Dans un thread posté le 15 septembre, Ashley raconte comment elle a finalement réussi à mettre un terme à une relation toxique, après avoir longtemps été dans le déni. Pendant 18 mois, elle a été en couple avec un homme qui la forçait à prendre du poids malgré elle… Elle en était arrivée à un stade où elle se sentait « dégoûtante ». Et puis, un jour, elle a quitté son compagnon, et a reperdu le poids qu’elle avait pris grâce à un thé détox. Du moins, c’est ce qui est raconté sur Twitter… Car à regarder son récit de plus près, on comprend vite que la jeune femme n’est en fait qu’un personnage fictif. Un faux-profil, créé dans le but de promouvoir une marque de produits minceur. Et que des « Ashley », il en existe d’autres.
Des histoires larmoyantes pour susciter l’émotion
On trouve environ une quinzaine de comptes de ce type sur Twitter, créés entre les mois de mai et septembre 2018. Elles s’appellent Olivia, Bella, Molly, Sarah, Amanda ou même d’autres Ashley. Leurs biographies les présentent soit comme des étudiantes en master de nutrition à l’université américaine de Stanford, soit comme de jeunes filles tout à fait banales, abonnées à Jennifer Lopez et Barack Obama.
Leurs histoires diffèrent à chaque fois, mais ont pour dénominateur commun de susciter l’émotion. Bella était la reine de son école avant de prendre du poids. Elle aurait commencé à entendre sur son passage des messes-basses, des moqueries. Elle serait devenue la risée de l’établissement. Amanda ne se serait jamais sentie bien dans son corps, avant de perdre du poids. Olivia, elle, aurait découvert que son fantastique époux la trompait avec son ex-meilleure amie. Quelques mois plus tard, elle les aurait retrouvés à un mariage, où ils seraient venus en couple et se seraient moqués ensemble de sa prise de poids. Tragique !
Puis c’est toujours le même basculement : elles racontent avoir eu un jour un déclic et s’être décidées à changer. Elles seraient alors tombées sur Twitter sur l’article en ligne d’une dénommée Sarah, qui avait « trouvé une façon intéressante de perdre du poids ».
« Ashley » explique qu’elle a tout de suite pensé à « une arnaque ou quelque chose comme ça », que « ça semblait stupide ». Mais « désespérée », et se souvenant d’une amie qui avait tenté la même méthode avec succès, elle a fini par essayer. Avec succès.
Un argumentaire solide pour convaincre les internautes que tout est vrai
Tout est fait pour faire rêver des personnes souhaitant perdre beaucoup de poids sans trop d’efforts. Les jeunes femmes disent avoir perdu chacune 25 pounds (soit 11 kilos environ) en l’espace de quelques semaines. Sans adopter de régime particulier, et sans évoquer la moindre pratique sportive, elles ont désormais des abdominaux bien visibles, et des jambes fuselées où la cellulite semble avoir disparu comme par magie.
Beaucoup d’internautes sont tombés dans le panneau. Les posts sont likés ou retweetés des milliers, voire des dizaines de milliers de fois, et ces femmes sont très suivies.
De jeunes internautes complimentent leur nouveau physique, partagent leurs histoires en disant n’avoir « jamais rien vu de plus vrai », compatissent aux situations qu’Ashley et les autres disent avoir vécu et racontent leur propre expérience, faisant confiance à ces avatars.
Ces histoires sont pourtant entièrement fausses.
Les photos ont été volées sur des comptes Instagram, les vidéos ont été importées de YouTube ou de Youporn. Elles appartiennent à des influenceuses comme Deylachka, 32 000 abonnés, des vidéastes comme Vanessa Blanco, suivie par 158 000 personnes, ou encore à la camgirl Tianastummy. Les mêmes photos sont utilisées par plusieurs avatars, sous plusieurs pseudonymes et prénoms différents.
Des faux reportages sont également montés, et postés entre cinq et dix fois par jour sur un même profil, pour attester du sérieux des recherches effectuées par les-dites étudiantes à Stanford. Contactée, l’université nous explique n’avoir « aucun programme concernant la nutrition » à Stanford. Un professeur de l’école de médecine explique même avoir vu passer « ces dernières années » plusieurs faux témoignages de prétendus « étudiants à Stanford » qui vantaient les mérites de régimes.
https://twitter.com/sarahedfit/status/1013406742200442881
Des messages qui redirigent vers… des boutiques en ligne
Mais alors, à qui profite tout cela ? Les liens postés par les faux profils sont tous identiques. Ils renvoient vers un site en anglais, appelé Health news center.
On y trouve l’article de « Sarah », celle qui aurait convaincu tout le monde de l’efficacité de son régime. Il est toujours le même, à quelques détails près. Chaque jour, les liens qui y sont glissés et le nom du produit « miracle » à l’origine de la perte de poids change. Lorsque Madmoizelle est tombée dessus, il s’agissait d’un brûle-graisses. Vice lui, est tombé sur une publicité pour un thé détox. De notre côté, nous avons eu deux nouveaux types de gélules brûle-graisses. En apparence « naturels » (des composants non-naturels ont déjà été retrouvés dans des compléments supposés l’être) et sans danger, ces produits peuvent avoir de lourdes conséquences s’ils sont consommés de manière excessive ou sans consulter de médecin au préalable.
Brûle-graisse, publicité mensongère et « secret professionnel »
Les entreprises vendant ces produits sont à chaque fois différentes. L’une d’entre elles, Revolyn Ultra, dit être une boîte française. Entre répondeur téléphonique et réponses email automatiques, nous n’avons jamais obtenu d’explications de sa part, ni de ses maisons-mères qui ont ignoré nos sollicitations. Seule une société qui s’occupe de la logistique de leurs colis nous a indiqué qu’elle travaillait avec une entreprise qui, elle même, travaillait avec Revolyn Ultra. Se dédouanant de toute responsabilité par rapport aux pratiques commerciales de cette dernière, elle n’a pas souhaité nous donner de détails sur l’identité de ses propriétaires, se disant tenue au « secret professionnel ».
D’autres entreprises contactées renvoyaient également automatiquement sur répondeur, ou sonnaient dans le vide dans le cas de Phendora.
Une pratique commerciale trompeuse
En France, est considérée comme une pratique commerciale trompeuse toute communication contenant ou véhiculant « des éléments faux qui sont susceptibles d’induire en erreur le consommateur moyen », notamment sur les « propriétés » ou « résultats attendus » de l’utilisation d’un produit. La loi punit aussi le fait de « faire état de diplômes ou de références professionnelles non possédés ». Ce que semblent les entreprises de brûle-graisses en utilisant la mention de l’université de Stanford (contactée, cette dernière n’a pas répondu pour le moment).
Si ces pratiques sont avérées, elles pourraient être passibles dans l’Hexagone de deux ans d’emprisonnement et 300 000 euros d’amende. Twitter de son côté, semble bien dépassé face au phénomène. Les comptes sont supprimés, pour la plupart. Mais aussitôt disparus, d’autres sont recréés, parfois sans même prendre la peine de changer de pseudonyme…
Article mis à jour le 21 septembre avec ajout d’un commentaire de l’université de Stanford.
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