Le 6 février dernier, Steve Jobs déclamait à la terre entière qu’il était contre les DRM et que si iTunes en débordait, c’était uniquement la faute des méchantes majors qui n’acceptent pas de vendre leur musique sans DRM. Nous relèvions alors une incohérence : si Steve Jobs est autant attaché à la liberté des utilisateurs, pourquoi ne retire-t-il pas les DRM des chansons des labels indépendants qui, eux, souhaitent vendre sans verrous ? Le boomerang lancé par le patron d’Apple pourrait lui revenir en pleine pomme.
Ca n’a pas manqué puisque Defective Design, qui est un peu le StopDRM anglophone, a publié cette semaine une longue lettre ouverte à Steve Jobs pour faire part de leur réponse. Framasoft en publie la traduction suivante (merci à eux, et tout spécialement à leur équipe de traducteurs Olivier et GaeliX) :
Lettre ouverte à Steve Jobs
Cher Steve Jobs,
Nous voudrions vous remercier pour votre déclaration publique à propos des Digital Restrictions Management (DRM), et votre engagement pour l’abandon des DRM dans iTunes si les quatre majors de l’industrie du disque – EMI, Warner, Universal et Sony, vous laisse le faire.
Comme vous le savez, la campagne anti-DRM de la Free Software Foundation, DefectiveByDesign.org, a spécialement pris pour cible Apple depuis son lancement en Mai 2006. En tant qu’activistes contre les DRM nous avons apporté notre soutien aux manifestations importantes devant les magasins Apple aux États-Unis et au Royaume-Uni, car étant le plus important pourvoyeur de musique cadenassée, Apple possède une grande part de responsabilité dans la situation dans laquelle se trouve les consommateurs actuellement.
Mais Apple subit la pression, non seulement des activistes anti-DRM et du boycott des DRM par les consommateurs, mais aussi des défenseurs des droits des consommateurs en Europe qui ont déclaré les DRM d’iTunes (FairPlay) illégaux. En Norvège les régulateurs ont donné jusqu’au 1er octobre 2007 à iTunes pour s’ouvrir à défaut de quoi le service devra fermer sous peine d’amendes journalières. Des démarches similaires sont entreprises par les régulateurs dans toute l’Europe.
Pour beaucoup d’observateurs l’engagement pris dans votre blog ressemble à une manière de faire baisser le pression exercée par ces régulateurs sur Apple et coupe l’herbe sous le pied de l’industrie qui demande la possibilité pour d’autres distributeurs d’utiliser FairPlay
Cela fait trois semaines maintenant que vous avez publié votre engagement pour arrêter les DRM et il y a eu beaucoup de réponses de la part de commentateurs qui ont mis en avant les actions que vous pouvez entreprendre pour appuyer vos dires. Le fait que vous n’ayez pris aucune mesure nous amène à nous demander : quelle est l’authenticité de votre engagement ?
Nous avons identifié trois manières pour vous d’afficher votre sincérité à propos des DRM. Prendre des mesures sur l’un de ces fronts serait une manière forte de montrer que vous êtes sérieux.
1) Abandonnez les DRM sur iTunes pour les artistes indépendants
De nombreux artistes et labels indépendants distribuent leur musique au travers d’iTunes et beaucoup souhaitent le faire sans DRM, mais vous ne les laissez pas. Vous pouvez montrer votre bonne foi immédiatement en abandonnant les DRM pour ces artistes et labels.
Cela montrera clairement quels artistes sont vraiment attachés à l’un des quatre grands labels, permettant à vos clients d’éviter ces labels et le fardeau des DRM. Les artistes indépendants, qui respectent le désir de leurs fans d’être libre des restrictions imposées par les DRM, recevront plus de soutien.
Vous pouvez montrer l’exemple moral en étant la première « major » à abandonner les DRM, en libérant les artistes indépendants. Vous avez le pouvoir de faire cela.
2) Abandonnez les DRM sur iTunes pour les films et les vidéos de Disney
Dans l’article sur votre blog vous dites, « L’alternative est d’abolir les DRM complètement. Imaginez un monde où tous les magasins en ligne vendraient de la musique libre de DRM, encodée dans un format sous license libre » C’est une image forte, une image que nous et le mouvement du logiciel libre partageons avec vous. Mais pourquoi votre vision se limite-t-elle au monde de la musique sans DRM. Vous ne faites pas allusion une seule fois aux films ou vidéos.
Nous comprenons qu’Apple est occupé à signer des contrats avec les studios de cinéma et les réseaux de télévision pour autoriser Apple à vendre des vidéos et des films aux utilisateurs d’iPod. Ces vidéos sont vendues avec des DRM. Les arguments que vous avancez dans votre blog s’appliquent aussi bien aux films qu’à la musique.
En 2006 vous avez vendu Pixar à Disney et êtes ainsi devenu l’actionnaire le plus important de Disney et avez rejoint le conseil d’administration. Disney a été le premier à donner son accord pour la distribution de ses films au travers d’iTunes. Disney est l’un des principaux distributeurs de film mais pas l’une des principales maisons d’édition.
Vous pouvez donner l’exemple dans le domaine de la vidéo et des films. Disney peut être la première « major » à abandonner les DRM. Vous avez le pouvoir de réaliser ceci.
3) Prenez un engagement public contre les DRM et les lois avalisant les DRM en finançant une campagne contre les interdictions du Digital Millenium Copyrigth Act (DMCA[3]).
Dans votre blog vous dites que nous pourrions « … abolir complètement les DRM » et qu’Apple « s’y joindrai en un clin d’oeil ». Ces mots sont très proches d’un appel à l’élimination des DRM. Nous vous encourageons à faire une telle déclaration explicitement.
C’est une action importante à cause des menaces législatives auxquelles nous faisons face. Le Senateur Feinstein (Démocrate, Californie), dans sa session au congrès a à nouveau présenté sa loi « Platform Equality and Remedies for Right Holders in Music Act (PERFORM Act) (loi sur l’égalité des plateformes et remèdes pour les ayant droits dans le monde de la musique). Cette loi imposerait à tous les diffuseurs sur Internet qui proposent des MP3 en streaming (ou d’autres formats libres de DRM) d’y ajouter un DRM. Ceci inclurait les stations de radio actuellement disponibles par iTunes, qui dépendent des MP3 en streaming.
L’impact des DRM et du DMCA aura des effets effrayants sur notre liberté d’expression. Dans un monde où les émissions de radio, les émissions de télévision, les informations et la couverture du monde politique seraient chargées de DRM, puisque les télévisions numériques, les radios numériques et la diffusion par Internet seraient mandatées pour utiliser des DRM, nous perdrions notre droit de faire des commentaires en utilisant les documents d’origine. La liberté d’expression par la parodie et les citations aura disparu.
En tant que personne ayant imposé les DRM à des millions de personnes et ayant dégagé des millions de dollars de bénéfices par ce moyen, il est temps pour vous de vous élever contre les DRM, qui sont immoraux et qui menacent nos libertés.
Vous pouvez donner l’exemple en demandant l’élimination des DRM en finançant une campagne pour rejeter les interdictions du DMCA sur les appareils qui contournent les DRM. Vous avez le pouvoir concret de réaliser cela.
Même si nous accueillons favorablement votre engagement d’abandonner les DRM, il n’a pas été suivi d’action pour le moment. Certains changements dont vous parlez nécessiteront la coopération d’autres acteurs de l’industrie des médias, mais les trois points que nous avons mis en avant n’en font pas partie. Vous avez les mains libres pour autoriser les artistes indépendants à vendre leur musique sur iTunes sans DRM, pour retirer les DRM des films et vidéos de Disney et pour financer une campagne pour rejeter les interdictions du DMCA sur les appareils qui contournent les DRM. Nous, les signataires, faisons appel à vous pour prendre des mesures maintenant.
Sincèrement votre,
Si vous adhérez au contenu de cette lettre n’oubliez pas de la signer avant son envoi le 1er avril à ce gros poisson qu’est Steve Jobs.
NOTES :
[1] DRM pour Digital Rights Management (Mesures Techniques de Protection, MTP, ou encore Gestion Numérique des Droits, GDN, en français).
[2] On pourra aussi lire la réaction du site francophone StopDRM! aux propos de Steve Jobs.
[3] DCMA dont le pendant en loi française est la DADVSI.
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