A quoi sert la Cérémonie des Oscars ? A mieux vendre les films récompensés, bien sûr, mais pas seulement. Les remises de prix ont des objectifs artistiques et qualitatifs dont devrait s’inspirer l’industrie du jeu vidéo…

Etre nommé ou, beaucoup mieux, recevoir un prix à la Cérémonie des Oscars, c’est l’assurance pour n’importe quel producteur de rentrer dans ses frais en vendant le film partout dans le monde, et d’avoir les fonds suffisants pour financer les films suivants. Pour le réalisateur primé, c’est l’assurance de ne plus avoir besoin de courir un marathon simplement pour obtenir son budget avant la création d’un film (La Vie Des Autres, primé dimanche soir, a mis deux ans avant d’être produit). Pour les acteurs et les membres de l’équipe de tournage, c’est aussi un label de qualité certifiée à apposer sur son CV, une sorte d’assurance chômage à vie.

Mais au delà de ces considérations économiques importantes qui font s’agiter les services marketing à chaque hiver, les Oscars, Césars, Golden Globes, Lions d’Or et autres prix prestigieux ont aussi une vocation artistique. Hollywood n’est pas que l’image que l’on peut avoir des grands studios à vedettes et de ses batteries de comptables. Il règne aussi la volonté de faire de beaux films, de raconter des histoires de la meilleure façon possible, parfois de secouer les esprits en n’hésitant pas à taper contre le gouvernement ou la société de consommation. Les producteurs investissent parfois dans des films qu’ils savent (ou croient) d’avance voués à l’échec commercial. Et ils y sont encouragés par les Oscars et tous ces prix où les professionnels du cinéma sont adulés, remerciés, congratulés par leurs pairs. S’ils parviennent à garder leur pureté en ne récompensant pas les succès commerciaux mais les œuvres qui méritent d’être saluées pour leurs qualités intrinsèques, alors les prix encouragent les producteurs à prendre davantage de risques et à ne pas réaliser que des blockbusters formatés.

Avec des films qui coûtent de plus en plus chers et un marché qui devient de plus en plus incertain, les producteurs sont invités à prendre de moins en moins de risques. Les remises de prix basés sur la qualité artistique de l’œuvre sont alors une contre-balance vitale pour éviter qu’Hollywood ne devienne une industrie totalement froide et automatisée.

Quid pour les jeux-vidéo ?

Avec 6,5 milliards de chiffre d’affaires par an, le jeux-vidéo est devenu une industrie lourde très loin de l’image immature que l’on peut encore en avoir. Les budgets se comptent en millions d’euros pour chaque production, avec des équipes de développeurs et de designers toujours plus nombreuses, et des technologies extrêmement coûteuses en licences ou en matériel. De Pong et ses quelques lignes de code en 1972, nous sommes passées à la 3D haute-définition, à la motion capture, aux doublages sonores dans les langues de tous les pays, à des scénarios toujours plus complexes et évolutifs, à des modèles graphiques et physiques les plus perfectionnés… Tout cela demande des batteries d’ingénieurs, d’artistes, de mathématiciens, de testeurs, de réalisateurs, de comédiens… Le moindre jeu à développer demande une organisation réglée comme une horloge et des investissements colossaux.

Selon une étude de Screen Digest, les éditeurs de jeux-vidéo qui sortent les jeux de nouvelles générations n’attendent pas un retour sur investissement avant 2008. Et seule une petite partie des jeux développés pour les consoles nouvelle génération (Xbox 360, PlayStation 3 et dans une moindre mesure, Wii) seront rentables dans le futur proche. Comme l’industrie du cinéma et de la musique, les studios de jeux-vidéo doivent produire des blockbusters pour financer les projets plus confidentiels ou ceux qui n’arrivent jamais à atteindre le succès commercial qu’on leur promettait. Et donc les éditeurs ne prennent plus aucun risque. Les effectifs internes sont réduits pour sous-traiter des pans entiers de la production, les jeux sont conçus pour s’adapter au plus de plate-formes possibles – ce qui tend le niveau d’exploitation des spécificité de chaque console vers le bas, et les suites en séries sont multipliées dès lors qu’un jeu obtient un succès commercial. Les jeux sur franchise, qui adaptent des films ou des bandes dessinées, sont eux aussi favorisés pour cibler un public conquis d’avance.

Dans cette ambiance où la créativité laisse place à la seule logique comptable, les jeux-vidéo perdent beaucoup de leur charme, ce qui à moyen et long terme constitue un cercle vicieux pour l’industrie.

Il faudrait donc à l’industrie du jeux-vidéo une organisation qui transforme le cercle vicieux en cercle vertueux. Une bonne et grande cérémonie des Oscars du jeux-vidéo, avec prix du meilleur jeux, prix du meilleur level designer, prix du meilleur scénario, prix du meilleur gameplay… Il existe déjà deux cérémonies de ce type, l’Interactive Achievement Awards (IAA) et la Game Developers Choice Awards (GDCA), qui se tiennent respectivement en février et en mars. Mais aucune des deux cérémonies n’a réussi à se populariser et à fédérer l’ensemble de l’industrie.

Alors que la « grande famille du cinéma » a su se réunir, il semble qu’il est encore loin d’exister une « grande famille du jeu vidéo ». Le secteur est archi-concurrentiel et rempli de rivalités, et animé par des mouvements de concentrations et des faillites à la pelle qui empêchent toute acalmie. Il n’y a pourtant qu’en redonnant un sens à la qualité artistique et à l’originalité des jeux-vidéo que l’industrie saura à nouveau prendre les risques que le public attend. C’est aussi par cela que passe la respectabilité nécessaire à toute prévention contre le piratage…

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