La guerre contre la loi DADVSI continue. N’ayant réussi à bloquer le vote de la loi ou à faire reconnaître son inconstitutionnalité, les opposants à la nouvelle loi sur le droit d’auteur s’attaquent à ses actes réglementaires, indispensables à la mise en œuvre de la loi. Ainsi l’APRIL annonce qu’elle a déposé mercredi 21 février au Conseil d’Etat une requête en annulation (.pdf) contre le premier décret publié le 23 décembre 2006. Celui-ci précise les contraventions applicables dans les divers scénarios de contournement des mesures techniques de protection, ou de mise à disposition d’outils de contournement.
La requête en annulation de l’APRIL s’appuie sur le droit communautaire, sur la loi DADVSI elle-même, sur les règles relatives à la commande publique, et sur les principes de constitutionnalité des normes.
Sur le plan communautaire, l’APRIL remarque que « les dispositions de la loi DADVSI définissant les mesures techniques efficaces, tout comme le décret attaqué qui les reproduit et les utilise, n’ont fait l’objet d’aucune notification à la Commission ». Or une directive européenne du 22 juin 1998 oblige les Etats à notifier à la Commission Européenne, préalablement à leur application, toutes les règles relatives aux services de la société de l’information qui ne seraient pas strictement identiques aux directives communautaires. La sanction est simple, c’est l’innoposabilité des textes non notifiés aux particuliers, et l’interdiction faite aux juges nationaux d’appliquer les textes non notifiés.
De plus le texte du décret est plus strict que la directive européenne EUCD, qui prévoyait des sanctions uniquement contre les contournements que « la personne effectue en sachant, ou en ayant des raisons valables de penser » qu’elle poursuit un objectif de contournement des mesures techniques. Le texte du décret oublie ce critère de conscience de l’acte délictueux, et donc « attire dans le champ contraventionnel des personnes qui étaient expréssément exclues par la directive », attaque l’APRIL.
Toujours sur le plan communautaire, l’Association considère que le décret fait peser le risque d’interdire l’ensemble de l’édition de logiciels libres qui ont d’autres utilisations que le contournement, et qu’il est donc en violation direct du principe de proportionnalité visé précisément par la directive de 2001.
Sur le plan national, l’APRIL reproche au gouvernement d’avoir systématisé la condamnation des actes de lecture de CD ou de DVD qui, pour certains systèmes et logiciels (en particulier sous Linux), passent obligatoirement par le contournement de mesures techniques de protection. Or la loi DADVSI prévoit elle-même explicitement que « les mesures techniques ne doivent pas avoir pour effet d’empêcher la mise en œuvre effective de l’interopérabilité », et qu’elles « ne peuvent s’opposer au libre usage de l’œuvre protégé dans les limites des droits prévus » par la loi. L’Association dénonce ainsi une erreur de droit, manifeste car « le décret instaure une contravention qui ne prévoit pas les exceptions nécessaires au respect de l’interopérabilité ».
De plus « pour respecter la volonté claire du législateur, le gouvernement devait exclure du champ d’application de la contravention la détention et l’utilisation d’applications technologiques portant atteinte à une mesure technique mais conçus et distribués dans le cadre de l’exercice des exceptions prévues » pour la décompilation. En n’ayant pas interprété dans ce sens la loi DADVSI, le gouvernement aurait commis là encore une erreur de droit, indique l’APRIL.
L’Association a été chercher jusqu’au Code des marchés publics pour dénoncer une violation des principes de liberté d’accès à la commande publique dans les cas où les appels d’offres seraient proposés sous la forme de fichiers avec mesures de protections intégrées, impossibles à lire sous des logiciels libres. Sans doute cet aspect là est-il plus une mise en garde à l’encontre de l’administration et un encouragement à utiliser les formats ouverts qu’une réelle mise en cause du décret lui-même.
Enfin, le texte de la saisine appelle le Conseil d’Etat à prendre conscience de la menace pour la sécurité juridique posée par le décret. « Il ne faut pas laisser subsister dans l’ordre juridique français des textes réglementaires pouvant laisser croire à la prohibition des logiciels libres au moment même où la Commission européenne publie (le 13/02/2006) une communication sur l’interopérabilité et où le programme IDABC de la Commission travaille, quant à lui, à un plan européen d’interopérabilité ».
Le dernier angle d’attaque est constitutionnel. L’Association soutient que le décret est inconstitutionnel dans sa définition de l’élément constitutif de l’infraction visée. Soit le décret ne décrit pas suffisamment ce que sont les moyens de contournement des mesures techniques, auquel cas il viole le principe de légalité des délits et des peines. Soit le Conseil juge le décret assez précis, auquel cas le fait qu’il puisse englober les logiciels libres dans sa définition méconnaîtrait le principe de proportionnalité des peines.
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