Imaginez une personne équipée d’une orthèse de pied, l’une de ces prothèses qui se place à l’extérieur de la jambe et doit aider à remettre le pied dans un angle qui permettra au patient de se mouvoir plus facilement. Pour fabriquer l’orthèse, le prothésiste doit réussir à se représenter l’angle idéal dans lequel le pied doit se retrouver vis-à-vis de la jambe. Le praticien s’aide de l’imagerie médicale du patient, mais « jusqu’aujourd’hui, il devait surtout se fier à son intuition pour construire l’outil qui soutienne le pied correctement », explique François Faure, PDG d’Anatoscope.
Anatoscope est une entreprise qui aide les prothésistes à faire des appareillages sur mesure en partant de l’imagerie du patient. « Nous, ce que l’on propose, c’est la construction d’un jumeau numérique du patient, qui permet de simuler et de calculer précisément l’angle et la forme qu’il faudra donner à sa prothèse », continue-t-il.
Un jumeau numérique ? « Une visualisation animable, déformable et repositionnable de la personne à partir de son imagerie, qui prend en compte les lois de la bio-mécanique » explique l’entrepreneur. Un sacré progrès quand on sait que la méthode traditionnelle consisterait plutôt à faire un moulage du pied, scier le moulage, puis le replacer dans la position que le praticien pense être la meilleure pour la guérison du patient afin de construire sa prothèse.
Objet physique, objet numérique
Mais plus qu’un outil pratique, le jumeau numérique est un concept introduit en 2003 par le Docteur Michael Grieves. Alors enseignant à l’université du Michigan, il explique à ses étudiants qu’il est possible de considérer la représentation numérique complète d’un objet, d’un système, ou, donc, du corps humain, comme une entité à part entière. Contenant toutes les informations issues de l’objet physique, cette entité miroir peut être soumise aux mêmes tests que sa version matérielle. Le jumeau numérique permet ainsi de faire une passerelle entre versions physique et numérique d’un même objet, démontrant, s’il y en avait encore besoin, qu’il n’y a rien de réellement « virtuel » dans ce qui se passe sur les écrans.
Surtout, son existence est une aubaine pour le monde de l’industrie : il permet de simuler le vieillissement d’un produit, de réaliser des tests de résistance sur l’objet dans son intégralité ou seulement sur certaines de ses composantes… De nombreuses industries de l’aéronautique et de l’aérospatiale l’adoptent, NASA en tête, suivies de l’énergie, du bâtiment, etc. Permettant de modéliser un objet ou un système de son niveau le plus microscopique au plus macroscopique, sur toute sa durée de vie, le jumeau numérique est aussi une opportunité sans précédent pour l’avènement de l’internet des objets, des usines connectées ou encore de la médecine de précision.
Jumeau au bloc
« Comme on ne comprend pas encore tout du fonctionnement du corps humain, un jumeau numérique médical est un peu moins précis que ceux utilisés dans l’industrie » admet Nina Miolane, chercheuse à l’Inria et à Stanford. « Mais il n’empêche qu’il représente à un vrai potentiel, dans la recherche comme dans la pratique en hôpital. » Cette spécialiste de la médecine numérique estime que, comme dans le cas d’Anatoscope, ce qui ressort de l’appareillage médical est probablement l’utilisation qui se développera le plus rapidement. Elle permet déjà de sauver des vies : « Lorsqu’on doit construire une endoprothèse à placer sur l’aorte pour éviter un risque d’accident vasculaire, par exemple. Avant, il fallait trois semaines pour construire l’outil. Désormais, avec une simulation numérique qui permet de l’adapter précisément au patient, une entreprise comme Predisurge peut le fournir en deux jours.»
Autre utilisation qui se répand : l’exercice avant opération. Les jumeaux numériques sont déjà utilisés dans les universités, mais aussi dans des cas réels. Optimo-medical s’est par exemple spécialisée dans la simulation d’opérations de la cataracte, permettant aux médecins de savoir exactement où opérer. « En oncologie, cela permet aussi de prédire l’évolution d’une tumeur, ajoute Nina Miolane. Et donc de circoncire le champ d’action d’une radiothérapie pour faire en sorte qu’elle ne brûle que les tissus malins.»
In Silico Veritas ?
Enfin, les jumeaux numériques sont déjà utilisés dans la recherche et dans certains essais cliniques : « Après les essais in vivo, dans le corps humain, et ceux in vitro, en tube, on parle désormais d’essais in silico », en référence au silicium des ordinateurs. Aidée de chercheurs, l’entreprise TheraPanacea multiplie ainsi les tests sur patients numériques pour voir comment une personne atteinte de cancer pourrait réagir à une immunothérapie. Côté médicamenteux, Nova Discovery est totalement dédiée à la R&D de nouvelles molécules testées sur jumeaux numériques.
« Bien sûr, cela soulève des questions éthiques : préféreriez-vous utiliser un outil ou un médicament testé sur des millions de patients numériques ou sur quelques dizaines d’humains ? demande Nina Miolane. Et il est extrêmement complexe d’y répondre. Mais pour le moment, ces usages sont plutôt envisagés comme un soutien, une première étape avant les tests physiques.» Et selon ce point de vue, ils permettent surtout de gagner du temps et d’amoindrir les risques des essais cliniques en éliminant d’office les scenarii trop dangereux.
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