Ses yeux peuvent être bleus, bruns, verts ou violets. Roxxxy peut également avoir quasiment n’importe quelle couleur et coupe de cheveux. Roxxxy n’est pas un être humain : c’est un robot sexuel commercialisé par l’entreprise True Companion, pour la bagatelle de 9 995 dollars. Et Roxxxy fait polémique.
Cette machine anthropomorphique peut adopter un éventail de personnalités différentes. Parmi les cinq choix, on trouve « Frigid Farah », un mode qui donne au robot une personnalité « très réservée et qui n’aime pas toujours s’engager dans des activités intimes », affirme le site.
Pour Laura Bates, écrivaine féministe à l’origine du site The Everyday Sexism Project, cette option pose un gros problème, en ce qu’elle fait clairement l’apologie du viol. « Frigid Farrah : c’est l’allitération imaginative qui a été donné en nom au robot sexuel que vous pouvez violer pour seulement 9 995 $ », écrivait la Britannique dans le New York Times le 17 juillet 2017. «Ou plutôt, c’est le nom de la ‘personnalité’ sur laquelle vous pouvez régler votre robot Roxxxy de True Compagnon, si vous voulez qu’elle n’apprécie pas trop lorsque vous ‘la touchez dans une zone privée. »
Les poupées sexuelles peuvent-elles banaliser le viol ?
Face à ses mises en garde, l’entreprise True Companion s’est sentie obligée de se justifier. Sur son site, on peut lire que « Roxxxy, robot sexuel True Companion, n’est tout simplement pas programmé pour participer à un scénario de viol, et le fait qu’il le soit est une pure conjecture de la part d’autrui […]. Frigid Farrah peut être utilisée pour aider les gens à comprendre comment être intime avec un partenaire. »
À l’heure où le consentement sexuel fait l’objet de nombreuses réflexions politiques, les premiers robots sexuels dotés d’une capacité à exprimer un refus, ou du moins une résistance face à une relation « charnelle », posent inévitablement question. Une poupée robotisée capable de dire, comme Roxxxy, qu’elle ne veut pas être touchée à certains endroits, risque-t-elle de banaliser implicitement un acte aussi grave que le viol ?
Un objet peut-il être consentant ?
Bien que la poupée sexuelle soit un objet, les avancées technologiques interrogent la possibilité d’intégrer la notion du consentement à des robots sexuels qui embarquent aujourd’hui des technologies d’intelligence artificielle, et sont souvent conçus pour ressembler aux êtres humains, dans leur apparence et leur « comportement ».
Le consentement est défini comme « l’action de donner son accord à une action » et synonyme d’ « acquiescement, approbation, assentiment » par le dictionnaire Larousse. Dans de nombreux contextes, incluant la sexualité, il suppose ainsi la présence d’au moins deux personnes, qui expriment — pas nécessairement ou exclusivement par la parole — leur accord ou désaccord pour prendre part à une interaction. Sur YouTube, la vidéo « Tea Consent » cherche d’ailleurs à expliquer cette notion en la comparant au fait de proposer une tasse de thé à quelqu’un — qui peut l’accepter, la refuser, l’accepter dans un premier temps avant de la refuser, et autres cas de figure.
Face à une telle définition, la question semble alors être de savoir si la notion même de consentement est transposable à des robots sexuels. Contactée par nos soins, la psychologue et sexologue Caroline Janvre tente de se projeter : « On peut imaginer, qu’avec une intelligence artificielle, la machine pourrait reproduire des comportements humains, et intégrer le consentement : la possibilité de la rétracter, ainsi que sa temporalité, dans le sens où donner son accord pour un type de pratique ne présume pas qu’il est transposable à une autre pratique. Un oui ne veut pas dire oui pour tout », nous rappelle la spécialiste.
Nous projetons nos peurs sur une poupée
Pour d’autres spécialistes de la sexualité, la possibilité même de cette interaction entre un robot, qui serait capable d’exprimer le consentement, et un être humain, n’est pas envisageable. Elle reviendrait à nier la raison même qui peut amener à utiliser un robot sexuel. « C’est absurde, les personnes qui font cette acquisition ne recherchent pas cela, mais un objet qui réponde à leur demande , nous répond Virginie Girod, docteure en histoire et sexologue. En [cherchant à intégrer la notion de consentement sexuel à des robots], nous sommes en train de calquer nos préoccupations d’êtres humains aux robots. »
La spécialiste estime en effet que les robots sexuels, et le fantasme de pouvoir en faire des machines exprimant ou non leur consentement, ne sont que le reflet d’une « remise en question sociale de notre sexualité ». Selon Virginie Girod, « nous calquons cette préoccupation sur un objet anthropomorphique et nous projetons nos peurs sur une poupée, qui de facto par son état d’objet est consentante. »
Échapper à la contrainte du réel
La spécialiste de l’histoire des femmes et de la sexualité invite à considérer avant tout qui sont les usagers de ces machines. Pour beaucoup d’hommes — la sexologue note qu’ils ont plus de chances de former la majorité des utilisateurs de robots sexuels, au moins dans un futur proche — l’utilisation des robots « répond à un moment de fantasme et à l’envie de faire une expérience ». Elle ajoute que « les bordels de poupées montrent d’ailleurs que l’expérience est souvent sans suite, car ces hommes reviennent rarement une deuxième fois ».
Les personnes qui utilisent des robots font donc le choix d’ « échapper à la contrainte réelle », et ce de manière consciente — elle exclut ici de son analyse les personnes présentant une pathologie spécifique. « Les robots sexuels sont un choix de préférence sexuelle, dont les utilisateurs ont conscience. Le robot sexuel est un parent de la famille des sextoys : si on choisit de n’utiliser plus que ça, c’est un choix de mode de vie », nous assure-t-elle. Autrement dit, les usagers de ces robots ne les utilisent pas pour retrouver les conditions d’une relation avec un être humain, et cherchent au contraire à s’en affranchir.
Les robots ne sont toujours pas réalistes
À supposer que nous recherchions une relation avec les robots, proche de celles que nous avons entre humains — qui impliquerait donc la notion de consentement –, encore faudrait-il tout simplement que les robots sexuels soit en mesure de ressembler de manière convaincante à des êtres humains.
Or, les avancées technologiques semblent encore trop faibles, de l’avis d’Iris de Villars, ancienne étudiante de l’École 42 et actuellement en formation à l’Institut de sexologie. « En terme de robotique et d’intelligence artificielle, nous n’y sommes pas encore. Même le robot Sophia, qui est une grande avancée, n’en est pas encore là, on voit bien qu’il y a ne serait-ce qu’une latence lorsqu’il parle avec un humain », fait-elle observer lorsque nous la contactons.
« Le robot serait une manière pour l’humain de vivre d’autres sensations, mais il ne remplacera pas un humain, la chaleur de sa peau, sans parler de la problématique de la reproduction », poursuit notre interlocutrice, mettant ainsi fortement en doute la possibilité de créer un robot sexuel semblable à un être humain, dans un futur proche.
Un outil pour apprendre le consentement ?
Si le robot sexuel ne risque pas de remplacer les êtres humains dans une relation sexuelle, peut-on alors imaginer que l’intégration d’une notion de consentement en fasse un outil pédagogique ? « On pourrait aussi y voir une fonction d’apprentissage, de gestion de la relation, en cela plutôt proche de la pornographie », note Caroline Janvre.
Un avis que ne partage pas Virginie Girod lorsque nous lui posons la même question. « On est face à un objet qui semble presque plus réel que nous. Un robot avec une option de non consentement serait finalement proche d’un film pornographique qui met en scène le viol — même si ce type de porno est difficile à trouver, ce qui n’est pas forcement un mal –. Mais le marché répond toujours aux perversions humaines », développe la sexologue.
«Les robots sexuels exacerberont la visibilité des violences»
Finalement, ces analyses semblent toutes tomber d’accord sur un point : les robots sexuels, aussi novateurs soient-ils dans leur forme, leur apparence et leurs technologies embarquées, semblent soulever des préoccupations plus larges. Comme le rappelle Iris de Villars, l’une d’elles est évidemment celle de « l’objectivation de la femme ». Pour Caroline Janvre, ces robots sexuels auxquels on tenterait de coller nos conceptions d’êtres humains — dont l’idée du consentement — reflètent effectivement des jeux sociaux et de pouvoir.
«Tout comme la pornographie, les robots pourraient représenter ce qui se joue dans la société. Ils permettraient une mise en jeu des rapports de pouvoir dans la société, qui contribueraient à attirer l’attention sur la violence déjà présente. On peut imaginer que les robots sexuels exacerberont la visibilité des violences », postule la sexologue.
Ces machines rendraient donc encore plus visibles les rapports de domination et la manière dont ils se reflètent dans nos propres comportements et attentes sexuelles. En tentant d’humaniser les machines — l’utilisation du terme robot au lieu de jouet sexuel n’est d’ailleurs pas anodine –, les êtres humains y projettent leurs propres incertitudes, y compris celles portant sur la notion de consentement.
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