Collectivement, nous passons 50 millions d’heures par jour en moins sur Facebook. Ce chiffre, ce n’est pas un pourfendeur du modèle réseau social qui l’a annoncé, mais Mark Zuckerberg himself, devant ses investisseurs. « J’estime que le temps que vous passez sur Facebook sera plus précieux, et si nous faisons les bons choix, ce sera positif pour notre communauté et pour notre business à long terme », a-t-il complété.
Il est plutôt rare de voir un chef d’entreprise se féliciter d’avoir une croissance plus faible en termes de nouveaux utilisateurs associée à une baisse de temps d’utilisation par celles et ceux déjà sur la plateforme. Mais au-delà de noter le fait que Facebook est une société un peu à part dans l’univers — 2 milliards d’utilisateurs et autant de puissance pour leur adresser un discours, cela ne se voit pas ailleurs, il est possible de comprendre pourquoi le CEO se réjouit de ces chiffres.
4,3 milliards de bénéfice : une année difficile
Premièrement, il faut noter que Zuckerberg estime que l’année 2017 a été difficile alors que le réseau social a gagné 13 milliards de dollars au dernier trimestre et fait 4,3 milliards de bénéfice sur la même période. Ce n’est clairement pas une entreprise en difficulté.
Et pourtant, on ne saurait rappeler les véritables entailles dans le modèle Facebook qui ont été révélées depuis la fin de l’année 2016 — diffusion de désinformation à grande échelle, discours de haine, bulles filtrantes, encouragement du buzz, piège à partage, faux comptes et fausses pages… bref, le réseau social a fait face à ses responsabilités, lui qui aurait préféré qu’on continue à l’appeler « plateforme », remettant ainsi perpétuellement la faute sur les utilisateurs.
Devant ses investisseurs, Zuckerberg prend donc une autre mesure que celle des dollars pour parler de son bilan 2017 — et il était temps. C’était annoncé depuis les vœux du CEO depuis janvier 2018 : Facebook allait être réparé et se concentrer sur ce qui est au cœur de son concept. À savoir, être un réseau social qui rapproche les gens et non pas une plateforme de diffusion de contenu ou un kiosque numérique pour les médias.
Deuxièmement, mettre en évidence la baisse du temps passé n’est pas un argument complètement hors de propos d’un point de vue commercial. Aujourd’hui, le modèle publicitaire est assiégé de toutes parts sur le web. Les utilisateurs en ont marre de la pression publicitaire et les géants du web et de la tech, Google et Apple en tête, ont décidé de passer à l’action face à une adtech devenue déraisonnable — que ce soit par une suppression active des cookies tiers ou un adblocking ciblé pour ne laisser que le contenu publicitaire le moins envahissant.
Il est donc naturel qu’un réseau social qui vit de la pub comprenne ce mouvement de la quantité affichée vers la qualité. Un utilisateur passif, blasé et prisonnier de mécaniques répétitives n’est pas un bon client pour une bannière publicitaire. Un utilisateur heureux d’utiliser une plateforme — voire plus heureux sur le web de manière générale — est un utilisateur bien plus réceptif. Et en effet, on aurait du mal à comprendre une stratégie publicitaire qui mettrait volontairement en avant une cible triste, énervée et déjà soumise à une pression du buzz et des pièges à partage. Moins utiliser Facebook, c’est mieux utiliser Facebook et ces moments de mieux se marieront sans nul doute avec une stratégie commerciale qui se fonde sur la qualité plus que sur la quantité de bannières affichées.
Un réseau social qui vit de la pub doit comprendre ce mouvement de la quantité affichée vers la qualité
Troisièmement, le réseau social en tant que concept, s’il n’est pas prêt de mourir, n’est pas immuable. Aujourd’hui, Facebook annonce sa mue alors que des modèles d’utilisation fondés sur des messageries instantanées privées, des groupes réduits et des réseaux sociaux thématiques se mettent doucement mais sûrement en place. Avec Instagram et WhatsApp dans sa besace, Facebook est loin d’être hors course — même avec un Snapchat qui le taquine et des Google et Amazon qui ont pris de l’avance sur le contenu vidéo.
Enfin, si l’intention présidentielle de Zuckerberg n’est pas clairement admise, son comportement laisse entendre qu’une candidature à la Maison Blanche n’est pas qu’un fantasme. Imagine-t-on un candidat se présenter comme ex-CEO d’une entreprise qui admet faire du mal à la démocratie et à la société ?
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