Face aux difficultés grandissantes de l’industrie musicale à écouler ses disques, certains acteurs cherchent de nouveaux modèles économiques. Des modèles qui, loin de prendre le contre-pied d’Internet, viendraient au contraire s’y greffer dans une parfaite symbiose. La question n’est même plus d’adapter au web les mécaniques des maisons de disques qui commencent à rouiller, mais bien d’inventer un système complètement neuf, inspiré du phénomène Web 2.0.
Ces nouveaux acteurs s’appellent Airtist, ou Reshape Music, des labels dits « équitables« Équitables dans la rémunération de l’artiste, prétendument supérieure à celle des labels « traditionnels ». Fini la consommation de masse alimentée à grands coups d’opérations marketing, les labels de musique éthique sonnent le glas des prescripteurs culturels (médiatiques ou publicitaires) pour redonner le pouvoir aux consommateurs.
Dans un contexte où MySpace devient l’injonction artistique par excellence en matière de production musicale – tout artiste se doit d’avoir une page ! -, les labels équitables émergent un peu partout dans le monde, fondés par des personnes issues de générations ayant pu constater l’effet considérable qu’un tel réseau pouvait avoir. Il devenait alors possible pour un groupe peu connu de rivaliser d’audience avec les canons modernes promus dans les vitrines médiatiques habituelles. Pour exemple, Underoath, un groupe de christiancore qui ne vous dira peut-être pas grand chose, a réussi à cumuler trois fois plus d’écoutes sur sa page MySpace que celles de Britney Spears ou Madonna !
Si les labels équitables partagent cette conviction forte dans le potentiel du web 2.0, leur système de rémunération des artistes variera selon les choix (idéologiques ou pas). Ainsi, Reshape Music proposera à l’acheteur de fixer lui même son prix d’achat, tandis qu’Airtist le laissera déterminé par l’artiste. Ce dernier site évoque même, dans une interview accordée à Borey (voir vidéo ci-dessous), la possibilité d’offrir son catalogue en téléchargement gratuit via un financement publicitaire, un peu à l’image de SpiralFrog dont on attend la sortie officielle.
En quoi la musique équitable diffère ?
Mais comment font ces labels pour promettre un pourcentage de rémunération supérieur à celui des labels traditionnels ? Ces derniers gaspilleraient-ils leur argent de par leur structure trop lourde, ou inefficace à l’ère d’Internet ?
Avec le label équitable, une part non négligeable des coûts liés à l’aspect promotionnel est d’emblée évacuée, puisque c’est le consommateur lui même qui assure le plébiscite d’un artiste. Et même si certains exemples ont déjà pu montrer avec force le pouvoir que ce dernier pouvait avoir (et qui a notamment fait le succès de Kamini en quelques mois à peine), rien n’indique pour autant qu’un artiste supporté uniquement par la « communauté » ait plus de chances de percer qu’en sollicitant les prescripteurs habituels (presse, radio,…).
La deuxième chose est qu’une bonne partie des labels traditionnels produisent leurs artistes, c’est-à-dire qu’ils en financent l’enregistrement. Or, à l’heure actuelle, les labels équitables n’ont pas vraiment les moyens d’investir en studio pour leurs poulains, et doivent donc se contenter d’en recevoir les produits finis et auto-produits. Si ce modèle marche, c’est en partie dû au fait que le « home made » devient de plus en plus accessible avec l’essor de l’informatique grand public. Ce qu’il est possible de faire aujourd’hui aurait sûrement nécessité l’intervention d’un ingénieur du son quelques années auparavant.
Enfin, les labels traditionnels considèrent qu’une place dans les bacs de la Fnac ou de Virgin reste un élément incontournable pour la sortie d’un CD. A contrario, la musique équitable n’y accorde pas autant d’importance, se contentant de vendre la majorité de ses produits sur son site. Elle s’affranchit donc de la marge conséquente que prennent ces disquaires sur le prix d’un CD.
Musique équitable : l’avenir de la musique ?
Avec l’équitable, on demande finalement beaucoup de choses à l’artiste : s’auto-produire, assurer le contact avec son public, déterminer lui même son prix de vente… Mais est-il plus pertinent pour lui d’assumer ces tâches que de les confier à une structure dont c’est justement le métier ? Ceux qui optent pour la deuxième option continuent de choisir les labels « traditionnels » qui, à défaut de rémunérer autant, sont en revanche sensés avoir le temps et l’argent pour s’y consacrer. Ce que promet le label équitable, c’est pour l’instant surtout un travail de médiation entre l’artiste et l’internaute.
Cette dualité n’est finalement pas nouvelle. Est-il préférable que la capacité de vente soit assurée par l’artiste ou par des commerciaux ? Le fait est que les majors du disque ont tellement exacerbé ce côté du métier, qu’elles en vinrent à créer des objets marketing de masse totalement désincarnés. Le label équitable s’impose donc à juste titre comme un moyen, à l’instar de MySpace, de recréer du lien là où les choses avaient tendance à se déshumaniser.
Constitue-t-il pour autant le créneau de demain ? Dans un contexte où les productions artistiques sont de plus en plus nombreuses sans que les moyens financiers n’augmentent pour autant, on serait tenté de penser que ce modèle d’auto-gérance « accompagnée » risque en tout cas de devenir un choix de plus en plus, sinon nécessaire, au moins pertinent.
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