Formée lors d’un hackathon, l’équipe qui conçoit le site George, le deuxième texte souhaite renforcer la présence des autrices dans les programmes scolaires.

« Jamais une auteure femme n’a été au programme de littérature en terminale L. » En mai 2016, la professeur de français Françoise Cahen dénonçait l’absence, une fois de plus, d’autrices dans les sujets de l’épreuve de littérature, que les terminales L passent chaque année au bac. Sa pétition en ligne, adressée au ministère de l’éducation nationale, avait reçu plus de 19 000 signatures. Deux ans auparavant, c’est une bachelière, Ariane Baillon, qui avait dénoncé, déjà, la quasi-absence d’autrices dans les programmes de philosophie.

Aucune femme au bac de littérature depuis 2003

Les chiffres sont parlants : depuis 2003, en France métropolitaine, aucun texte écrit par une autrice n’a été donné comme sujet à l’épreuve de littérature du bac L, comme le rappelait Le Monde en 2016. Il aura fallu attendre 2018 pour cela : les élèves qui entameront une Terminale L à la rentrée prochaine étudieront La Princesse de Montpensier, écrit par Mme de Lafayette en 1662.

Madame de Lafayette

Madame de Lafayette

Et les chiffres ne sont guère meilleurs pour les épreuves anticipées de français, que les lycéens passent en Première, alors même que cette épreuve contient plusieurs texte. « Les programmes scolaires créent une forme d’histoire de la littérature, surtout depuis qu’ils incluent aussi des auteurs contemporains et parfois vivants. Sans s’en rendre compte, on accrédite l’idée qu’il n’y aurait pas de femmes écrivains ! », déplorait Françoise Cahen, interrogée par Le Parisien sur le lancement de sa pétition.

L’objectif est de donner plus de visibilité aux autrices dans les programmes scolaires.

Dans l’optique de réparer cette inégalité, l’association George, le deuxième texte développe un site du même nom. Cette plateforme sert à mettre « à disposition des professeur·e·s (et du grand public) une base de textes écrits tant par des femmes que par des hommes, de la manière la plus exhaustive et paritaire possible. L’objectif est de donner plus de visibilité aux autrices dans les programmes scolaires, afin que les jeunes puissent s’identifier à des figures fortes, sans distinction de genre. »

Le site a été imaginé lors du #HackEgalitéFH, un hacktaton organisé en 2017 par le Ministère des familles, de l’enfance et des droits des femmes, dans le cadre du plan de mobilisation contre le sexisme du gouvernement, « Sexisme, pas notre genre ». À l’origine du projet, des chercheurs en informatique, une spécialiste des lettres classiques, une UX designer, une graphiste et une community manager.

Viser large

« Nous voulions aider à ce qu’il y ait plus d’autrices dans les programmes scolaires étudiés dans le secondaire », explique à Numerama Anna-Livia Morand, présidente de l’association George, le deuxième texte et doctorante en latin. « Nous avons décidé de faire un site avec du contenu sur les autrices, mais aussi sur les auteurs : notre but est de viser large et d’attirer tout le monde, et pas juste un public déjà convaincu. »

Un prototype assez basique est déjà disponible. On y trouve actuellement 63 extraits de textes, « adaptés à une utilisation en cours de français au lycée », proposés par des enseignantes ou extraits d’annales des épreuves anticipées de Français du baccalauréat, et écrits entre autres par Simone de Beauvoir, Marguerite Duras, Fatou Diome ou Virginie Despentes.

Le véritable site devrait voir le jour d’ici un an. « Nous allons lancer un financement participatif pour le développement du site », annonce Anna-Livia Morand. Pour l’instant, les créateurs de la plateforme travaillent surtout à communiquer autour du projet, et à augmenter le nombre de contenus qui y sont disponibles. Des maquettes du futur site sont toutefois déjà disponibles.

Le contenu, ce sont des extraits d’œuvres littéraires, et des informations sur l’autrice ou l’auteur et l’œuvre. Chaque extrait est précédé éventuellement d’une courte introduction, et d’une mention de la source, et, quand c’est possible, un lien renvoie vers le texte intégral ou vers un site d’achat dans un réseau de librairies indépendantes. En plus des extraits, le site actuel contient déjà des articles documentaires sur certaines œuvres, avec des idées d’activités pédagogiques.

Recherche par équivalence

Il est déjà possible d’effectuer une recherche « par équivalence » pour trouver des idées d’autrices à lire ou à faire étudier à ses élèves. L’internaute tape dans la barre de recherche le nom d’un auteur français étudié à l’école, et se voit alors proposer une liste d’autrices contemporaines de cet auteur. La recherche est effectuée à partir des dates de naissance et de décès de l’auteur recherché, sur la base de données WikiData. Par exemple, à partir de Pierre Ronsard, le moteur de recherche propose 19 « autrices nées avant 1570, et décédées après 1539 ou nées après 1509 », dont Marguerite de Navarre ou Louise Labé, mais aussi d’autres femmes bien plus méconnues.

« L’idée de la recherche par équivalence nous est venue grâce à nos collègues enseignants, explique Anna-Livia Morand. Moi-même, alors que j’ai fait des études de lettre poussées et que je suis féministe, je connais mal les autrices. Et trouver une autrice pour étudier une notion, dans le vague, sans savoir ce que l’on cherche, c’est difficile. Ce type d’outil permet de réduire le champ de recherche, c’est un point d’entrée. »

Maquette du futur site George, le deuxième sexe

Maquette du futur site George, le deuxième texte

L’équipe de George, le deuxième texte entend toutefois développer un moteur de recherche plus complet, par période, notions à étudier ou genre littéraire, avec un système de balises.

Contributions

Pour l’instant, ce sont principalement des membres de l’association — dont l’enseignante Françoise Cahen — ou des connaissances de l’équipe à l’origine du projet qui contribuent à enrichir et qui testent la plateforme. « Mais le nombre de visites est en augmentation, c’est bon signe ! À terme, nous aimerions que les enseignantes et enseignants s’inscrivent pour y contribuer. »

Il ne manque plus à George, le deuxième texte que le soutien de l’Éducation nationale. Interrogée sur les liens de l’association avec le ministère, premier concerné par un tel projet qui vise ses fonctionnaires, Anna-Livia Morand répond : « Nous avons des contacts avec le ministère de la Culture, nous allons y présenter le projet le 9 mars. Mais nous aurons du mal à faire vivre le site sans l’Éducation nationale. »

Car les professeurs sont bien les premiers destinataires du projet. « Ce sont eux qui transmettent le savoir aux futurs adultes. Nous aimerions créer une sorte de forum derrière le site, pour construire une véritable communauté. » Et, bien entendu, toucher « tous les publics rattachés aux lettres », dont les lectrices et lecteurs.

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