Après treize années de négociations, Moscou et Washington sont enfin parvenus le vendredi 10 novembre à un accord de principe qui ouvre la voie de l’entrée de la Russie dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). L’accord bi-latéral définitif pourrait intervenir en marge du forum Asie-Pacifique qui se tiendra les 18 et 19 novembre à Hanoï, en présence de George Bush et de Vladimir Poutine.
Ces derniers mois, le principal point de friction entre les deux pays restait le niveau de protection accordée par la Russie aux propriétés intellectuelles, qu’il s’agisse de brevets industriels ou de droits d’auteurs. Les industriels américains, réunis au sein de l’Association nationale des industriels (NAM), craignaient que se reproduise le problème vécu avec la Chine. Le pays communiste était entré en 2001 au sein de l’OMC sans que toutes les questions de protection de la propriété intellectuelle n’aient été réglées.
Mais c’est surtout l’industrie culturelle qui a manifesté son opposition à la Russie, et en particulier l’industrie du disque. La RIAA, qui représente les majors du disque aux Etats-Unis, « est fortement impliquée dans le processus« , rapporte Digital Music News. Elle a annoncé, ajoute le site, qu’elle « concluera bientôt un accord contraignant pour faire face au ‘piratage et à la contrefaçon et améliorer la protection et le respect des droits de propriété intellectuelle« , avant toute admission à l’OMC.
L’exploitation de l’OMC par les lobbys culturels
La RIAA, qui n’a pourtant aucune légitimité étatique, a déjà obtenu de la Russie de nombreuses concessions. Le pays de Vladimir Poutine devra adopter de nouvelles lois de propriété intellectuelle, combattre le piratage sur Internet, établir des sanctions pénales plus sévères, renforcer les contrôles aux frontières, et maintenir une conformité de la législation russe avec les « standards internationaux » de droits de propriété intellectuelle. L’aspect le plus important, nous dit Digital Music News, concerne le calendrier. La Russie devra respecter ses engagements avant toute entrée dans l’OMC.
Max Baucus, sénateur démocrate et annoncé comme le probable futur président de la commission des finances du Sénat, a d’ailleurs rappelé vendredi que « la Russie doit prendre des mesures supplémentaires pour être chaleureusement accueillie au sein de l’OMC« , rapporte Le Monde. Baucus a dénoncé « les niveaux inacceptables de piratage de droits de propriété intellectuelle » en Russie.
Les tensions entre la RIAA et la Russie s’étaient assouplies en octobre, notamment depuis que le site AllOfMP3.com ne peut plus recevoir de paiements de la part des deux géants des cartes bancaires, Visa et Mastercard. Le conflit autour de l’OMC démontre néanmoins à quel point l’Organisation Mondiale du Commerce est devenu pour les lobbys le lieux stratégique pour imposer une certaine vision du droit d’auteur et une législation toujours plus stricte et sévère.
Un nouveau cadre juridique international poussé par l’Europe ?
L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle, qui devait régler ces questions dans le cadre des Nations Unies, perd progressivement tout contrôle au moment même où les lobbys du logiciel libre parviennent enfin à s’y faire entendre. Puisque les industries n’arrivent plus à y imposer leurs vues unilatéralement, elles veulent se servir de l’OMC pour la contourner.
Dans son avant-projet législatif, l’UDF de François Bayrou demande néanmoins à « donner à la culture un nouveau cadre juridique international contraignant sur la diversité et les échanges culturels qui échappe à l’OMC« . C’est une proposition qui devrait d’autant plus facilement trouver écho chez les autres pays européens que sous l’influence de la France et de l’Europe, l’UNESCO est parvenue à faire échapper à l’OMC (au moins en théorie) les discussions sur les biens culturels.
Mais c’est uniquement une Europe véritablement unie derrière une vision moins marchande de la Culture qui pourra s’opposer à la prise en otage de l’OMC par les défenseurs d’une protection absolue et sans limite du droit d’auteur. Pour qu’elles aient une influence internationale, les prochaines élections présidentielles françaises ne peuvent s’inscrire que dans une vision globale d’un projet européen. C’est un enjeu qui dépasse largement celui de la propriété intellectuelle, mais dont cette dernière devient de plus en plus un symbole. Que ce soit sur le droit d’auteur ou sur la brevetabilité du logiciel, du vivant ou des semances agricoles. L’Europe doit choisir de suivre la vision américaine, ou de proposer une autre vision, un autre projet de société.
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