non un moins. Et puisqu’un tel pari est difficilement réalisable, l’industrie s’interroge. Comme souvent, ce sont les « indépendants » (notez les guillemets) qui se disent zut ! les premiers.
Finalement nous voulons bien de cet argent que nous maudissions
« Nous sommes prêts à donner toute sa chance à la technologie pour voir s’il est ou non possible d’endiguer le piratage. Mais si tel n’était pas le cas, il faudrait alors en passer par des mécanismes alternatifs, c’est-à-dire par une autre forme de monétisation, qu’il s’agisse de la publicité, de la licence globale ou d’une licence légale dite taxe FAI [destinée à soutenir pour partie le développement de la filière musicale, NDLR]« , reconnaît à 01Net Stéphane Bourdoiseau, président de Wagram Music et directeur de l’UFPI. C’était aussi l’idée des indépendants britanniques .
La publicité, Universal et EMI vont la tenter aux Etats-Unis avec SpiralFrog. Nous avons déjà exprimé nos doutes sur la viabilité économique du système, et sa perversité à la fois pour l’intégrité de l’art musical et vis à vis de la licence globale. Mais si nous avons tort et s’il n’y a pas d’échec du modèle publicitaire pour la musique sur Internet, ne faudra-t-il pas tout de même que la puissance publique réalise que se transpose sur Internet le même shéma économique que sur les radios hertziennes, et qui a conduit en son temps à l’équivalent de la licence globale pour les radios ?
SpiralFrog ressemble en effet dans ses finalités à ces radios hertziennes qui, droits d’auteurs et droits voisins obligent, devaient négocier avec chacun des producteurs pour diffuser leur musique à l’antenne et vivre de la publicité. Face à la multiplication des radios et pour faciliter l’accès aux catalogues, les législateurs des grands pays industriels ont tous adopté un modèle de licence légale qui permet aujourd’hui à toute radio de diffuser de la musique sans en demander l’autorisation aux ayant droits, mais en payant un droit de rémunération équitable à la Sacem.
La licence globale telle qu’elle a été présentée dans l’urgence en décembre, pour apporter un point de vue alternatif au projet de loi répressif du gouvernment, n’était sans doute pas la panacée. Mais loin de s’être refermé, le dossier devrait enfin s’ouvrir et peut-être plus rapidement que nous l’avions pensé.
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