Pionnier d’Internet, co-fondateur de l’EFF, militant libertarien, essayiste et parolier des Grateful Dead, John Perry Barlow vient de décéder à l’âge de 70 ans.

John Perry Barlow est décédé à 70 ans, « dans son sommeil », au matin du 7 février 2018. Militant libertaire, essayiste, poète, éleveur de bétail et parolier, Barlow était considéré comme un pionnier d’Internet. Il avait co-fondé l’Electronic Frontier Foundation (EFF), une ONG de protection des libertés numériques, en 1990, et il était l’auteur de la « Déclaration d’indépendance du cyberespace », et de nombreux textes sur la philosophie des débuts d’internet.

« Il a toujours vu Internet comme un lieu fondamental de liberté. »

La directrice exécutive de l’EFF, Cinhy Cohn, lui a rendu hommage dans un communiqué : « Des parties majeures de l’Internet que nous connaissons et aimons aujourd’hui existent et prospèrent grâce à la vision et aux directions de Barlow. Il a toujours vu Internet comme un lieu fondamental de liberté, où les voix longtemps silenciées peuvent trouver une audience, et où les gens peuvent entrer en contact avec les autres, peu importe la distance physique. »

Techno-optimiste

Évoquant « une sorte de techno-utopisme naïf qui pensait que Internet pouvait résoudre tous les problèmes de l’humanité sans en causer d’autre », dont Barlow était parfois crédité, Cindy Cohn a affirmé que « rien ne pouvait être plus loin de la vérité » : « Barlow savait que les nouvelles technologies pouvaient créer et donner du pouvoir au mal autant qu’au bien. Il a décidé en toute conscience de se concentrer sur ce dernier. »

John Perry Barlow avait co-fondé l’EFF, avec John Gilmore et Mitch Kapor, en 1990. Il racontait cette genèse avec humour et moults détails dans un article, toujours disponible sur le site de l’ONG et intitulé « Une pas très brève histoire de l’Electronic Frontier Foundation ».

Né le 3 octobre 1947 à Jackson, dans le Wyoming, il était le fils d’un élu républicain local. Élevé dans le ranch familial comme « un pieux Mormon », il est envoyé à l’adolescence dans un lycée du Colorado. Il y fait la connaissance de Bob Weir, futur membre du groupe de rock psychédélique les Grateful Dead. Après des études dans le Connecticut et à Harvard, et quelques années de petits boulots et de voyage, il reprend le ranch familial et se lance dans l’élevage de bétail.

Du rock psychédélique aux communautés en ligne

C’est là que, à partir de 1971, Barlow commence à co-écrire de nombreuses chansons pour son ami Bob Weir et les Grateful Dead, dont certaines de leur plus grand succès, comme « Cassidy », « Looks Like Rains » ou « Mexicali Blues ». Il travaillera avec eux jusqu’à  Bob Weir et le groupe lui a d’ailleurs rendu hommage sur Facebook, en publiant une playlist des chansons qu’il a écrites.

Ce lien avec les Grateful Dead amène, en 1986, John Perry Barlow sur WELL, une communauté en ligne aujourd’hui considérée comme l’un des premiers réseaux sociaux, et qui était alors un repère de « Deadhead », les fans du groupe. Il y rencontre notamment John Gilmore et Mitch Kapor, avec qui il co-fonde l’EFF quelques années plus tard.

Résolument libertarien, longtemps Républicain — il prend ses distances avec le parti dans les années 2000 avec l’arrivée de Bush — John Perry Barlow a vécu de nombreuses vies, et son influence a pesé aussi bien dans les milieux de la contre-culture que dans le « cyberespace ». Dans ses nombreux écrits, Barlow défendait sa vision d’Internet, comme un espace d’émancipation, de réinvention sociale et d’indépendance. Il est aussi connu pour avoir écrit, à l’aube de ses 30 ans, « 25 principes du comportement adulte », un texte qui tourne toujours sur Internet des années après.

https://twitter.com/jenist/status/961373063760801792

Manifeste fondateur

Mais son texte le plus important reste sa « Déclaration d’indépendance », écrite à Davos, en Suisse, il y tout juste 22 ans. Elle commençait par ces mots :

« Gouvernements du monde industriel, vous, géants fatigués de chair et d’acier, je viens du Cyberespace, le nouveau foyer de l’Esprit. Au nom du futur, je vous demande, à vous qui venez du passé, de nous laisser tranquille. Vous n’êtes pas les bienvenus parmi nous. Vous n’avez aucune souveraineté là où nous nous retrouvons […]. Je déclare que l’espace social global que nous construisons est naturellement indépendant des tyrannies que vous cherchez à nous imposer. »

Un article de Libération publié il y a un an, racontait la genèse de cette « Déclaration » : Barlow, invité au Forum économique mondial de Davos, « de mauvaise humeur » parce que les États se mettaient à écrire des lois sur un Internet qu’ils ne comprenaient qu’à moitié, envoie ce texte par mail dans la nuit à 600 contacts. Il est rapidement diffusé à grande échelle, et devient un manifeste fondateur.

« Je déclarais que le cyberespace était naturellement immunisé contre la souveraineté, et qu’il le serait toujours. »

Si ce texte a souvent été accusée de naïveté, et peut paraître aujourd’hui un peu daté — Barlow ne visait alors que les gouvernements, et la domination des géants de la Silicon Valley a depuis fait son œuvre — nombre de ses mots sont encore pertinents.  Il persistait d’ailleurs en 2011 dans une interview avec Wired.  « La principale chose que je déclarais, c’était que le cyberespace était naturellement immunisé contre la souveraineté, et qu’il le serait toujours. Je pensais que c’était vrai alors, et je le pense toujours. » Et comme l’écrivait dans Libération notre consœur Amaëlle Guiton : « L’avenir du « cyberespace » ne se joue certes plus dans une logique de sécession radicale qui, même à l’époque, semblait illusoire à bien des égards, mais dans le débat démocratique et dans la construction d’alternatives ». John Perry Barlow vient de décéder, mais l’idéal de transformation sociale des pionniers d’Internet n’a pas disparu.

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