Une décision « très décevante ». Voilà comment la Quadrature du Net a accueilli l’arrêt du Conseil constitutionnel du 30 mars 2018 relatif au chiffrement. Pour l’association, le recadrage qui a été opéré par l’instance chargée d’évaluer la conformité des textes de loi avec la Constitution « risque d’affaiblir durablement le droit au chiffrement », en refusant de reconnaître les atteintes de l’article législatif qui lui était soumis.
Ici, le Conseil constitutionnel était saisi par la Cour de cassation sur l’article 434-15-2 du code pénal, qui prévoit une peine de prison maximale de 3 ans et une amende 45 000 euros pour toute personne refusant de remettre la clé de déverrouillage, si l’outil de chiffrement qui y est associé est « susceptible d’avoir été utilisé pour préparer, faciliter ou commettre un crime ou un délit ».
Certes, la Quadrature du Net admet que des bornes ont été posées et rappelées par l’arrêt, à savoir qu’il faut que la justice établisse que le suspect à qui l’on demande de fournir la clé de déverrouillage la connaît effectivement, et qu’il soit démontré par les autorités et au préalable que des données liées à l’affaire ou l’instruction existent bien sur le service ou le périphérique chiffré.
En clair, cela laisse à penser que les autorités ne pourront pas d’abord réclamer la clé de déchiffrement pour constater ensuite si oui ou non il existe des données liées au dossier ; en réalité, il faudra avant tout que l’existence de ces éléments soit prouvée pour ensuite pouvoir exiger du prévenu qu’il fournisse le moyen d’y accéder — si bien entendu il en a connaissance.
Mais, regrette l’association, « le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître les atteintes de ce texte au droit de ne pas s’accuser, au droit au respect de la vie privée, au secret des correspondances, ou encore à la liberté d’expression et de communication ». C’est, à ses yeux, une « véritable remise en cause du droit de ne pas s’auto-incriminer », principe pourtant fondamental du droit pénal.
Pour la Quadrature du Net, il ne s’agit pas pour autant de dire qu’il n’est pas légitime pour une société de prévenir les infractions et, le cas échéant, de rechercher et punir leurs auteurs. Cependant, l’association considère que l’arrêt « déséquilibre » la balance entre ces « objectifs de valeur constitutionnelle », selon les termes du Conseil, et les droits de la défense ainsi que le respect de la présomption d’innocence, qui sont aussi des droits et des principes de valeur constitutionnelle.
« Cette décision remet en cause le droit au chiffrement et l’intérêt de son usage »
« Cette décision remet en cause le droit au chiffrement et l’intérêt de son usage, mais aussi, incidemment, la vie privée, la confidentialité des communications, le secret des sources journalistiques et la liberté de communication », continue l’association. « ce droit est pourtant devenu une nécessité pour garantir les libertés fondamentales face aux possibilités d’arbitraire de l’État », « alors que l’ère numérique banalise la société de surveillance ».
Les révélations d’Edward Snowden en 2013 en sont la preuve la plus éclatante.
Seul aspect véritablement positif de cet arrêt : puisque que pour obtenir la clé de déverrouillage, il faut qu’il soit établi que la personne visée en a connaissance, les prestataires de solution de chiffrement de bout en bout ne seront donc pas inquiétés par ce texte. En effet, par nature, ils ne connaissent pas les clés de déchiffrement utilisés par leurs utilisateurs. Seuls eux les connaissent.
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