Nous avons beaucoup glosé sur les méthodes de la RIAA, qu’un professeur d’Université américain qualifiait cette semaine de « mafieuse ». L’organisation qui défend les intérêts des majors de l’industrie du disque aux Etats-Unis a monté un site Internet pour automatiser le processus de règlement des litiges sans passer par des tribunaux qui se montrent de moins en moins favorables aux poursuites aveugles de la RIAA (voir ici, là, par ici ou encore là). Le message est clair : acceptez de payer maintenant et moins cher, ou affrontez les tribunaux et prenez le risque de payer beaucoup plus encore. Face à ce que certains n’hésitent pas à qualifier de « chantage », la plupart s’exécutent.
Evidemment, ce sont les Etats-Unis. Un tel système ne peut pas arriver en France, pas vrai ? Et bien si, ou presque.
Un lecteur nous a contacté pour nous communiquer une lettre adressée à lui par le cabinet Elisabeth Martin (.pdf), une avocate spécialisée dans les questions de propriété intellectuelle. Mandatée par l’éditeur de jeux-vidéo polonais Techland (distribué par Ubisoft), la missive indique à notre lecteur que le client du cabinet « est en possession des preuves irréfragables […] que le jeu [Call of Juarez] a été mis à disposition à partir de [son] adresse IP« . Le même procédé de terrorisation est alors longuement déployé dans une section intitulée « Conséquences d’une assignation sur plainte pour contrefaçon ». Rigoureusement exacte sur le plan judiciaire, elle est articulée avec une mise en scène et un poids des mots qui ont de quoi faire trembler de peur le moindre justiciable.
« S’il s’avérait nécessaire de vous attraire en Justice, les coûts de la procédure seraient substantiels. Dans le cadre d’une procédure civile la partie qui perd ne supporte pas seulement ses coûts, mais également ceux de la partie qui gagne, et pour votre information les dommages et intérêts auxquels sont condamnés les contrefacteurs vont de quelqus centaines d’euros à des milliers d’euros« , peut-on lire dans la lettre de mise en demeure. La pression monte d’un cran au paragraphe suivant, dans lequel l’avocate affirme que « nous avons informé notre cliente qu’une plainte déposée à votre encontre aurait gain de cause« . Aucune place au doute. Le tout pour préparer l’apothéose finale : « Dans le cas où vous ne seriez pas en mesure de régler les dommages et interêts et autres sommes mises à votre charge par le tribunal, notre cliente se verrait dans l’obligation de réclamer sa créance en faisant procéder à la vente de vos biens« . Sic.
Heureusement, tout peut se régler à la va-vite entre gens de bonne conscience. « Notre cliente est prête à vous accorder la possibilité d’éviter une action judiciaire« , avertit Me Martin. Il suffit de signer un engagement joint en annexe par lequel l’internaute s’engage :
- A ne pas télécharger et mettre à disposition le jeu vidéo dans le futur ;
- A supprimer toute copie du jeu en sa possession ;
- A payer 400 € à titre de dédommagement d’une part, et à titre de contribution aux frais engagés par Techland pour identifier l’internaute d’autre part
Ceux qui acceptent de payer (et qui le refuserait ?) trouveront en deuxième annexe un formulaire de paiement, par chèque ou par virement.
Quelle légalité du processus employé ?
Aux termes de l’article 9 de la loi informatique et libertés, seules les autorités publiques et les sociétés de gestion collective de droits d’auteurs lorsqu’elles ont reçu l’aval de la CNIL peuvent procéder à des traitements pour relever l’adresse IP des internautes suspectés d’infractions. Qu’ils soient automatisés ou non, ces traitements doivent recevoir l’autorisation de la CNIL. C’est l’article 25 de la loi qui l’impose.
Interrogée à ce propos, l’avocate Elisabeth Martin n’a pas souhaité répondre. Elle ne veut pas dire qui a procédé au relevé qui a permis d’obtenir du Tribunal de Grande Instance de Paris une ordonnance demandant au fournisseur d’accès Free que l’identité de son abonné soit communiquée au cabinet. « La magistrate a signé l’ordonnance sans problème », justifie du bout des lèvres l’avocate. Mais si l’exception d’irrecevabilité n’a pas été soulevée, le tribunal n’avait aucune raison de ne pas signer l’ordonnance. D’autant plus qu’à ce stade de la procédure, le suspect ne bénéficie d’aucune défense et ne peut donc rappeler les dispositions de la loi. C’est par la suite, au cours du jugement, que l’avocat de la défense peut éventuellement soulever l’exception d’irrecevabilité pour défaut d’autorisation de la CNIL, et renvoyer l’accusation dans les cordes en faisant écarter la preuve. Or la lettre envoyée par le cabinet vise précisémment à éviter la constitution d’avocat et le procès devant le tribunal. Procédé douteux ou simple coïncidence ?
Questionnée précisémment sur l’autorisation de la CNIL, l’avocate n’a pas souhaité répondre. « J’ai vraiment autre chose à faire, merci bonne journée », a-t-elle dit avant de nous raccrocher au nez.
La seule information que nous avons réussi à obtenir est que l’avocate procède régulièrement à ce genre de procédure « amiable » pour des affaires de P2P. Elle a refusé de nous dire combien de lettres de ce genre ont été envoyées, et depuis combien de temps la procédure est en place.
Affaire à suivre.
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