Avec Smart Compose et Duplex, Google s’engage dans une redéfinition des interactions humaines « à distance ». La suite peut être merveilleuse ou terrifiante.

Hier se tenait la conférence annuelle pour les développeurs organisée par Google. Comme tous les ans, le géant de Mountain View a dédié son keynote introductif aux annonces les plus grand public. Cette intervention sert de démonstration sur l’état de l’art de Google dans ses recherches fondamentales appliquées aux situations du quotidien, notamment en algorithmie, apprentissage machine et langage naturel… bref, ce qu’on appelle couramment et avec de légers raccourcis « l’intelligence artificielle ».

Et si l’entreprise américaine a multiplié les annonces sur différents produits (de nouvelles boîtes numériques avec des écrans, Android P en bêta sur des smartphones qui ne sont pas ceux de Google, un nouveau Google News…), le clou du spectacle s’est matérialisé autour de deux démonstrations : Smart Compose et Google Duplex.

Le premier est une amélioration franche de Smart Reply, la fonctionnalité déjà présente sur Gmail en version mobile qui a débarqué il y a peu sur la version web de la messagerie. Si Smart Reply vous proposait des réponses courtes en guise d’accroche pour les mails les plus classiques (nous l’utilisons au quotidien à la rédaction et c’est déjà bluffant), Smart Compose va carrément vous proposer des phrases.

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Google souhaite y aller petit à petit et vous ne retrouverez pas avec un courriel déjà écrit la prochaine fois que vous appuierez sur le bouton « Répondre ». Dans un premier temps, Smart Compose complétera simplement vos phrases. La démonstration de Google montre qu’en écrivant « Cela fait longtemps », Gmail suggère « qu’on ne s’est pas vu », et le « j’espère » déclenche un  « que tout va bien » pour finir la phrase. L’utilisateur a tapé à peu près 3 mots en entier sur la démonstration en anglais. L’avenir, c’est évidemment le brouillon déjà rédigé. On se demande même à quel point Google n’en est pas déjà capable, mais souhaite habituer les utilisateurs par petite touche à être assistés par des machines.

Mais ce n’est que le début. Google Duplex est encore un cran au-dessus, dans la mesure où la technologie s’empare d’une chasse-gardée des humains : la conversation orale. La démonstration proposée par Google est bluffante.

Un utilisateur de Google Assistant demande un rendez-vous chez le coiffeur à son logiciel. En arrière-plan, l’assistant qui porte bien son nom fait le reste : il note les détails de la demande, appelle le coiffeur, comprend les relances et les ajustements imprévus et entretient une conversation presque humaine. Le tout, avec une voix qui, dans les conditions d’un appel téléphonique, pourrait tout à fait tromper un interlocuteur : respirations, intonations, relances, onomatopées… bref, Google Duplex est une version de Google Assistant qu’on sortirait d’un film d’anticipation.

Duplex sera utilisé également pour mettre à jour en temps réel les informations sur les commerces disponibles dans les recherches Google ou sur Maps. Imaginez qu’un jour férié, Duplex appelle en une fois plusieurs milliers de magasins, services et restaurants pour vérifier s’ils sont ouverts, jusqu’à quelle heure ils le sont et informe Google avec ces données. Vous ne verrez plus la mention « Jour férié : les horaires sont susceptibles de changer » lors d’une recherche, mais une information exacte et mise à jour. Le commerçant, lui, aura simplement répondu à un appel comme un autre, qu’il aura pris pour un potentiel client humain — comme il doit en recevoir des dizaines.

L’humanité assistée

Google le répète à l’envi : sa mission, depuis sa création et jusqu’à aujourd’hui, est de rendre l’information accessible et utile au plus grand nombre. La collecte des données et le business model fondé sur la publicité ciblée sont un levier financier pour y parvenir. En 2018, Google semble s’être donné une nouvelle mission : réduire les interactions superflues entre les humains. Et si ces démonstrations vous donnent des frissons, c’est bien normal : nous assistons en direct à une redéfinition de notre manière d’échanger, de communiquer avec autrui.

Ceux qui auraient probablement fait des bonds à la découverte du téléphone n’ont pas manqué l’occasion de décocher un bon mot sur la déshumanisation accélérée à laquelle nous assistons. Mais peut-on vraiment dire que la prise de rendez-vous téléphonique est un acte fondateur de notre humanité et de notre relation à l’autre ? Jubile-t-on d’impatience à l’idée d’appeler le service client d’une entreprise de livraison, le call center d’un opérateur téléphonique ou un commerçant pour savoir jusqu’à quelle heure il est ouvert ?

Google.AI, lancé juste avant la Google I/O

Google.AI, lancé juste avant la Google I/O

Ce que Google envisage avec un Duplex, c’est au fond la fin du superflu et du pénible. C’est une redéfinition de ce que nous valorisons comme interaction sociale et c’est tout à fait le projet derrière les recherches en intelligence artificielle appliquées au grand public : comment débarrasser l’humanité de ce qu’elle n’aime pas faire. Comme la mécanique a allégé les efforts physiques, le numérique s’est donné pour mission d’alléger les efforts mentaux… et l’informatique grand public telle qu’on la connaît n’est qu’un début.

On aurait tort d’ailleurs de croire que cette révolution de l’interaction n’a pas déjà lieu — on ne l’a juste pas remarquée parce qu’elle ne mimait pas la parole. Que sont Doctolib, Uber, LaFourchette ou YouShould et Amazon Prime Now ? Des applications textuelles prenant à votre place des rendez-vous chez le médecin, au restaurant ou dans un bar, commandant un taxi ou faisant vos courses. Google généralise ces services à toutes les entreprises qui ne disposent pas de réservation en ligne ou d’applications généralistes dédiées.

Présenté ainsi, Google Duplex colle tout à fait au problème éternel de la technique et de ses évolutions : le service terrifie et émerveille. L’optimiste verra les contours d’un monde où la machine l’aura un peu mieux débarrassé de la pénibilité, lui laissant le loisir de se consacrer à des tâches plus gratifiantes, profondes, valorisantes, créatives et humaines. Le pessimiste pourra rétorquer que ce sont ces petites interactions qui font le tout de notre vivre ensemble et que les couper nous entraînera immanquablement dans une spirale d’isolement — capitalisme aidant, le temps libéré ne sera pas consacré au bonheur, mais à la production. La vérité est probablement entre les deux, mais hier, Google a en tout cas montré que cette voie sera explorée. À l’humanité, collectivement, d’en anticiper les conséquences.

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