2045, vous venez de prendre votre trottinette électrique pour aller chercher votre pain à la boulangerie. À la sortie du magasin, vous montez dans une navette autonome que huit personnes occupent déjà, direction le travail.
C’est à ce futur que se préparent Jean-Louis Missika et Pierre Musseau. Le premier est adjoint à la maire de Paris, chargé de l’urbanisme, de l’architecture, du Grand Paris et du développement économique. Le second occupe à ses côtés des fonctions de conseiller sur les sujets ville intelligente et durable. Ils cosignent Des robots dans la ville : comment les voitures autonomes vont changer nos vies, aux éditions Tallandier, disponible le jeudi 4 octobre 2018.
Numerama revient avec Pierre Musseau sur les problématiques abordées dans son ouvrage.
Transformers
À quoi ressembleront les robots dont vous parlez ?
On découvre chaque jour la diversité des robots. Ce ne sont pas forcément des voitures, comme on l’envisage aujourd’hui, auxquelles on enlève juste le volant. Tous les objets vont être profondément modifiés. Ces robots prennent plusieurs formes, et commencent à sortir des bâtiments où ils étaient restreints pour être expérimentés dans les rues des villes. On découvre chaque mois de nouveaux usages. Il existe des robots suiveurs, des robots éboueurs… On parle surtout de véhicules routiers, mais on s’intéresse déjà à ceux qui évolueront sur le fleuve sur l’eau ou dans les airs, car il faut se préoccuper de leur intégration.
Les sources que vous citez annoncent l’arrivée des véhicules autonomes dès 2030. Quels progrès permettent cette avancée ?
D’abord, les capteurs se sont perfectionnés et leur prix a chuté. Depuis la Google Car (ndlr : en 2010), on est passés de 75 000 dollars à quelques centaines de dollars ! Le prix du véhicule autonome s’est donc considérablement réduit.
Les prochaines innovations visent la cartographie numérique. Elle doit pouvoir se nourrir de ces nouveaux capteurs et de la multiplication des véhicules en circulation. De nombreuses interrogations planent sur le sujet : comment la cartographie va-t-elle être utilisée par les opérateurs ? Va-t-on avoir des cartographies partagées entre opérateurs, ouverts au public ? Par exemple, le projet appolo.auto, du chinois Baidu, se bâtit autour d’un processus d’innovation ouverte. Ils partagent les données avec d’autres acteurs du secteur, mais également en open source, afin de faire émerge de nouvelles innovations. Le but serait que les pouvoirs publics en fassent partie, et c’est ce qu’on essaye de faire dans l’écosystème parisien.
Par quels moyens le secteur innove-t-il ?
Aujourd’hui, il y a deux types d’expérimentations. D’un côté, on teste des véhicules où le chauffeur est prêt à reprendre la main sur le volant, qu’on privilégie sur des autoroutes. De l’autre, on laisse rouler en ville des véhicules en autonomie complète, mais très lentement, avec des autorisations parcimonieuses sur leur périmètre de circulation.
« Il faut donner une redondance au véhicule, pour qu’il ne soit pas seul à calculer ses décisions »
Mais l’innovation va beaucoup plus vite que ce qui était anticipé. On arrive à faire circuler des véhicules dans des flux complexes sans reprendre le volant. Les intelligences artificielles, grâce au machine learning, montrent des capacités d’apprentissage incroyables. Il faut juste qu’on accumule assez de données pour comprendre le mode de conduite d’une ville.
Justement, on parle de smart city, d’une ville qui produit des données accessibles aux objets connectés. Où en est-on ?
À Paris, on pousse les industriels à expérimenter, pour identifier quels sont les besoins réels d’infrastructures. En ce moment, on souhaite tester la 5G, qui serait nécessaire pour avoir les images en temps réel. Dans le cas où l’on doterait les véhicules d’un superviseur à distance, il serait ainsi capable de reprendre manuellement le contrôle du véhicule, sans décalage, pour éviter un accident.
Le prochain chantier, c’est la numérisation des infrastructures urbaines, c’est-à-dire leur transcription sous forme de cartographie numérique. Cela permettra de partager l’information entre véhicules et infrastructures. On pourra ainsi donner une redondance dans les données mises à disposition du véhicule, pour qu’il ne soit pas seul à identifier les obstacles et à calculer les probabilités de collision.
Mobilité as a service
Dans votre livre, vous insistez sur le principe de « mobilité comme service » quand vous évoquez le véhicule autonome. Pourquoi ?
Le modèle de la voiture qu’on nous a vendu, et qu’on continue à nous vendre, est celui d’une voiture qui répond à tous les besoins. La mobilité comme service implique de passer à un nouveau paradigme. Celui-ci se construit autour d’un bouquet de mobilité « couteau suisse ». Il faut qu’on propose une offre qui puisse remplir tous les besoins de mobilité, même ceux de livraison ou de déplacement d’objet. On utiliserait différents types de véhicules, chacun répondant à un type de besoin : par exemple, la trottinette pour le déplacement de proximité, des navettes collectives autonomes vers le travail, des camions intelligents pour la logistique, le vélo électrique pour une distance moyenne…
Tout l’enjeu est que les opérateurs privés produisent des bouquets de services orientés vers tous les usagers, notamment les usagers fragiles, à la mobilité réduite, auxquels on ne peut offrir les mêmes moyens de transport. Cette vision de la mobilité implique également de repenser les systèmes de subvention.
Vous mettez en garde contre certains acteurs des nouvelles mobilités, Blablacar, Uber et d’autres. Quels potentiels dangers représentent-ils ?
Les acteurs derrière l’économie du partage (ndlr : qui proposent aux utilisateurs un accès à un véhicule également utilisé par d’autres, rien à voir, donc avec du partage décentralisé) ont une force de frappe importante. Ils sont source d’innovation, font bouger les lignes de la mobilité — on le voit avec les trottinettes en ville. Mais en même temps, ils ont des tendances monopolistiques et vont chercher à capter l’intégralité d’un marché local.
Uber en est le cas flagrant, d’autant plus qu’il s’intéresse maintenant à l’ensemble des mobilités. Il a investi dans des trottinettes, bientôt dans le vélo électrique et demain, il veut proposer des services intermodaux avec les transports publics. Ça justifie une prise de conscience des Villes, pour organiser le marché local de cette économie du partage, afin qu’il n’y ait pas qu’un seul opérateur pour les services de mobilité. On ne croit pas à un monopole d’Uber, comme on ne croit pas à un monopole du transporteur public.
On voit que cette année le salon de l’automobile réserve un pavillon entier aux nouvelles mobilités. Comment réagit l’industrie automobile à cette révolution ?
Il faut distinguer constructeur et équipementier. Valéo a déjà un business modèle évident : leur avenir n’est plus de vendre aux constructeurs automobiles, mais aux acteurs de la mobilité autonome. Ils discutent déjà plus avec un Google qu’avec Renault ou PSA.
Mais les industriels auto commencent aussi à bouger, après plusieurs années à douter des innovations : par exemple Renault s’investit sur l’électrique et le partagé. Ils se lancent même sur la logistique, qu’ils avaient abandonnée.
Sur le véhicule autonome, ils vont devoir se confronter avec les géants de la tech, qui sont très impliqués. J’ai une inquiétude sur la force de frappe de Google, Baidu ou Alibaba demain. Je pense qu’il y a un intérêt à évoluer avec un écosystème d’innovation européen, plus ouvert. il serait fondé sur la RGPD, qui pose des contraintes qu’un Google ou Baidu ne se pose pas. Ce cadre légal offre déjà une petite niche pour développer de l’innovation propre à l’Europe, plus respectueuse de la protection des données.
Dépasser les bornes
Nous ne l’avons pas mentionné : est-il évident que ces véhicules autonomes sont électriques ?
(Rires) C’est une évidence, mais pas totalement vraie, par exemple dans les cas d’usages sur autoroutes, où l’autonomie des véhicules électriques n’est pas suffisante. En revanche, en milieu urbain, c’est un principe évident, partagé par des villes qui ont des partenariats avec des opérateurs.
Les villes doivent donc augmenter leur parc de bornes électriques ?
C’est d’actualité pour nous, à Paris, la demande est en train d’exploser. On travaille sur une expérience avec Valéo, pour faire un valet de véhicules autonomes sur un parking. Dans ce parking, si nous avons plusieurs véhicules autonomes, nous faisons en sorte que les véhicules tournent entre eux pour aller se recharger. De sorte qu’au lieu d’avoir 5 bornes pour recharger 5 véhicules, les véhicules se chargent à tour de rôle sur la même borne, avec un robot qui va les brancher. Ce peut être un moyen d’optimiser les infrastructures de recharge, tout en s’assurant que les véhicules aillent se recharger au moment où le réseau électrique est disponible. Dans le futur, l’usage des véhicules sera optimisé de leur temps d’utilisation, en passant par les trajets, jusqu’à leur charge. Et l’on a ici une preuve que ce n’est pas plus une fiction.
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