Le 23 avril 2018, Facebook a diffusé un article sur sa plateforme de blog, nommé sobrement « Question difficile : quelles informations les publicitaires connaissent-ils sur moi ? » C’est une question légitime et qui est souvent posée par les utilisateurs de services web gratuits. Elle fait écho à tout un pan des modèles d’affaires qui ont émergé avec le développement des services sur Internet : la gratuité ne vient pas sans une rémunération tierce.
Après cette interrogation, vient souvent la phrase bien connue : « Si c’est gratuit c’est que vous êtes le produit ». Et c’est précisément cette phrase qui permet à Facebook de donner sa version des choses sur le business de la publicité en ligne : « Notre produit, c’est un réseau social — la possibilité de connecter avec vous des gens qui comptent pour vous où qu’ils soient dans le monde ». Pour compléter ces bonnes paroles, le réseau social ajoute : « C’est la même chose qu’un moteur de recherche, un site internet ou un journal. Leur produit, c’est lire des actualités ou trouver de l’information — la publicité n’existe que pour financer cette expérience ».
Cette phrase est doublement intelligente en termes de communication. D’un côté, Facebook se met dans le camp des moteurs de recherche (en faisant un salut complice à Google au passage) et des médias. « Nous avons exactement le même business », semble dire Facebook à ses concurrents et observateurs.
De l’autre, et c’est peut-être le plus malin : cette phrase est absolument vraie. N’importe quel service en ligne gratuit, qu’il s’agisse d’un média, d’un moteur de recherche ou de n’importe quel site internet proposant du contenu repose sur le même business model. Google repose sur le même business model. Twitter repose sur le même business model. L’intégralité de la presse, en ligne ou hors ligne, dès qu’elle affiche des publicités, repose sur le même business model. Numerama repose sur le même business model : notre produit, c’est notre média, notre site, notre traitement de l’actualité que nous rémunérons notamment par de la publicité, affichée sur des espaces, vendue par les équipes commerciales du groupe qui nous édite.
Et c’est exactement ce sur quoi va appuyer Facebook : « Comme à la télévision, à la radio ou dans les journaux, nous vendons aux publicitaires des espaces ». En creux, le réseau social montre que son modèle d’affaires est complètement banal sur le web et hors du web. Le coup de grâce est asséné au dernier paragraphe, répondant à la question candide : « Et si je ne veux pas que mes données soient utilisées pour faire de la publicité ? ». Eh bien vous avez le choix : vous continuerez à voir des publicités (et le même nombre de publicités), mais elles vous seront moins spécifiquement adressées.
« Comme à la télévision, à la radio ou dans les journaux, nous vendons aux publicitaires des espaces »
Ce que Facebook oublie
Facebook omet évidemment deux points fondamentaux qu’il est nécessaire de rappeler. Le premier est un problème d’échelle. Il est facile de montrer patte blanche aujourd’hui après les différents scandales et alors que le RGPD donne aux internautes un pouvoir sur leurs données. Avant cela, Facebook a toujours tenté de maximiser ses profits — ce qui est bien normal pour une entreprise, notons — en multipliant les points de collecte de données de ses utilisateurs. Oui, nous avons le même business model que Facebook, mais nous n’avons pas un bouton Numerama Connect sur la quasi-totalité du web qui nous permet d’enrichir notre profilage et d’alimenter notre base de données aussi privée qu’opaque.
Le deuxième point fondamental qui n’est pas évoqué, c’est le scandale Facebook Graph qui est à l’origine de l’extraction des données par Cambridge Analytica. Si on suit les propos du jeune Mark Zuckerberg, un brin béat, à l’époque de la sortie de l’outil, on aurait pu voir avec lui la révolution à venir : en puissance, grâce à la collecte des données présentes sur Facebook, chaque service utilisant les fonctionnalités de Facebook Graphe avait la possibilité de devenir un réseau social. Facebook vendait le réseau social en marque blanche, laissant n’importe qui exploiter des données partagées et non partagées des utilisateurs — jusqu’à leurs amis. Mais faut-il croire que l’humain est absolument bon pour ne pas voir qu’une telle boîte de pandore n’allait pas attirer que des services cherchant à rassembler l’humanité autour de valeurs communes ?
Cette dernière omission du texte de Facebook nous dit au fond une chose : Mark Zuckerberg n’est pas tout puissant et fait parfois des choix tantôt dramatiques, tantôt guidés par des intérêts qui ne sont pas ceux de ses utilisateurs. Comme tous les humains. Mais tous les humains n’ont pas deux milliards de consciences au bout de leurs algorithmes : peut-être que le temps est venu de prendre la mesure de ce pouvoir.
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