Mise à jour du 14 mars 2019 : Depuis que Tumblr a banni les photos de nu de sa plateforme, le trafic du site a chuté. En décembre, nous vous expliquions en quoi Tumblr était l’un des derniers espaces sans jugement du web. Retrouvez ci-dessous l’article original.
Le 3 décembre, Tumblr annonçait que les photos de nus seraient bannies d’ici la fin du mois. Fini tétons, fessiers et sexes : la plateforme rejoint le rang déjà bien fourni des réseaux sociaux qui censurent la nudité à partir du lundi 17 décembre. De nombreux internautes ont regretté cette décision. Pour certaines communautés, Tumblr était l’un des derniers « safe place » (espaces sans jugement) du web.
L’« esprit communautaire » de Tumblr
Gabrielle, 28 ans et Pandora, 25 ans, suivent des comptes postant des nudes sur Tumblr, et en publient elle-mêmes, plus ou moins régulièrement. Si elles ont choisi ce site, cela n’a rien d’un hasard. À Numerama, toutes deux racontent y avoir trouvé un véritable « esprit communautaire ».
Sur Tumblr, n’importe qui peut publier des photos de soi nu. Il peut s’agir aussi bien de nus artistiques, que de nus à connotation pornographique — amateurs et professionnels se côtoient. Ce contenu est devenu une part très importante de Tumblr, précisément parce que la plateforme était l’une des dernières à ne pas censurer certaines parties du corps. Alors qu’Instagram et Facebook font la chasse aux tétons féminins par exemple, Tumblr les laissait en ligne.
Cela ne signifie pas qu’il n’y avait pas de modération sur Tumblr. Certains contenus représentant des nus en sont bannis, comme la pédopornographie. Mais c’est justement parce que des photos d’enfants dénudés n’ont pas été repérées par l’algorithme de détection des contenus problématiques que la plateforme a décidé de bannir tous les nus.
Tumblr reste pour beaucoup l’un des endroits les plus « sûrs »
Dans son discours d’annonce, Jeff D’Onofrio, le CEO de Tumblr expliquait qu’« Internet ne manque pas de sites proposant du contenu pour adultes ».
Cet argumentaire n’a pas convaincu Gabrielle et Pandora. « Les amateurs et les professionnels qui postent de nudes sur Tumblr, explique la première, pourront continuer à publier ou regarder des nudes sur des plateformes plus « classiques » comme PornHub, mais on va y perdre l’esprit, et c’est bien dommage. » Elle ajoute : « Comme d’habitude, on s’attaque aux contenus pornos et assimilés, mais on ne sévit pas sur les contenus racistes ou néonazis, ce genre de choses, qui n’ont pourtant pas leur place sur la plateforme ».
Pandora, de son côté, admet trouver des contenus « NSFW » (un terme générique qui regroupe le « not safe for work », c’est-à-dire tout ce qu’on ne voudrait pas voir s’afficher sur l’écran de son ordinateur au bureau) sur Twitter également. « Mais je trouve que l’on y est pas aussi « libre » que sur Tumblr », modère-t-elle.
« Tumblr est beaucoup plus « safe » [sûr, nldr] que Twitter. Sur Twitter, tous les jours, on a droit au sexisme, à l’homophobie, au racisme, la grossophobie, la transphobie, etc. C’est parfois aussi le cas sur Tumblr, c’est tout de même moins présent », raconte Pandora.
Une plateforme où chacun pouvait publier du contenu
Elle ajoute avoir trouvé sur Tumblr des communautés très spécifiques. Alors que Gabrielle a pu y découvrir une communauté BDSM bienveillante, c’est sur ce site que Pandora a découvert les DD/LG, une sorte de jeu consenti entre adultes, dans lequel un homme joue le rôle d’une figure dominante presque paternelle, et une femme celui d’une jeune fille. « J’ai appris plein de choses sur ça sur Tumblr, et surtout, j’y ai compris que je n’étais ni bizarre ni seule », nous raconte Pandora.
L’homme de 38 ans qui tient le site pornographique FabrikaFantasmes témoigne quant à lui : « je produis du « pornaudio » de niche, et Tumblr est un excellent moyen pour se faire connaître. Facebook est très restrictif, l’esprit « communauté » est absent sur Twitter… Tumblr était l’idéal. »
Tumblr, ont regretté de nombreux internautes, était également une plateforme importante pour les personnes LGBT.
Tumblr était « un moyen de s’exprimer et de s’affirmer »
Betty, une Américaine qui tient un blog dédié aux sextoys, nous explique : « L’éducation sexuelle (du moins ici aux États-Unis), est épouvantable, et elle ne permet pas d’aborder le sexe tel qu’il est pour des personnes queer comme moi. Dans les films, c’est pareil : la sexualité et l’intimité des personnes queer, on ne les voit pas dans les films mainstream. Le porno, c’est fait généralement pour les hommes cisgenre. Du coup, je n’avais pas grande idée de ce que ça pouvait être. »
C’est sur Tumblr qu’elle a trouvé des communautés de blogueurs queer et transgenres, qui postaient du contenu adulte. « Iels exprimaient leur sexualité ou exploraient leurs identités à travers de contenus érotiques. C’était des photos, ou des textes. Voir des gens comme moi parler de leur sexualité a été une vraie bouffée d’oxygène », témoigne la blogueuse auprès de Numerama.
Sur Twitter, un dénommé Korey appuie ses propos, expliquant avoir trouvé sur Tumblr beaucoup de nudes postés par exemple après une opération de chirurgie de ré-attribution sexuelle, qui l’ont aidé dans l’acceptation de son propre corps.
Des travailleurs et travailleuses du sexe menacés
Michelle, une auteure, a expliqué dans un thread Twitter que Tumblr avait également permis à beaucoup de personnes, LGBT ou non, de monter de petites entreprises.
Sur Tumblr, on trouve en effet de nombreux blogs tenus par des professionnel.le.s. Parmi ces derniers, des artistes spécialisés dans le nu, et des travailleurs et travailleuses du sexe. Ces derniers étaient parvenus à gagner de l’argent en proposant grâce à Tumblr. « Le bannissement des contenus adultes va causer du tort aux travailleurs du sexe queer », estime Betty.
« C’est juste dégueulasse, écrit Michelle. (…)[Tumblr] détruit la raison pour laquelle les gens allaient sur le site ces 10 dernières années. » Selon elle, les autres plateformes disponibles pour les artistes érotiques et travailleurs du sexe, comme PornHub, pourront accueillir une partie des contenus, mais non sans compensation. Elle estime qu’ils ne gagneront qu’« un dixième » environ de ce qu’ils pouvaient gagner autrefois grâce aux réseaux sociaux et sites comme Tumblr.
https://twitter.com/fleurlbr/status/1070518159118163968
Si il est difficile de chiffrer globalement cet impact, ceux et celles qui gagnaient leur vie grâce à des photos de nus sur Tumblr s’accordent à dire que les conséquences seront considérables. L’homme à la tête de FabrikaFantasmes nous indique par exemple que sans Tumblr, le « petit auto-entrepreneur » qu’il est n’aura sûrement plus assez de budget pour faire tourner son site, pour lequel travaillent trois actrices.
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