Encore officiellement retiré de la vie politique pendant les débats sur le projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), Lionel Jospin ne s’est jamais prononcé sur sa vision du droit d’auteur à l’heure du peer-to-peer. Toutefois lorsqu’il était encore premier ministre de la France, M. Jospin avait nommé Catherine Tasca ministre de la Culture, laquelle avait signé la directive européenne sur le droit d’auteur, la fameuse directive EUCD. Les prises de position de l’actuelle sénatrice lors de la lecture du texte au Parlement n’ont pas caché l’adoption de principe du camp jospinien aux grands traits de la loi DADVSI et de la directive européenne. Le renoncement de Lionel Jospin à la présidentielle de 2007 a ainis refermé une première porte jusque là ouverte sur une vision passéiste du droit d’auteur.
Il restait cependant en course Jack Lang. Ancien ministre de la culture et très populaire chez les jeunes qui le voient danser à la Gay Pride, Jack Lang était celui qui, en 1985, avait fait adopter la rémunération pour copie privée. Ce qui est vu aujourd’hui comme un acte moderne en faveur de la copie privée répondait à l’époque au souhait des lobbys culturels d’être rémunérés pour des copies analogiques sur lesquelles ils n’avaient aucun contrôle, et qui ne généraient pourtant qu’un préjudice très restreint. Avec l’avènement du numérique, la copie privée a changé de visage pour devenir plus menaçante, et les lobbys culturels ont changé de discours. Jack Lang, resté très proche du monde de l’industrie musicale et cinématographique, a tenté de cacher pendant les débats son soutien à la loi DADVSI. Mais nul ne s’y est trompé. Alors qu’il était le mieux placé pour défendre la copie privée, le député socialiste ne s’est pas présenté une seule fois dans l’hémicycle pour défendre sa loi contre celle de Renaud Donnedieu de Vabres. Au contraire, il fut avec la secrétaire à la culture Anne Hidalgo, au centre du mouvement de quasi-trahison interne qui a vu des cadres socialistes se lever en fronde contre l’amendement en faveur de la licence globale qu’avaient fait adopter leurs propres députés Christian Paul, Patrick Bloche et Didier Mathus, un soir de décembre 2006.
Ségolène Royal, DSK et Laurent Fabius sont dans un bateau. DADVSI tombe à l’eau ?
Sauf à ce qu’une candidature inattendue se révèle d’ici 15 H ce mardi, Ségolène Royal, Dominique Strauss-Khan et Laurent Fabius devraient être les trois seuls candidats à l’investiture socialiste. Les conséquences pour le droit d’auteur sur Internet pourraient être bénéfiques. Tous appuient plus ou moins ouvertement la licence globale, ou souhaitent s’en inspirer.
Dominique Strauss-Khan, l’économiste du parti, s’est prononcé dans une tribune contre toute répression des internautes, et en faveur d’un modèle de rémunération de la création culturelle. « Il ne faut pas s’opposer aux nouveaux usages de l’Internet, et notamment le P2P« , écrivait-il sur Libération. Pour lui, la licence globale pose de nombreuses questions, mais surtout elle ne peut exister que si elle est obligatoire (et non optionnelle comme elle fut présentée). Il encourageait alors les siens à réfléchir à une troisième voie, curieuse et batarde, qui semblait en février manquer de réalisme et de réflexion. Sans doute l’ancien ministre de l’économie pourrait bénéficier d’une lecture plus approfondie du sujet, et se laisser convaincre par une vision moins floue que celle qu’il exprimait au lendemain des fêtes de fin d’année. Sur son site de campagne, DSK n’a pas encore formulé de propositions quant à la politique culturelle qu’il entend mener.
Ségolène Royal, actuelle favorite des sondages, a quant à elle été claire dans son soutien à la licence globale. « Le numérique et le P2P sont une chance et non, comme certains le disent, une catastrophe« , affirmait la présidente de la région Poitou-Charentes en mai dernier. Elle défendait alors l’idée d’une mixité de modes de rémunérations, parmi lesquelles une part de « revenus mutualisés », « qu’il s’agisse de la redevance pour copie privée, ou de la création, pour les échanges gratuits entre personnes, d’un système de licence globale forfaitaire« . Il ne saurait être question, disait-elle, « de maintenir artificiellement des modèles économiques dépassés par l’évolution technique« , et donc « de maintenir un cadre légal en décalage complet avec le progrès technologique et les aspirations manifestes du public« .
Enfin de son coté Laurent Fabius n’a pas eu le courage de trancher la question jusque là. Cet été, il faisait de DADVSI sur son blog l’un des premiers thèmes de la campagne qu’il lançait sur internet. La loi DADVSI « ne protège pas tant les auteurs que certains groupes de l’industrie culturelle et informatique. Elle renforce les intermédiaires, et non les créateurs« , affirmait-il alors. « La multiplication des échanges doit être encouragée« , affirme celui qui était premier ministre lors de la loi Lang de 1985. La licence globale « avait apparemment l’attrait de la simplicité mais présentait des inconvénients réels. Le débat doit se poursuivre« , estimait-il sans prendre réelle position, par peur sans doute de lever l’hostilité des lobbys culturels avec lesquels le parti socialiste a nourri des liens d’intimité depuis de longues décénnies. Toutefois, c’est ici-même sur Ratiatum que cinq députés parmi lesquels Didier Mathus ont publié une tribune qui défendait une licence globale « pragmatique, moderne et progressiste« . Les cinq députés étaient des proches de Laurent Fabius.
Ainsi les présidentiables socialistes proches de la vision du droit d’auteur exprimée dans le projet de loi DADVSI sont tous aujourd’hui écartés, au profit de trois candidats qui, eux, ont manifesté explicitement leur volonté de trouver un modèle alternatif respectueux des échanges culturels, entre autres sur les réseaux P2P. Ce seront eux qui devront maintenant préciser le projet socialiste, jusque là très consensuel et timide sur la question du droit d’auteur à l’ère numérique. Isolée sur ce dossier, l’UMP est désormais le seul parti politique dont les représentants continuent à encourager une vision basée sur la protection des contenus par des DRM eux-mêmes protégés par une loi répressive, contre le P2P et les échanges d’œuvres, et qui n’accorde aux internautes que le droit de respecter à la lettre les instructions des industries culturelles.
Dans une élection qui s’annonce extrêmement serrée, quel poids la révision du projet de loi DADVSI peut-elle avoir sur les intentions de vote ? Moins peut-être, qu’une vision axée plus largement sur la déconcentration des pouvoirs médiatiques et culturels. La remise des insignes de Chevalier de l’Ordre National du Mérite à la lobbyiste de Vivendi, au nom notamment de son investissement dans le projet de loi DADVSI, a démontré s’il le fallait encore le lien étroit entre le gouvernement et les plus grands lobbys industriels, dans la conception des lois qui touchent le plus directement les citoyens français. En plaçant François Bayrou (UDF) en tête dans un récent sondage, les internautes français semblent avoir salué au contraire un candidat qui s’est ouvertement opposé ces derniers mois aux lobbys médiatiques et industriels, au risque de se fâcher avec le premier média de France, TF1.
Si comme on le dit, les élections de 2007 se joueront sur des visions fortes de l’avenir de la France, alors les garanties d’indépendance du législateur face aux pouvoirs des lobbys aura sans aucun doute une place de choix dans les débats.
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