Le 16 octobre 2017, Elon Musk, grand gourou du progrès technique, se lance dans jeu de questions-réponses (AMA) sur Reddit, dans lequel il précise son grand plan de colonisation pour « rendre l’espèce interplanétaire ». Et puis, au détour d’interrogations pointues sur la portance des vaisseaux ou la réfrigération des carburants, quelqu’un pose une question fondamentale : comment faire pour que les colons martiens aient accès à Internet ?
Cette question, non seulement Elon Musk, en bon homme-orchestre de l’aventure spatiale qu’il est, se l’est évidemment posée, mais il est loin d’être le seul. En fait, la question de l’internet interplanétaire occupe les chercheurs de l’épopée spatiale depuis près de vingt ans.
Contrairement à celui que nous utilisons tous les jours, qui n’est jamais qu’un grand amas de câbles sous-marins gigantesques tendus à travers le monde (si, si, on vous jure), l’Internet interplanétaire se heurte immédiatement à d’immenses obstacles pratiques. La distance, déjà: Mars et la Terre sont situées à 225 millions de kilomètres en moyenne, avec des ellipses qui décuplent l’éloignement (de 54 millions à 401 millions de kilomètres). Les deux planètes tournent sur leurs axes respectifs, ce qui complique encore la chose. Au milieu, le Soleil et sa furie électromagnétique empêchent toute transmission directe. Enfin, n’oublions pas que la vitesse de transmission des données est nécessairement limitée par celle de la lumière, soit 300 000 kilomètres par seconde.
Entre 6 et 44 minutes de délai
Évidemment, qui dit distance, dit délai de transmission. Un rapide exercice de mathématiques, effectué par Forbes, nous donne un temps de latence situé entre 3 et 22 minutes entre la Terre et Mars. Un temps qu’il faut ensuite multiplier par deux, puisqu’une communication Internet est composée d’un aller-retour (ping-pong) entre deux machines – l’une demande, l’autre répond, ainsi de suite. Pas besoin d’être gamer pour estimer qu’un lag de 6 à 44 minutes est un poil gênant, surtout quand on essaie de skyper les copains restés sur Terre.
Idem pour la navigation : il est inconcevable d’imaginer se connecter à l’adresse IP d’une page Web avec de tels délais, le protocole de transmission classique d’Internet –le protocole TCP– n’étant pas conçu pour les supporter. Et c’est sans compter les facteurs climatiques comme l’atmosphère, la rotation de la planète ou les tempêtes martiennes et solaires, capables de paralyser les communications totalement ou par intermittence pendant de longues semaines. Autrement dit, le temps que votre vidéo de chat arrive sous votre dôme martien, elle aura traversé un véritable parcours du combattant.
Internet ? Mieux, l’InterPlaNet
Heureusement, en prévision de notre future entreprise de colonisation spatiale, quelqu’un s’attelle depuis vingt ans à développer des solutions viables pour pouvoir offrir aux colons martiens la 28e saison de Westworld en direct du volcan Arsia Mons. Cet homme, c’est Vint Cerf, le type à l’origine du protocole TCP/IP — la clé de voûte des échanges d’informations modernes — à la fin des années 70, devenu évangéliste des Internets en chef chez Google.
Sa solution, développée en partenariat avec la Nasa et l’Internet Society, est le Disruption Tolerant Networking (Réseau tolérant aux délais, DTN) : un système de transmission de données capable d’absorber les impondérables de l’espace. Comment ? En remplaçant la traditionnelle adresse IP par le Bundle Protocol (BP,) qui stocke les données en paquets lorsque la liaison est coupée entre les deux appareils, puis les renvoie lorsque le lien est rétabli.
Dans cette configuration, les paquets voyagent de satellite en satellite, en attendant gentiment dans chaque relais lorsque la liaison est coupée. Pour que ce système fonctionne, il faut néanmoins fragmenter le système solaire en « régions », des zones de l’espace dans lesquelles les caractéristiques de communication sont similaires. Dans le futur envisagé par Vint Cerf, dans lequel l’Homme a conquis le système solaire, chaque région dispose de son propre réseau et des protocoles spécialisés permettent de transférer l’information d’un réseau à un autre, à la manière d’un archipel. Et voilà comment on obtient l’Inter Planetary Internet, ou InterPlaNet.
De l’ADSL à la fibre spatiale
Et ce qu’il y a de plus beau, c’est que ça fonctionne déjà. En 2008, le protocole DTN est utilisé pour transférer des photos depuis le satellite britannique UK-DMC. La même année, le Jet Propulsion Laboratory de la Nasa prolonge l’expérimentation en faisant communiquer 9 « nœuds », situés sur Terre, avec la sonde Deep Impact, située à 32 millions de kilomètres de là.
En 2009, le protocole DTN intègre la Station spatiale internationale (ISS), toujours avec succès. Sur Mars, les rovers Spirit, Opportunity, Curiosity et l’atterrisseur Phoenix utilisent tous cette technologie pour transmettre leurs données à la Terre. En 2012, enfin, l’astronaute Sunita Williams, alors commandant de l’ISS, contrôle un robot Lego situé au Centre européen d’opérations spatiales de l’Agence spatiale européenne (ESA), à Darmstadt (Allemagne), grâce à ce nouvel Internet.
Et l’agence spatiale américaine a déjà prévu la prochaine étape : après avoir développé l’ADSL, il faut désormais installer la fibre dans l’espace. En 2017, elle dévoilait le Laser Communications Relay Demonstration (LCRD), un système de relais de transmission de données par laser 10 à 100 fois plus rapide que l’actuelle communication par radio-fréquences. Un premier test en orbite des futurs modems laser est prévu pour l’été 2019.
En 2021, le premier terminal LCRD devrait être installée à bord de l’ISS pour des tests avec la Terre, avant une généralisation à tous les vaisseaux et sondes d’exploration prévus par l’agence en cas de succès. A ce rythme, plus personne n’hésitera à signer pour un aller simple vers les colonies martiennes : oui, ne vous inquiétez pas, vous pourrez jouer tranquillement à Fortnite sous vos dômes géodésiques. Dites merci à Vint Cerf et à la Nasa.
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