Super Smash Bros. est un excellent jeu qui vous ment : derrière un party game convivial made in Nintendo se cache un gameplay complexe, contre-intuitif et qui demande des heures d’investissement avant de prodiguer ses premières minutes de plaisir.

« On lance un petit Smash ?  » J’ai entendu ces cinq mots un nombre incalculable de fois. L’histoire se répète, inlassablement, de console Nintendo en console Nintendo : tout le monde s’amuse sur Bomber Man ou Mario Kart, la soirée entre dans sa deuxième partie, les pizzas sont consommées, et c’est le moment choisi par Michaël pour lancer Smash. À chaque fois, cette question est suivie de plusieurs « ouais ! » enjoués.

Visage pâle, manette en main, je ne remue pas les lèvres et dans mon esprit se joue une toute autre chanson : « Ah, ce moment de la soirée où je vais sélectionner un personnage au hasard parmi 300 possibilités issues d’univers que je ne connais pas et appuyer sur A en faisant semblant de m’amuser sans même voir mon combattant… ». Ne croyez pas que je suis seul : tous vos copains et toutes vos copines qui n’ont jamais joué à un Super Smash Bros. font semblant. Parce qu’ils vous aiment et sont patients avec vous, même quand vous leur lancez un « Bah regarde il suffit d’appuyer là, là et là et de nous éjecter ».

Super Smash Bros. Ultimate // Source : Nintendo

Super Smash Bros. Ultimate

Source : Nintendo

La séquence qui suit est aussi répétitive : nous, les non smasheurs, allons vous regarder jouer en faisant semblant de savoir ce que nous faisons jusqu’à nous lasser et finir en chair à chute pendant que vous enchaînez les spéciaux, les parades et les coups ultimes. Et nous allons espérer que chaque combat sera le dernier, redoutant que quelqu’un donne l’idée de transformer cela en marathon où il faudra se farcir toutes les arènes.

En 2018, et parce que Super Smash Bros. Ultimate a été bien noté sur Numerama, j’ai décidé d’agir : à Noël, j’ai commandé ce jeu que je détestais plus que n’importe quel autre. Pour comprendre. Et j’ai compris.

L’anti Mario Kart

Il ne m’aura fallu que quelques minutes pour savoir ce qui clochait avec Super Smash Bros. Le menu aux mille recoins, les dizaines de modes, le mode aventure, les paramètres, les succès, l’entraînement, les noms sibyllins (coffre, esprits…)… même avant de lancer la moindre partie, on voit à quel point le travers principal du jeu est ancré dans la culture Smash. Tout est brouillon, fouillis, complexe et surtout, pas expliqué.

Si peu expliqué qu’il faut que Nintendo publie sur ses réseaux sociaux des tutoriels pour accéder aux tutoriels. Si peu expliqué qu’il faut qu’un joueur plus altruiste que les autres édite un guide non officiel d’une centaine de pages pour décortiquer toutes les mécaniques de gameplay à la place de l’éditeur. Si peu expliqué qu’il est fort probable que vous passiez les premières heures, même chez vous tranquillement en mode solo, à passer à côté de la moitié des commandes.

Car Smash Bros. est un jeu menteur. Paré du sceau Nintendo, on s’attend à jouer au Mario Kart du Street Fighter, un jeu de combat accessible, simplifié, équilibré et plaisant dès les premières secondes, adapté à tous les âges et tous les niveaux. C’est faux. Mario Kart 8, chef-d’œuvre d’accessibilité dans sa version Switch qui propose une assistance à la conduite et une montagne d’équilibre en temps réel (oui, les meilleurs objets sont réservés aux derniers) qui permet à tout le monde de s’amuser est l’antithèse de SSB. Smash est un jeu de connaisseur et il faut y passer des heures pour commencer à s’amuser.

On aurait pu croire que des génies du gameplay comme Nintendo allaient trouver des artifices pour rendre le jeu plus accessible. Il n’en est rien : Smash est intrinsèquement contre-intuitif. Frapper des ennemis pour faire monter une barre de vie est contre-intuitif. Connaître le moment adéquat pour les éjecter est contre-intuitif. Mettre les touches d’éjection (qui sont des coups), centrales pour le gameplay, sur un joystick utilisé traditionnellement pour les déplacements est contre-intuitif. Assigner un même bouton pour plusieurs actions est contre-intuitif. Littéralement rien n’est fait pour prendre le débutant par la main ou, quitte à créer un jeu complexe, l’accompagner vers la maîtrise.

Rien n’est fait pour prendre le débutant par la main

Même les personnages et les niveaux sont des pièges. Tous ont des particularités, des actions que d’autres n’ont pas. Certains sautent plus. Certains ont des attaques chargées. D’autres ont des attaques marteau. D’autres sont plus rapides. Tous utilisent des objets. Ces objets s’ouvrent, se frappent, s’utilisent avec le bouton A, s’éjectent, s’actionnent… sans préavis.

Pour les débutants, les arènes sont aussi infernales : elles bougent, elles changent de forme, elles ont une dynamique différente qui change parfois le gameplay entièrement. Et encore une fois, rien ne permet d’apprendre, si ce n’est la douleur, le calme des combats en 1 vs 1 et la répétition, jusqu’à la maîtrise de quelques personnages et une bonne connaissance générale des autres.

C’est un travail de longue haleine qui prendra plusieurs heures, même à quelqu’un qui joue aux jeux vidéo depuis toujours, si tant est qu’il n’ait pas lâché la console avant de découvrir ne serait-ce que les commandes. En groupe d’amis, cela crée une brèche entre ceux qui ont déjà joué à un Smash et ceux qui étaient juste là pour s’amuser. Les deux mondes sont profondément incompatibles.

Super Smash Bros. Ultimate // Source : Nintendo

Super Smash Bros. Ultimate

Source : Nintendo

Smash Smash Smash

Est-ce que je déteste toujours Smash ? Non, bien au contraire. Des congés et un retour en train depuis Nice m’ont permis de passer des heures à jouer quelques personnages, la lecture du guide du joueur non officiel m’a débloqué sur les concepts basiques et je sais maintenant m’amuser dans des combats à 8, avant d’avoir fait une bonne partie de l’histoire, des combats à deux, à trois et à quatre contre des IA idiotes. SSB sur Switch est à la hauteur de son carton commercial et je ne doute pas une seconde que j’adorerai les prochaines parties contre des humains qui ne provoqueront plus des crises existentielles.

En ayant gravi le passage de la haine à la maîtrise, je me suis juré de ne jamais imposer Smash à personne et de ne jamais dire à un débutant pris au piège dans une soirée une chose comme « il suffit de nous faire sortir de l’arène ». De retour chez moi, promesse déjà brisée, j’ai voulu tester un Smash avec ma copine en prenant 10 minutes pour faire de la pédagogie sur le jeu, expliquer les commandes, le but et les différentes phases. Il aura suffi d’une seule manche pour que la phrase fatidique résonne dans le salon : « Bon, on met Mario Kart ? ».

Oui, on met Mario Kart.

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